Yannick Jadot : « L’écologie doit devenir la matrice du projet européen »

Pour Yannick Jadot, l’Europe – avec les régions – est un échelon-clé pour imposer une politique écologique et sociale. Et les traités n’empêchent pas de lutter contre le libéralisme.

Michel Soudais  et  Agathe Mercante  • 30 avril 2019 abonné·es
Yannick Jadot : « L’écologie doit devenir la matrice du projet européen »
© crédit photo : Christoph DE BARRY/AFP

L’Europe, c’est son truc. En 2017, Yannick Jadot s’était rallié à Benoît Hamon et avait retiré sa candidature à la présidentielle. Tête de liste d’Europe Écologie-Les Verts, après déjà deux mandats au Parlement européen, l’ancien directeur des campagnes de Greenpeace France se contrefiche désormais de « requinquer la gauche ». Promoteur d’une ligne d’autonomie pour son mouvement, il se montre plus attaché à requinquer une Union européenne en crise, où il souhaite un rééquilibrage entre régions et nations. Politis l’a rencontré le 22 avril, alors qu’il s’apprêtait à aller déposer sa liste au ministère de l’Intérieur. Tout en jugeant les traités qui régissent l’Europe « insatisfaisants », il défend l’idée qu’ils n’empêchent pas d’agir et que le principal obstacle vient des alliances entre les conservateurs, les libéraux et souvent les socialistes. Défenseur d’un nouveau « traité environnemental », qui aurait la primauté sur tous les autres, l’écologiste affiche un volontarisme politique assez conforme à l’ambition qu’il affichait en début de campagne de porter sa liste à 15 %.

Finalement, et c’est une surprise, les ­Britanniques vont participer à ces élections européennes, en raison du report du Brexit décidé par le Conseil européen. Que vous inspire cette décision ?

Yannick Jadot : Je ne l’ai pas du tout appréciée. On a l’impression que cette Europe est gérée par des boutiquiers qui ont trop souvent, ces dernières années, réduit l’Europe à un marché dont on serait un peu prisonnier puisque le Brexit ne permet pas d’en sortir. J’ai été extrêmement triste de la consultation britannique de 2016. Ce grand pays est quand même aussi un pays qui a souvent bloqué l’UE dans sa dimension sociale, politique, de droits fondamentaux, et qui a agi en permanence pour réduire l’Union européenne à un marché – « enough is enough », disait Thatcher. Aujourd’hui, ma crainte est que la paralysie britannique imprègne totalement les institutions de l’Union. Je préférerais un processus où le Royaume-Uni, ayant voté la sortie de l’UE, en sorte et que nous soyons en capacité de faire évoluer l’Union du point de vue politique, social et environnemental. Et qu’ensuite, dans quelques années, le Royaume-Uni réengage un processus d’adhésion. Là, le risque – les Britanniques l’évoquent assez cyniquement –, c’est qu’ils envoient nombre de députés au Parlement européen pour tout verrouiller. Qu’Angela Merkel joue les petites boutiquières de l’industrie allemande, singulièrement l’industrie automobile, et que finalement Macron laisse passer est inquiétant sur les leçons que l’on tire du Brexit, sur l’affaissement du projet européen et la perspective qu’on s’offre de transformer radicalement l’UE.

Que proposez-vous pour la transformer ?

Qu’on retrouve d’une certaine façon le courage de nos pères fondateurs pour écrire une nouvelle page de l’Union européenne. Évidemment, dans un contexte très différent : on n’est plus à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, mais on est face à des défis immenses, notamment ceux du climat, de la biodiversité, de la solidarité. Pour nous, c’est clairement l’écologie qui doit devenir la matrice du projet européen, et donc redéfinir l’ensemble de ses politiques au regard des impératifs écologistes et sociaux. Alors, il y a dans notre projet plusieurs étapes. Nous avons depuis toujours, en tout cas depuis 2005, le projet d’une constituante. Pas un traité constitutionnel avec des centaines de pages, mais un court traité qui dise le projet de l’Europe, la question des droits humains, la question sociale, la question écologique, et quelles sont les grandes compétences de l’UE. Mais, en amont de cette constituante, nous voulons mettre en place un traité environnemental qui primerait tous les autres traités. Qui, d’une certaine façon, redéfinirait toutes les politiques européennes au regard des impératifs environnementaux et spécifierait les crimes environnementaux. Typiquement, il n’y aura plus de subventions aux énergies fossiles, plus de financement de grands projets d’infrastructures comme le Lyon-Turin puisque, au-delà du fait qu’ils ont des impacts écologiques négatifs, ces projets gaspillent l’argent public.

Parler de « traité environnemental » tient un peu de l’appellation marketing. En fait, ce serait un traité modificatif qui permettrait de réécrire les deux traités fondamentaux de l’Union (1), mais pour cela il faut l’unanimité des États membres…

Oui, c’est un processus compliqué. Mais il y a plein d’instruments qui nous permettraient d’être beaucoup plus utiles, plus concrets et plus justes socialement sur la question des migrants ou de l’écologie sans attendre la redéfinition complète des traités.

Qu’est-ce qui, dans les compétences actuellement définies dans le traité de fonctionnement de l’Union européenne, devrait changer ?

Le droit d’initiative du Parlement, la question de la fiscalité… Pour s’attaquer à la concurrence fiscale – ce qu’a fait Eva Joly (2) –, on utilise l’article 116 des traités sur la concurrence déloyale, qui permet d’agir dans le processus classique de codécision, quand la fiscalité requiert l’unanimité. L’énergie doit devenir une compétence européenne pour engager une transition qui nous sorte et du nucléaire et du charbon. Sur la question des migrants, il n’y a pas de compétence européenne, il y a un bout de droit sur le droit d’asile avec les accords de Dublin, qu’il faut absolument changer pour mieux répartir les réfugiés en Europe.

Mais puisqu’un traité nécessite un processus un peu lourd, nous ne voulons pas nous cacher derrière les insuffisances du droit européen pour ne pas agir dans l’immédiat. Plusieurs paquets sont à l’agenda du Parlement européen et des institutions européennes dans les mois qui viennent.

Sur la question du climat, nous voulons que l’argent de la Banque centrale européenne, qui, ces dernières années, a servi à racheter de la dette publique sur le marché secondaire, et finalement à faire gonfler la dette publique et financière, serve à garantir et à racheter des prêts de la Banque européenne d’investissement et des banques nationales d’investissement pour faire un grand plan de transition énergétique. Notre projet de sortir des énergies fossiles et du nucléaire en vingt ans est aussi un projet de paix : l’Europe, au lieu de dépendre de ses fournisseurs d’énergie et d’avoir avec eux des relations géopolitiques parfois perverses – l’UE dépense quasiment 1 milliard d’euros par jour en importation d’énergie –, dépendra plutôt de l’eau, du soleil, du vent, de la géothermie, de la mer, de la biomasse, et non de Poutine, des pétro-dictatures du Golfe, de Trump ou d’Ali Bongo.

Autre grand sujet sur la table : la réforme de la politique agricole commune. Nous voulons sortir des pesticides en quinze ans, du glyphosate immédiatement, et la PAC, qui représente 40 % du budget européen, peut parfaitement servir à accompagner l’ensemble de la politique européenne vers une agriculture paysanne locale et bio. On peut ainsi rendre immédiatement l’Europe utile et concrète, même avant d’avoir gagné sur les traités.

Concrètement, comment allez-vous faire ?

En espérant mobiliser les opinions publiques, qui, pour le moins, ne sont pas très satisfaites des 114 euros que chaque Européen débourse chaque année pour la politique agricole commune. Pour un résultat où un tiers des paysans ont en France moins de 350 euros par mois pour vivre – avec un suicide tous les deux jours . Où la biodiversité disparaît à un rythme effrayant, où l’alimentation est de plus en plus contaminée et où la disparition des paysans se poursuit. Dans l’année qui vient, il faut absolument que les Européens s’emparent de leur agriculture et de leur alimentation. On est en train de gagner la bataille culturelle sur le glyphosate. Malheureusement, on n’a pas gagné l’interdiction au niveau des États, mais l’objectif est évidemment, dans la prochaine mandature, de gagner cette interdiction et la réorientation complète de la PAC (3).

En l’absence de groupe politique majoritaire au Parlement européen, il est important d’avoir un groupe le plus puissant possible et aussi le plus cohérent. C’est comme cela que l’on a pu construire des majorités sur la pêche électrique, l’huile de palme – malheureusement, la France a bloqué au niveau du Conseil –, les lanceurs d’alerte, la démocratie en Hongrie… Sur tous ces sujets-là, la force et la cohérence de notre groupe nous permettent parfois de convaincre d’autres députés et de construire des alliances. Sur la pêche électrique, on a travaillé avec Younous Omarjee (4). On avait déjà gagné sur la pêche en eau profonde avec Bloom (5), d’ailleurs contre les socialistes français, et à un moment donné une partie de la droite a voté contre la pêche électrique. C’est comme cela qu’on gagne.

Pourquoi n’insistez-vous pas, comme d’autres à gauche, sur la nécessaire renégociation des traités ?

Et si on n’a pas l’unanimité, on fait quoi ? On ne siège pas au Parlement ? Ce serait une désertion. Quand on gagne sur la pêche électrique, on gagne à traité constant. Idem pour l’huile de palme, même si on n’a pas gagné autant qu’on voulait. Ce sont les écologistes qui ont construit la directive sur les lanceurs d’alerte, qui fait qu’aujourd’hui Antoine Deltour (6) est le premier à dire merci au groupe des Verts d’avoir permis la création d’un droit européen de protection des lanceurs d’alerte comme il n’en existe nulle part ailleurs dans le monde.

Ce sont quand même des petits pas au regard du problème que pose le cadre européen à la fois monétariste et libre-­échangiste…

Je me bats tous les jours contre le libre-échange. S’il y a un parlementaire qui est identifié dans le combat contre le Tafta, le Ceta et les autres, c’est moi. Ce ne sont pas les traités sur lesquels est fondée l’UE qui définissent les traités de libre-échange. Il suffit que le Parlement européen dise « non » et ça s’arrête immédiatement. La question est démocratique : les socialistes, les libéraux et les conservateurs votent ensemble les traités de libre-échange. Le jour où l’un de ces trois blocs vote contre les accords de libre-échange, il n’y en a plus un qui passe.

Ce ne sont pas les traités qui sont mauvais, mais la majorité ?

Bien sûr ! Imaginez demain une majorité écolo : dirait-on qu’on a envie de faire plein de choses mais qu’on ne peut pas à cause de l’article 38 ? C’est de la blague. C’est la volonté politique qui fait la politique. Après, je ne dis pas qu’il ne faut pas changer les traités. Quand nous portons l’idée d’un protectionnisme vert à la fois sur l’écologie et la taxation aux frontières des produits qui ne respectent pas les normes qu’on se donne en matière de protection de l’environnement, quand on interdit l’entrée sur le marché européen de produits issus de pays qui ne respectent pas la liberté syndicale et les conventions de l’OIT, c’est de la politique. On peut le décider demain mais il faut gagner les votes. Nous ne pouvons pas renvoyer sur les traités nos échecs électoraux. C’est parce que nous n’avons pas la majorité en Europe que l’Europe est libérale. Or ce modèle de la compétition de tous contre tous, des territoires contre des territoires, de la marchandisation à outrance de la planète, y compris de notre vie privée, est le marchepied des populistes et des nationalistes. Nous, nous voulons que l’Europe soit l’échelon qui nous permette de retrouver le contrôle de nos vies à l’échelle de nos territoires, définir l’agriculture, l’alimentation, comment on se déplace, on se loge, on s’éclaire, on se chauffe, on se soigne, on s’éduque… Tout cela participe au fait de redonner le pouvoir aux citoyens sur les lieux où ils vivent. C’est cela notre grand sujet, et pour nous il faut l’Europe.

Vous développez un système de gouvernance qui serait à la fois à l’échelle supranationale et à l’échelon extrêmement local, en zappant l’échelon national. Est-ce parce que les Verts ne font pas d’aussi bons scores aux élections nationales ? Ou cette méfiance de l’échelon national est-elle consubstantielle de votre vision politique ?

Là, nous sommes dans une élection européenne. Par ailleurs, nous sommes pour une Europe des régions, c’est vrai. Dans cette élection, comme d’habitude, nous faisons alliance avec Régions et peuples solidaires. Nous avons des régionalistes sur notre liste et nous allons faire des réunions publiques avec Gilles Simeoni…

Les régions existent moins que l’échelon national…

Toute une partie des fonds européens va vers les régions.

Parce que l’Europe essaie de faire sauter l’échelon national…

Mais non, l’Europe est bouchée, coincée, paralysée par les échelons nationaux. Ce sont les égoïsmes nationaux et les souverainismes qui empêchent l’Europe d’évoluer. Même à gauche aujourd’hui, l’idée de contribuer au budget européen un peu plus que ce que l’on reçoit, pour être solidaire avec des régions moins développées, pose question.

Les égoïsmes régionaux existent aussi, non ?

Bien sûr, et je ne remplace pas l’un par l’autre. La souveraineté ne se définit pas forcément par la nation. Pour moi, la souveraineté, c’est avoir un processus délibératif qui donne des décisions efficaces et utiles pour les citoyens. Est-ce qu’on doit avoir dans toute l’Europe ou dans toute la France les mêmes modalités de déplacement, la même agriculture ? Si des régions s’en emparent et rapprochent les citoyens de la décision, pour moi, c’est toujours une bonne nouvelle. On a besoin de l’Europe face à Trump, ce n’est pas la région Île-de-France qui va faire face à Xi Jinping : pour ça, on a besoin de l’Europe. Mais l’Europe ne va pas définir le fait que la Silésie et l’Occitanie doivent fonctionner de la même façon, ce serait stupide.

C’est pourtant ce qu’elle fait quand elle impose le libéralisme comme seule politique économique possible à tous les États…

Justement non. Pourquoi ce serait obligatoirement le libéralisme ? Qui définit les politiques libérales de l’Union ? Ce n’est pas l’Europe qui impose à la France de privatiser ses barrages hydroélectriques : l’Allemagne ne le fait pas. C’est vrai aussi sur le fret ferroviaire : la France l’a réduit. L’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, le Portugal développent les énergies renouvelables ; nous, nous restons obsédés par le nucléaire. L’Europe ne définit pas tout.

Pour vous, il n’y a pas de carcan juridique européen ?

Il y a des traités juridiques, un cadre juridique européen que nous voulons transformer.

Il n’oblige pas les nations ?

Mais non ! Les mêmes pays qui ont adopté les 3 % n’ont pas eu de sanctions quand ils trichaient. Il ne faut pas mettre les traités au-dessus de la politique. Les traités ne sont que l’instrument juridique de majorités politiques qui sont aujourd’hui libérales et conservatrices. Il ne faut pas s’étonner d’avoir des politiques libérales en Europe quand la majorité des gouvernements sont libéraux et que, y compris au Parlement européen, socialistes, libéraux et conservateurs ont défendu l’austérité et les traités de libre-échange. C’est pour cela que l’élection est si importante.

Jusqu’ici les socialistes européens et les conservateurs du PPE formaient une coalition et alternaient les présidences du Parlement. Après le 26 mai, il semble qu’ils n’auront plus de majorité. Chercherez-vous un partage des postes dans une coalition, y compris avec les conservateurs du PPE, pour peser de l’intérieur ?

Prétendre en permanence que nous voulons aller avec le PPE est ridicule. Regardez comment nous votons, ce sur quoi nous travaillons. Nous continuerons à travailler sur des coalitions de projet. Notre boulot, partout en Europe, c’est d’essayer de renforcer notre groupe, de convaincre sur nos sujets. On verra ce que ça donne au Parlement le 27 mai.

Le gouvernement français se présente comme une référence en matière d’écologie. Qu’en dites-vous ?

Ce gouvernement, comme celui d’avant, est prisonnier des mêmes lobbys du vieux monde. Ceux du nucléaire, de l’automobile, des pesticides, de la chasse… Il reste dans une logique productiviste, au-delà du fait qu’il est libéral et technocratique.

Pourtant, il a été rejoint par des écologistes de votre parti. Cela ne dénote-t-il pas une certaine compatibilité entre le programme des écologistes et la Macronie ?

Non. Nous, les écologistes, nous voulons transformer urgemment la société. On ne peut pas attendre les échéances électorales en disant « on a perdu, la prochaine fois on fera mieux », parce que le dérèglement climatique et l’anéantissement de la biodiversité n’attendent pas les échéances électorales. Quand on pense pouvoir agir, on essaye d’agir. Que voulez-vous que je vous dise ? Macron distribue le pouvoir. Que certains choisissent ça, cela m’attriste. Mais EELV, ce sont des militants partout sur le terrain, ce n’est pas seulement un dirigeant qui trouve que la place est plus chaude ailleurs.

Avec quels arguments voulez-vous convaincre les électeurs de voter pour vous ?

La cohérence, qui n’est pas l’antériorité. Tout le monde a aujourd’hui un discours écolo parce que c’est une préoccupation majeure. Mais, bien qu’ils disent « je suis pour le climat », les socialistes votent tous les accords de libre-échange. Moi, je peux regarder mes électeurs dans les yeux parce que ce que je dis en campagne, je le fais au Parlement, alors que les autres, sur l’écologie, font l’inverse.

Où est la cohérence quand, dans une ville, pour faire passer une petite partie de votre programme, vous vous asseyez sur celui-ci ?

La société, c’est un compromis. Un compromis n’est pas forcément une compromission si vous pensez que ça fait avancer votre cause. La question, c’est la clarté du compromis. Aux européennes, si on veut voter pour la protection de la planète, pour la biodiversité, le climat, la solidarité, le vote le plus efficace, c’est le vote vert parce que celui-ci est cohérent. Quand je me bats sur un dossier, j’ai tout le groupe avec moi.

Bien que vous n’ayez plus aucun député à l’Assemblée nationale, l’écologie y est tout de même défendue, non ?

Par qui ? Matthieu Orphelin, oui ; une partie des Insoumis, oui.

Une partie seulement ? Il ne semble pas qu’ils se divisent sur les votes, faisant eux aussi preuve de cohérence.

J’en suis convaincu mais on n’a pas la même idée de l’Europe, ni la même idée du débat public, ni la même idée de la décentralisation. Je ne conteste pas à Jean-Luc Mélenchon ses convictions écolos – pour d’autres candidats, je suis plus dubitatif. Mais tous les combats que nous menons sur le terrain pour protéger l’environnement, c’est souvent au nom du droit européen. Pour nous, l’échelon européen est un échelon indispensable ; il n’y a pas cette vision chez Jean-Luc Mélenchon.

Comment recevez-vous son appel à constituer une « fédération populaire » ?

Les initiatives des anciens socialistes, des socialistes ou des nouveaux socialistes consistent toujours à dire : je veux rassembler la gauche autour de moi. Il y a un paquet de prétendants. Nous, ce que nous voulons, c’est mettre l’écologie et son projet solidaire au cœur du paysage politique européen et du paysage politique français. Mais c’est très bien qu’il y ait de la diversité politique, y compris à gauche. Il y a plein de sensibilités d’approche et de solutions sur la question sociale, comme il commence à y en avoir sur la question écologique. Mais il faut accepter que nous n’ayons pas la même vision du débat public et des échelons d’action pour résoudre la crise.

C’est pourtant Emmanuel Macron, président de la République française, et non l’UE, qui s’est opposé à la reprise des négociations commerciales avec les États-Unis.

Le Parlement européen a failli voter contre ce mandat de négociations : on a gagné sur l’amendement qui demandait de ne pas faire de négociations, mais on a perdu sur la résolution finale. C’est dire si les choses évoluent. Alors, si Macron se sent obligé de faire croire qu’il s’oppose à cette négociation – en réalité il a voté contre mais n’a rien fait pour construire une minorité de blocage, donc il a voté contre en s’assurant que le mandat allait passer à la majorité –, c’est déjà notre victoire culturelle. Un hommage du vice à la vertu. Qu’il n’ose pas mettre le Ceta à la ratification de l’Assemblée nationale parce qu’il n’assume pas ce débat avant les élections, c’est aussi notre victoire. On est en train de gagner des batailles dans l’opinion, qu’on n’a pas réussi encore à transformer électoralement.

On vous a senti un peu gêné par le mouvement des gilets jaunes…

Pourtant, on a soutenu ce mouvement. Cela fait dix ans qu’on est sur la fiscalité écolo et on a toujours dit que chaque euro collecté devait être rendu aux Français pour les accompagner et pour investir, qu’il faut de la justice fiscale sur le kérosène et le fioul lourd… Quand j’écoute un certain nombre de porte-parole des gilets jaunes, ils sont d’accord avec nous. Ce dont ils se sont plaints, c’est que la fiscalité écolo ne servait pas l’isolation de leur logement ou la mise à disposition de transports collectifs performants et moins chers, mais compensait la suppression de l’ISF. Cela fait trente ans que l’on se bat contre le tout-TGV pour les petites lignes, contre les supermarchés en périphérie pour les commerces de centre-ville, pour maintenir des services publics de proximité. Dans notre programme européen, on sanctuarise les services publics comme les infrastructures vitales (aéroports, barrages). Le mouvement des gilets jaunes s’est construit sur les fractures territoriales, sociales et politiques que nous avons toujours dénoncées. Mais ce mouvement est aussi divers qu’il peut y avoir de nuances de jaune. Et s’il y en a qui mettent encore des gilets et cassent n’importe quoi, je suis contre.


(1) Le traité de l’Union européenne (TUE) et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

(2) Députée européenne depuis 2009, Eva Joly est à la 78e et avant-dernière place sur la liste de Yannick Jadot.

(3) De nouvelles orientations pour la PAC doivent prochainement être adoptées pour la période 2021-2027.

(4) Élu député européen en 2014, Younous Omarjee est en 4e position sur la liste LFI de Manon Aubry.

(5) Association pour la conservation marine, présidée par Claire Nouvian, cofondatrice de Place publique avec Raphaël Glucksmann.

(6) Lanceur d’alerte à l’origine du scandale des LuxLeaks.