New Look : une souffrance endémique

La course à la productivité puis l’imminence d’une fermeture des magasins New Look ont installé un malaise profond au sein du groupe.

Erwan Manac'h  • 1 mai 2019 abonné·es
New Look : une souffrance endémique
© crédit photo : DOMINIQUE FAGET / AFP

Cocktail d’amertume, de stress et d’anxiété : le quotidien des salariés de New Look devient « catastrophique ». Depuis le mois de septembre et l’annonce subite de la fermeture des magasins, les maux d’un management brutal et obnubilé par les courbes du rendement à court terme coagulent pour donner une situation intenable. « Les collègues veulent en finir. Vite. Ils n’en peuvent plus de souffrir », prévient Christopher Lila, délégué du personnel et salarié du magasin des Halles, à Paris.

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Depuis une dizaine d’années, toute l’industrie de l’habillement est prise dans des difficultés structurelles et s’enfonce dans une course effrénée à la productivité dans les rayons. La consommation baisse et les enseignes doivent faire face à une concurrence accrue du e-commerce et de nouveaux venus sur le marché du prêt-à-porter d’entrée de gamme. New Look boit la tasse et son nouvel actionnaire, qui a pris le contrôle du groupe en 2015, décide d’adopter progressivement un modèle managérial similaire à celui du low cost ou du hard discount dans la distribution. Des salariés de plus en plus polyvalents, à qui des responsabilités et des objectifs de rentabilité toujours plus élevés sont assignés sans augmentation de salaire. Des promotions constantes en rayons, imposées par la direction anglaise de New Look, qui désorganisent les équipes. Une pression permanente des actionnaires pour réduire les coûts et accroître les marges, qui place les équipes en sous-effectif, sans égard pour les signaux d’alerte qui se multiplient sur le terrain.

C’est ce que décrivent des experts dans un rapport sur les risques psychosociaux, commandé par le comité d’hygiène et de sécurité (CHSCT), que Politis a pu consulter. « La succession d’illégalités ou de contournements de règles [en particulier dans le plan de fermeture entamé en septembre] aboutit à des conséquences graves pour les personnels », écrivent les experts : « Forte fatigue, usure mentale, stress, crises d’angoisse, problèmes de sommeil, ainsi qu’une accentuation des troubles musculo-squelettiques » sont constatés chez de nombreux salariés à l’occasion de cette enquête conduite fin 2018. Sont également relevés un « absentéisme important » et « un taux anormalement élevé d’accidents du travail [qui] pourrait découler d’une attention très insuffisante aux obligations de sécurité et de prévention des risques professionnels ». Le sous-investissement expose les salariés à des risques toujours accrus.

Dans un secteur friand d’une main-d’œuvre fragile, dans des bassins d’emploi souvent durement touchés par le chômage, la précarité grimpe également en flèche. Chez New Look, la part de salariés à temps partiel double, selon le rapport d’expertise, entre 2014 et 2015, pour atteindre la moitié de l’effectif. Pour ces salariés sans alternative, souvent employés entre 25 et 30 heures par semaine, la promesse d’un emploi à temps complet sert à obliger les salariés à consentir des efforts constants et à endosser des responsabilités pour lesquelles ils ne sont ni formés ni rémunérés. Des vendeurs assument ainsi un rôle de manager. Et des managers endossent la casquette du responsable de magasin pendant l’absence de celui-ci.

Selon le document, ce nouveau modèle a installé une ambiance délétère parmi les équipes, avec une concurrence de chaque instant, un manque de transparence sur les évolutions et la répartition de la charge de travail, ainsi qu’un manque de reconnaissance, qui attisent un sentiment d’injustice. « Nous avons des bagarres à cause de la gestion catastrophique », confirme Christopher Lila. Même si l’esprit d’équipe a permis aux salariés de certains magasins de faire front collectivement.

Depuis septembre, face à une situation devenue explosive, le CHSCT a tenté de diligenter une expertise pour risque grave. Mais la direction a longtemps fait obstruction à ce droit. Il a fallu la nomination du mandataire judiciaire, le 26 mars, dans le cadre du redressement judiciaire prononcé par le tribunal de commerce de Paris, pour que ce droit soit finalement accordé aux salariés. La situation d’incertitude absolue sur leur avenir proche, elle, perdure.

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