En Allemagne, une loi pour sauver les insectes

L’immense succès d’une initiative citoyenne en Bavière pousse la ministre de l’Environnement à prôner une réduction massive des pesticides dans tout le pays.

Rachel Knaebel  • 10 avril 2019 abonné·es
En Allemagne, une loi pour sauver les insectes
© crédit photo : THOMAS KIENZLE/AFP

N ous avons bien vu en recueillant les signatures que le sujet préoccupait beaucoup les gens. Mais nous ne nous attendions pas à un tel succès. » Uschi Anlauf et l’équipe de l’initiative citoyenne bavaroise pour la biodiversité ont surpris toute l’Allemagne mi-février. En quinze jours, ils sont parvenus à récolter 1,7 million de signatures d’électeurs bavarois pour soutenir leur projet de loi régionale pour « sauver les abeilles ». C’est presque un cinquième (18 %) du corps électoral du Land, et bien plus que le seuil nécessaire (10 %) pour obliger à l’organisation d’un référendum local.

Lancée par un petit parti écologiste à tendance conservatrice, l’Ökologisch-Demokratische Partei (ÖDP), l’initiative était aussi soutenue par la Ligue régionale de protection des oiseaux et par les Verts bavarois, qui ont obtenu près de 20 % des voix lors des dernières élections régionales, à l’automne. Leur projet prévoit, entre autres, l’interdiction des pesticides dans les zones naturelles protégées et un objectif de 30 % d’agriculture biologique dans la région d’ici à 2030. Aujourd’hui, environ 10 % des fermes bavaroises sont en bio (8 % au niveau de toute l’Allemagne) (1).

Contraintes d’agir, les autorités du Land ont mis en place début avril des tables rondes pour discuter des mesures à prendre et, éventuellement, proposer un projet de loi alternatif. « Des agriculteurs, des communes, des acteurs de l’économie forestière participent aux réunions. Nous y avons aussi envoyé des experts. C’est une bonne manière de faire. Cela permet de parvenir à un meilleur consensus », estime Uschi Anlauf. Dès le 3 avril, le gouvernement de Bavière, dirigé par la très droitière CSU, a finalement déclaré qu’il approuvait le projet de loi tel quel.

Avant même d’arriver à ce réjouissant résultat, l’initiative bavaroise avait déjà eu des effets au niveau du pays tout entier. Les signatures à peine récoltées, la ministre de l’Environnement, la sociale-démocrate Svenja Schulze, a annoncé dans la presse qu’elle préparait un projet de loi fédérale pour la protection des insectes. Celui-ci devrait mettre en œuvre le programme d’action national adopté fin 2018 qui prévoyait de réduire l’utilisation des pesticides et d’investir 100 millions d’euros par an dans la recherche sur les insectes et leur protection. La ministre s’est aussi prononcée pour une sortie rapide du glyphosate.

Pour Uschi Anlauf, « il est évidemment plus que nécessaire de légiférer au niveau national sur les pesticides ». Mais le projet de la ministre est-il suffisamment ambitieux ? « Ce programme d’action contient des éléments importants, mais il faudrait aussi des objectifs concrets, comme une réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides dans les prochaines années », analyse Corinna Hölzel, chargée de campagne à l’ONG environnementale Bund (branche allemande des Amis de la Terre). En outre, le projet de loi qui sera proposé par la ministre de l’Environnement devra aussi être accepté par celle de l’Agriculture, Julia Klöckner. Or cette condition peut être difficile à remplir dans un gouvernement de coalition : Julia Klöckner appartient au parti conservateur, la CDU, qui s’aligne souvent sur les positions du Groupement des agriculteurs allemands (Deutscher Bauernverband), fervent défenseur de l’agriculture intensive. À l’annonce du projet de loi à venir, ce dernier s’est empressé de s’y opposer, soulignant que la disparition des insectes n’était pas le seul fait des exploitations agricoles. « Il est pourtant établi que l’agriculture intensive contribue à la disparition des insectes, à cause des pesticides et de la monoculture, même si ce n’est pas la seule raison », répond Corinna Hölzel.

Quoi qu’il en soit, le temps presse. Selon une étude publiée en 2017 et qui avait fait grand bruit alors, le pays a perdu plus de 75 % de sa masse d’insectes volants entre 1989 et 2015 (2). Pourtant, en 2017, l’Allemagne a été l’un des pays qui a voté le renouvellement de l’autorisation du glyphosate au niveau européen, après une volte-face de dernière minute. C’est par ailleurs une multinationale allemande, Bayer, qui fabrique le Roundup, depuis qu’elle a racheté Monsanto.

Comme souvent, ce sont plutôt la population et les communes qui montrent la voie. Des initiatives citoyennes pour la protection des insectes sont sur le point d’être lancées dans deux autres régions allemandes. Et 460 communes du pays ont déjà interdit l’utilisation de tous les pesticides ou du seul glyphosate sur leurs terrains. En attendant que, peut-être, comme l’ont demandé les Bavarois, la biodiversité soit inscrite dans la Constitution.


(1) Sources des chiffres : Umweltbundesamt et Groupement régional de l’agriculture biologique.

(2) « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas », Plos One.

Écologie
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