Blocage de sites terroristes ou pédopornographiques : le contrôleur dénonce un manque de moyens

Le membre de la Cnil chargé de vérifier si la censure d’un contenu sur Internet est justifiée pointe le manque d’effectifs pour remplir sa mission.

Romain Haillard  • 27 mai 2019
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Blocage de sites terroristes ou pédopornographiques : le contrôleur dénonce un manque de moyens
© Crédit photo : Romain Haillard

Alexandre Linden chargé de contrôler le bien-fondé des retraits de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique sur Internet, rendait ce lundi 27 mai son quatrième rapport d’activité. Le membre de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) dénonçait devant les journalistes un manque chronique de moyens pour assurer sereinement ses fonctions. Une recommandation signée sur le ton de l’exaspération, car répétée à quatre reprises depuis sa prise de fonction en 2015. Entre mars 2018 et février 2019, l’ancien juge d’instruction a dû se pencher sur 25 474 demandes de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).

Depuis la promulgation de la loi de lutte contre le terrorisme du 13 novembre 2014, cet organisme de la police judiciaire traque et bloque des contenus illicites sur Internet. Son champ de compétence est circonscrit aux contenus pédopornographiques et ceux susceptibles de provoquer ou de faire l’apologie d’actes terroristes. Le travail des policiers repose sur les signalements d’internautes, via la plateforme du ministère de l’Intérieur Pharos ou la plateforme associative Point de contact.net. L’OCLCTIC peut, de manière discrétionnaire et sans autorisation préalable d’un juge, demander à un site ou à un hébergeur de retirer un contenu illicite. En l’absence de réponse dans les 24 heures, les policiers forcent les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), ou les moteurs de recherche comme Google, de supprimer ou déréférencer le contenu.

C’est là qu’intervient Alexandre Linden. Épaulé par des agents de la Cnil volontaires, en plus de leurs missions habituelles, le juriste vérifie si la demande de retrait se justifie. « Un rythme d’une séance hebdomadaire serait nécessaire pour contrôler ces blocages administratifs. Le manque de moyens rend cet objectif intenable », se plaignait le modérateur. L’insuffisance d’effectifs rend les vérifications plus lentes. Un véritable problème pour des décisions administratives et unilatérales potentiellement attentatoires à la liberté d’expression. Malgré la création de quinze postes à la Cnil pour l’année 2019, le contrôleur juge l’effort « insuffisant » au regard des missions déjà dévolues à ces agents.

Presque systématiquement, le contenu s’avère illicite. Sur 25 474 demandes examinées, seuls 2 blocages ont suscité le désaccord d’Alexandre Linden. « Ces désaccords justifient le maintien de ce dispositif d’arbitrages », assurait-t-il. Quand le juriste estime le retrait ou le déréférencement abusif, l’OCLCTIC peut décider l’arrêt ou le maintien de la procédure. La question s’est posée pour la diffusion d’un message à caractère humoristique sur l’État islamique sur Twitter.

Sur le profil de l’utilisateur, les visiteurs pouvaient lire : « La religion est la première cause de décès sur la route… de l’humanité. » Le modérateur de la Cnil se justifie : « On peut parodier le terrorisme, faire de l’humour, rien n’est fermé. » Le ministère de l’Intérieur a fait machine arrière et a réautorisé la diffusion de ce message. Mais les policiers n’y sont pas contraints. L’OCLCTIC avait déjà outrepassé l’avis d’Alexandre Linden en 2017.

En septembre et octobre de cette année, plusieurs véhicules de police et gendarmerie avaient été incendiés. Plusieurs messages de revendications avaient ensuite été postés sur le site d’informations collaboratifs Indymedia. Le ministère de l’Intérieur avait alors exigé le retrait de ces messages considérés comme faisant l’apologie du terrorisme. Le contrôleur ne considérait pas le contenu comme tel, car le message n’était lui-même pas d’origine terroriste. « C’est très difficile à priori de savoir si un acte est ou non de nature terroriste », se défendait Alexandre Linden. Malgré le refus de L’OCLCTIC d’arrêter la procédure, le modérateur lui a forcé la main après avoir saisir le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Par jugement du 4 février 2019, les juges ont exigé l’annulation de la procédure du ministère de l’Intérieur.

Si ce contrôle s’avère essentiel pour prévenir toutes censures arbitraires, les problèmes de moyens alloués est susceptible de se régler par la censure généralisée de contenus par les plateformes. Le Parlement européen a adopté un règlement qui pourrait obliger les entreprises comme Facebook à supprimer dans l’heure les contenus à caractère terroriste. Les contrevenants s’exposeraient à une amende pouvant aller jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires. « Dans ce cas-là, je serais au chômage technique », s’est inquiété Alexandre Linden.

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