Marina Mesure : « Détachée » en politique

Après avoir cherché à comprendre le système, Marina Mesure, en bonne place sur la liste de LFI, a résolu de le combattre.

Agathe Mercante  • 17 avril 2019 abonné·es
Marina Mesure : « Détachée » en politique
© crédit photo : La France Insoumise

Son CV a de quoi faire pâlir d’envie les serviteurs les plus zélés du libéralisme : issue d’une classe préparatoire, passée par une école de commerce international, ancienne salariée des Nations unies, spécialiste des travailleurs détachés pour les plus grandes centrales syndicales… Depuis le 8 décembre, Marina Mesure, 29 ans, occupe la septième place (éligible) sur la liste de La France insoumise (LFI) pour les élections européennes. Un choix qui s’explique par son histoire, empreinte de chocs et d’engagements.

Issue d’une famille d’employés dans la banque, Marina Mesure a grandi à Gréasque, un village des Bouches-du-Rhône de 4 000 habitants. Petite-fille d’ouvriers syndiqués à la CGT, elle attrape très vite le virus et écume les mobilisations syndicales dès l’enfance. En 2006, alors lycéenne, elle prend part, comme beaucoup de jeunes de sa génération, au mouvement contre le CPE. « C’était une période assez propice aux mobilisations, j’ai simplement suivi le mouvement », confesse-t-elle cependant.

Assez rapidement, l’envie de comprendre « où est le pouvoir, comment fonctionne le monde dans lequel on vit aujourd’hui » la tenaille et, en 2008, elle intègre HEC Montréal. Elle en garde un souvenir mitigé. Un premier choc. Elle qui a vu la crise des subprimes depuis le continent américain se fond mal dans la mentalité des écoles de commerce. « En cours de finance, on m’enseignait qu’un plan de licenciement de 250 personnes pouvait faire grimper l’action d’une entreprise », se souvient-elle, déplorant que « des vies humaines soient résumées à des montages financiers »

Au Mexique, dans le cadre d’un échange semestriel, elle étudie dans la ville de Querétaro, au nord de Mexico : « Là-bas, on voit la pauvreté, les enfants dans les rues, les favelas, l’absence d’eau courante, alors qu’en face quelques propriétaires jouissent de lacs artificiels et ont un accès illimité à l’eau. » Ce paradoxe entre grande richesse et extrême pauvreté la marque. Second choc. D’autant qu’entre les cours de français qu’elle dispense dans les écoles publiques elle suit un programme développé à Harvard, visant à faire vivre, durant un semestre, une entreprise fictive. « Nous avions un logiciel de simulation qui nous permettait de gérer notre multinationale en tenant compte des variables économiques, budgétaires, sociales… » détaille Marina Mesure. Au terme du semestre, elle échoue dans cette matière : son « entreprise » n’a généré aucun bénéfice. Et pour cause : elle n’a délocalisé aucune usine, n’a licencié aucun salarié et n’a pas baissé leurs salaires.

L’élève atypique termine ses études avec, comme sujet de mémoire, les accords-cadres passés entre les multinationales et les organisations syndicales internationales. Le groupe Carrefour fait partie de ses sujets d’étude. « Comme Carrefour s’était engagé à respecter les huit engagements de l’Organisation internationale du travail (OIT), le groupe a été contraint de permettre à tous ses employés en Colombie de monter un syndicat », raconte-t-elle. Le « social-washing » a donc ses limites. Et Carrefour en a fait les frais. Inspirée par cette victoire des salariés, Marina Mesure intègre l’OIT, une agence de l’ONU, afin d’accompagner et de défendre la liberté syndicale. Mais là encore elle déchante : « Le budget de l’ONU dépend en grande partie de la participation des États-Unis », déplore-t-elle. Et de constater que son plus gros projet, en Égypte, servait avant tout les intérêts des Américains. « Nous intervenions là où ils avaient besoin d’une “stabilité politique” », résume-t-elle sobrement.

Dans la suite logique de son engagement en faveur des travailleurs, elle rejoint l’IBB (Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois), une puissante fédération syndicale basée à Genève, et aide à la création de centrales syndicales au Qatar. « Nous avons réussi à intégrer sur les chantiers des personnes formées au Népal, aux Philippines, en Inde », se souvient-elle. Et pour contrer la répression dans l’un des États les moins démocratiques du monde, elle ruse : « Ils avaient monté des associations culturelles où ils parlaient leur langue natale, les autorités ne pouvaient pas les comprendre », sourit-elle.

À son retour en France, elle se penche sur la question des travailleurs détachés et réalise que « le Qatar n’a pas le monopole de l’esclavagisme ». « Certains travailleurs détachés cotisent dans des États européens où ils ne résident pas, où ils n’ont jamais résidé et ne mettront jamais les pieds », s’indigne-t-elle. Avec la CGT, elle conduit donc des campagnes à destination des institutions européennes. Franck Reinhold Von Essen, de la fédération CGT de la construction, la décrit comme une personne « convaincue, convaincante et motivée », mais aussi « experte » dans ce domaine. « Il n’est pas étonnant qu’elle ait décidé d’entrer en politique, je suis sûr qu’elle le fait pour d’excellentes raisons », commente-t-il. « Quand nous l’avons auditionnée, nous avons tous été extrêmement impressionnés par son parcours atypique et assez exceptionnel », se souvient Manuel Bompard, à la fois membre du comité électoral de la France insoumise, directeur des campagnes et désormais numéro 2 de la liste. Une prise de choix pour le mouvement, qui se félicite de compter sur sa liste des citoyens engagés.

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