Avignon in : Ce qui va mourir vous salue…

Dans Dévotion, de Clément Bondu, une jeune promotion de comédiens convoque majestueusement les spectres européens.

Anaïs Heluin  • 2 juillet 2019 abonné·es
Avignon in : Ce qui va mourir vous salue…
© crédit photo : baptiste muzard

Avec sa veste militaire d’un autre temps et son verbe du même acabit, le jeune comédien qui tient lieu de chœur à lui tout seul dans le prologue de Dévotion – Dernière offrande aux dieux morts nous met en garde : ce que l’on s’apprête à voir sur scène est « appelé à périr, à disparaître ». Artistes, décors, matériel technique… Tout est déjà « en route vers le néant ». Comme toujours chez Clément Bondu, qui, avec son groupe ­électro-rock Memorial* comme avec sa compagnie Année Zéro, compose oratorio sur oratorio. Poème dramatique sur poème dramatique, où des héros-conteurs anonymes voyagent seuls à travers le monde pour en faire l’inventaire des désastres. La liste des dérélictions.

Écrite pour quatorze comédiens de la promotion 2019 de l’École supérieure d’art dramatique (Esad) pendant deux ans de laboratoires de recherche portés par Les Plateaux sauvages, Dévotion est une nouvelle exploration des catastrophes d’hier et d’aujourd’hui. Une odyssée à travers l’Europe, l’un des thèmes principaux de la 73e édition du Festival d’Avignon où elle est présentée, après deux avant-premières au Théâtre de la Cité internationale. Peuplée de fantômes de personnages littéraires célèbres – on y croise un Baal, une Ophélia ou encore un Idiot qui ont assez mal tourné –, cette pièce est pour ses interprètes une entrée majestueuse dans la vie professionnelle. Et pour son auteur et metteur en scène une occasion de mettre sa poésie crépusculaire en contact avec d’autres formes, d’autres vocabulaires.

La fête mondaine qui suit le prologue, les scènes conjugales d’Ophélia et de H. ou encore l’errance de l’Idiot, « paradigme du jeune homme ordinaire des métropoles mondiales », ne sont en effet pas faites que de mots. Encore moins de musique, d’habitude centrale dans l’univers de Clément Bondu. Très visuels, quasi cinématographiques, les tableaux qui surgissent de l’ombre pour y retourner une fois la parole tarie font de la scène un espace de questionnement des codes classiques de représentation. Un laboratoire de construction d’un nouveau rituel théâtral fait de morceaux du passé.

Ballet de spectres qui tentent de s’aimer mais qui demeurent aussi solitaires que Clément Bondu dans L’Avenir (2018) ou dans Les Adieux (Nous qui avions perdu le monde) (2019), ses deux spectacles précédents, Dévotion convoque l’Europe jusqu’au vertige. Avec un pessimisme brûlant, dénonçant tantôt par la métaphore tantôt de manière frontale ce qui ne va pas chez nous. Dans ce mélange, il atteint une forme de joie qui régénère. Un plaisir qui fait briller une petite lumière dans la nuit.

Dévotion, du 5 au 8 juillet 2019, gymnase du lycée Saint-Joseph, 04 90 14 14 14, festival-avignon.com

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