La détention provisoire, une mauvaise habitude française

Dans le top 3 des pays à plus forte densité carcérale d’après le rapport annuel du Conseil de l’Europe, la France ne semble pas près d’inverser la tendance avec des détentions provisoires plus nombreuses et plus longues.

Oriane Mollaret  • 2 avril 2019
Partager :
La détention provisoire, une mauvaise habitude française
© crédit photo : LOIC VENANCE / AFP

Triste palmarès pour la France, troisième sur le podium des pays européens à la plus forte surpopulation carcérale avec une densité de 116,3 %, juste derrière la Macédoine du Nord (122,3 %) et la Roumanie (120,5 %). C’est le classement établi par le Conseil de l’Europe qui publie ce mardi son enquête statistique annuelle sur le système pénitentiaire de 45 pays membres. 

L’une des explications à cette surpopulation carcérale qui ne diminue pas tient au recours massif à la détention provisoire. D’après le Conseil de l’Europe, au 31 janvier 2018, les personnes incarcérées en détention provisoire en France – les prévenus, en attente de leur procès – représentaient 29,5 % de la population carcérale française totale, ce qui est bien au-dessus de la médiane européenne de 22,4 %. D’après l’administration pénitentiaire, au 1er janvier 2018 on comptait déjà 19 815 prévenus, soit 28,7 % de la population carcérale, dont 78 % en attente de jugement, contre un peu plus de 18 000 en 2016 et environ 16 500 en 2014 et 2015. Les prévenus seraient-ils devenus plus dangereux ces dernières années ? Aucune étude ne le démontre.

Le recours à la détention provisoire est néanmoins en plein essor. D’après l’article 144 du Code de procédure pénale, la détention provisoire ne doit être utilisée qu’en cas d’impossibilité de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique. Dans son rapport 2013-2014, la Commission de suivi de la détention provisoire (CSDP) du ministère de la Justice notait une augmentation du phénomène depuis 2010, après une diminution au début des années 2000. 

En 2018, elle constate « une forte croissance du nombre de détenus prévenus » avec une augmentation de 9 % entre janvier 2016 et janvier 2018. Pour la Commission, même s’il y a également une augmentation du recours aux comparutions immédiates depuis 2003, c’est surtout l’allongement de la durée de détention provisoire qui serait responsable de la surpopulation carcérale. Elle note ainsi entre 2012 et 2016 « une progression très significative » des durées de détention provisoire supérieures à deux ans notamment pour les crimes. De 24,2 mois en moyenne en 2011, la durée moyenne de détention provisoire s’est allongée jusqu’à 28,5 mois en 2016.

Pour les délits aussi, la détention provisoire semble à la mode avec un nombre d’« associations de malfaiteurs » qui a quadruplé depuis le début des années 2000, donnant lieu dans plus de la moitié des cas à des détentions provisoires de plus d’un an, et de 14 mois en moyenne en 2016. Une mauvaise habitude qui ne semble pas près de disparaître avec la forte répression judiciaire du mouvement des gilets jaunes. « Le parquet requiert la détention provisoire systématiquement, et avec force, alors qu’elle n’est pas du tout justifiée au regard de la situation personnelle ou professionnelle de la personne, ou des faits », déplorait Julia Massardier, avocate au barreau de Rouen. À Lyon, Lille, Marseille ou Paris, le constat est identique : même sans casier et pour des infractions minimes, c’est bien souvent sous les verrous que le prévenu attendra son procès.

Police / Justice
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »
Justice 1 juillet 2025 abonné·es

Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »

Deux soldats franco-israéliens sont visés par une plainte de plusieurs ONG, déposée ce 1er juillet à Paris, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis à Gaza. Ils sont accusés d’avoir participé à des exécutions sommaires au sein d’une unité baptisée Ghost Unit.
Par Maxime Sirvins
Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
Terrorisme 28 juin 2025

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.
Par Pauline Migevant
Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale
Idées 28 juin 2025 abonné·es

Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale

L’idéologie accélérationniste s’impose comme moteur d’un terrorisme d’ultradroite radicalisé. Portée par une vision apocalyptique et raciale du monde, elle prône l’effondrement du système pour imposer une société blanche.
Par Juliette Heinzlef
Médine : « Ça fait des années que je m’attends à ce qu’une balle se loge entre mes omoplates »
Entretien 25 juin 2025 abonné·es

Médine : « Ça fait des années que je m’attends à ce qu’une balle se loge entre mes omoplates »

Le rappeur, visé par le groupe d’extrême droite AFO, se constitue partie civile lors du procès de ses membres. Il explique en exclusivité à Politis la nécessité de riposter sur le terrain judiciaire dans un contexte de montée du racisme et de l’islamophobie.
Par Pauline Migevant