New Look : Liquidation à l’anglaise

La chute spectaculaire de la filiale française du groupe d’habillement New Look, dans une opacité savamment entretenue, laisse les salariés dans l’incertitude sur leur avenir.

Erwan Manac'h  • 1 mai 2019 abonné·es
New Look : Liquidation à l’anglaise
© crédit photo : SERGE ATTAL / ONLY FRANCE / AFP

New Look se débarrasse de sa filiale française. Les 429 salariés l’ont brutalement compris en septembre et viennent de mesurer l’urgence de la situation en découvrant, trois jours seulement avant le placement de l’entreprise en redressement judiciaire, le 26 mars, une dette abyssale que leur cachait la direction.

À lire aussi >> New look : une souffrance endémique

La brutalité de l’annonce et la rapidité avec laquelle la trésorerie française a plongé dans l’abîme soulèvent une montagne de questions. Pour les salariés, laissés dans le flou, mais aussi pour la puissance publique. Car c’est aujourd’hui la solidarité nationale qui, via le régime de garantie des salaires, paye une partie des salaires pendant qu’un mandataire judiciaire cherche des repreneurs. En cas de liquidation, c’est ce même fonds qui pourrait régler les indemnités de licenciement des salariés. C’est l’une des raisons pour lesquelles des multinationales trafiquent parfois leurs comptes pour noircir le tableau et précipiter leur propre chute. Rien, pour l’heure, ne permet d’affirmer qu’un tel plan a été déployé chez New Look. Mais le silence de la direction anglaise du groupe témoigne, a minima, d’une gêne.

L’horizon s’assombrit pour New Look à partir de 2014, et un plan d’économies est déployé en 2017 avec de nombreuses fermetures de magasins dans le monde, au moment où l’érosion des ventes en boutique n’est plus compensée par la hausse des commandes sur Internet. Subitement, la rentabilité de la branche française s’effondre : alors que le chiffre d’affaires baisse de 13 % entre mars 2017 et mars 2018, le résultat net chute, lui, de… 1 874 % ! Impossible de faire la lumière sur ces chiffres spectaculaires, même pour les experts-comptables nommés par les salariés, dont Politis a pu consulter le rapport intermédiaire. Car la direction anglaise, qui pilote à distance la comptabilité des magasins français, ne livre pas d’explications détaillées. Ses chiffres sont d’ailleurs sujets à caution, car New Look n’a toujours pas déposé ses comptes certifiés pour l’année 2017, en dépit de l’obligation légale.

C’est l’autre élément qui interpelle : l’opacité. Savamment organisée par le fonds sud-africain Brait à travers une cascade de holdings passant par trois paradis fiscaux (Malte, Maurice et Jersey, voir infographie ci-dessous), qui ne correspond en rien au cheminement réel de la marchandise. Et entretenue à tous les échelons de la multinationale par une absence totale de dialogue avec les salariés.

En Belgique, il a fallu dix minutes au directeur par intérim nommé par les Anglais pour annoncer, le 16 janvier, la fermeture de six magasins et le licenciement de 110 salariés. Les portes des magasins étaient closes cinq jours plus tard et le salaire du mois entamé ne sera pas versé. « Même le directeur belge ne s’y attendait pas, souffle Grégory Gielis, ancien directeur de magasin à Bruxelles et représentant du personnel. Nous n’avions accès ni aux baux commerciaux ni aux comptes. Nous étions baignés dans un flou rassurant, puisque nous voyions sur les comptes d’exploitation que nous étions rentables. C’est tombé sur nous comme une bombe. »

© Politis

La direction ne livre pas non plus d’explications sur les chiffres catastrophiques de certains magasins français, qui affichent des pertes à plus de 500 000 euros avec des chutes de rentabilité allant de 100 % à 1 000 % en une seule année. Les magasins ne décident ni du contenu de leurs rayons ni des prix à appliquer. Or, selon plusieurs témoignages de salariés, depuis quelques semaines, les camions en provenance d’Angleterre étaient moins garnis que d’habitude, et les cartons recelaient surtout de vieilles collections invendues. New Look semble écouler son rebut en France. « J’ai vu des produits datant parfois de 2016 arriver à partir de début mars. Nous sommes la poubelle », soupire Moussa Koita, délégué du personnel SUD. L’Angleterre impose en outre des ristournes importantes à ses magasins français, à la limite de la vente à perte.

Dans un passé plus lointain, New Look a également abusé des « prix de transfert », combine par laquelle des multinationales facturent leurs propres produits à leur filiale française à des prix parfois prohibitifs pour faire remonter les bénéfices loin du fisc hexagonal. Cela a valu à New Look un redressement fiscal en France en 2014 et l’obligation de permettre à ses filiales de dégager au moins 2,5 % de marge nette.

Dernier subterfuge, le groupe déclarerait les recettes de sa boutique en ligne en Angleterre même lorsque les commandes sont passées depuis la France, chiffre d’affaires qui du coup échappe à la trésorerie française. Or Internet représente 19 % des ventes globales du groupe. Ni la direction française du groupe ni le siège londonien n’ont souhaité commenter cette information, comme ils ont refusé de répondre à toutes les questions envoyées par Politis. « Il n’y a pas d’opacité, les choses sont faites dans les règles », abrège simplement Paul-Henri Cecillon, président de New Look France.

L’opacité est telle, dans le groupe d’habillement, que les salariés ne sont même plus assurés de connaître l’identité de leur actionnaire majoritaire. Le fonds Brait a racheté New Look en 2015 en empruntant de l’argent qu’il a ensuite remboursé en piochant dans les caisses du groupe. Une procédure dite « LBO », qui sévit comme une malédiction sur les entreprises concernées, vampirisées par des actionnaires uniquement intéressés par des rendements à court terme. Le résultat, pour New Look, c’est une dette impossible à résorber, qui a conduit son propriétaire à annoncer, le 14 janvier, la cession des trois quarts du capital de l’entreprise à ses créanciers, en transformant la dette en titre de propriété (1). Ou comment éparpiller façon puzzle la propriété d’une entreprise rendue malade par le train d’enfer imposé par ses actionnaires.

Avec sa comptabilité dans le rouge vif, la direction anglaise imaginait pouvoir solder l’affaire en un claquement de doigts depuis l’autre côté de la Manche. Le 10 septembre, elle annonce à ses salariés français la fermeture de 20 de ses 31 magasins. Sans attendre l’ouverture des discussions autour d’un plan social, deux magasins dont les baux commerciaux ont été discrètement dénoncés six mois avant sont fermés, au mépris du droit français. Après une première injonction de l’inspection du travail – qui lui rappelle le 26 octobre que la loi française l’oblige à consulter ses salariés en cas de licenciement collectif –, New Look finit par abandonner son plan, particulièrement mal emmanché, le 4 décembre.

La firme s’en remet alors à des professionnels du genre en nommant un trio de liquidateurs – dits « managers de transition » – du cabinet PHinancia, pour reprendre le processus et accompagner New Look France vers son épilogue. Il n’est plus, dès lors, question d’un plan social mais d’une vente à la découpe (des repreneurs se seraient manifestés).

Mais l’heure n’est pas encore aux comptes, pour la puissance publique. « Mon seul rôle est de regarder l’avenir et de chercher d’éventuels repreneurs », précise Joanna Rousselet, l’une des deux administratrices judiciaires mandatées le 26 mars par le tribunal de commerce de Paris pour chapeauter le trio de managers. Ce sera à un liquidateur judiciaire, en cas d’échec du plan de reprise, de s’intéresser de plus près à la comptabilité de New Look. Le dossier est également sur le bureau du délégué interministériel adjoint aux restructurations d’entreprise, mais il revient au fisc, ou à la justice – notamment si des créanciers décidaient de la saisir –, de fouiller les comptes de la société.

Les salariés étudient donc les moyens de forcer le groupe à éclaircir sa gestion comptable, car ces informations sont cruciales pour qu’un plan social, s’il devait y en avoir un, soit proportionné aux moyens réels dont dispose la multinationale. Mais ils ont surtout le regard tourné vers un horizon bien plus proche. Ils sont convoqués le 20 mai au tribunal de commerce pour que ce dernier statue sur des offres de reprise éventuelles : « Tout va s’enchaîner hyper vite, car la trésorerie ne permet pas de tenir longtemps », estime Laurent Degousée, de SUD-commerce. Ils guettent surtout les conditions d’une reconduite de leurs emplois par une autre enseigne de distribution, qui reprendrait les boutiques. Et craignent, si elles se révélaient trop contraignantes, de devoir démissionner en abandonnant leurs droits.


(1) « New Look va être cédée à ses créanciers pour résorber sa dette », 14 janvier, fashionnetwork.com

Travail
Temps de lecture : 8 minutes

Pour aller plus loin…

Réforme de l’assurance-chômage : « Ça va détruire nos vies »
Témoignages 10 avril 2024 abonné·es

Réforme de l’assurance-chômage : « Ça va détruire nos vies »

Emplois précaires, discrimination par l’âge, baisse des droits et future suppression de l’allocation de solidarité spécifique : des chômeurs racontent à Politis l’angoisse et la galère de la recherche d’emploi, que les réformes des quinquennats Macron n’ont fait qu’empirer.  
Par Léna Coulon
Pour la CFDT, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage relève de « la politique fiction » 
Syndicats 4 avril 2024 abonné·es

Pour la CFDT, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage relève de « la politique fiction » 

Après l’annonce gouvernementale d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats sont dans l’attente. Si certains préparent déjà une éventuelle mobilisation, d’autres espèrent encore voir le gouvernement faire marche arrière.
Par Pierre Jequier-Zalc
Charbon français, l’enfer sous terre
Reportage 3 avril 2024 abonné·es

Charbon français, l’enfer sous terre

Depuis 1984, le Centre historique minier de Lewarde retrace la longue histoire d’un bassin industriel – celui du nord de la France – et d’une part majeure de la classe ouvrière, à l’heure où l’aventure minière semble devoir reprendre, avec les recherches de métaux nécessaires aux batteries électriques. 
Par Olivier Doubre
« La question du partage du travail fait son retour »
Entretien 20 mars 2024

« La question du partage du travail fait son retour »

Le sondage réalisé par l’Ifop pour Politis révèle qu’une très large majorité de Français seraient favorables à l’instauration de la semaine de 4 jours, à 32 heures payées 35 heures, dans le public comme dans le privé. Décryptage par Chloé Tegny, chargée d’études sénior de l’institut.
Par Michel Soudais