Union européenne : Mauvais casting

Pressentie par les chefs d’État et de gouvernement pour présider la Commission européenne, Ursula von der Leyen doit encore obtenir une majorité au Parlement européen.

Michel Soudais  • 10 juillet 2019 abonné·es
Union européenne : Mauvais casting
© photo : Ursula von der Leyen et le président sortant de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le 4 juillet à Bruxelles.crédit : FranÇois WALSCHAERTS/AFP

Deux femmes aux postes les plus importants de l’Union européenne. Présenté ainsi, le choix des chefs d’État et de gouvernement marque un changement. Nommé à la présidence de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde est la première femme à accéder à ce poste auquel se sont succédé trois hommes depuis la création de cette institution le 1er juin 1998. Si le Parlement européen confirme la semaine prochaine la nomination d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne, ce sera aussi la première fois qu’une femme accéderait à cette fonction. Si…

Car pour succéder à Jean-Claude Juncker elle doit convaincre au moins la moitié des 751 députés européens. Et à en juger par les sérieuses réserves exprimées par les eurodéputés quant au processus de nomination aux postes de haut niveau de l’UE, Ursula von der Leyen est loin d’avoir partie gagnée. Sa nomination était inattendue : ministre de la Défense dans le gouvernement allemand depuis plus de cinq ans, après avoir occupé les portefeuilles du Travail (2009-2013) et de la Famille (2005-2009), cette proche d’Angela Merkel, membre comme la chancelière de la CDU, a coiffé sur le poteau d’autres candidats comme le social-démocrate néerlandais Frans Timmermans et la libérale danoise Margrethe Vestager, nommés par leur famille politique pour le poste à la Commission.

En séance plénière, le 4 juillet, les groupes conservateurs (PPE), sociaux-démocrates (S&D), Verts, droite nationaliste (CRE) et gauche (GUE/NGL) ont déploré le non-respect par les chefs d’État et de gouvernement du processus des Spitzenkanditaten. En vertu de celui-ci, la présidence de la Commission aurait dû revenir au Bavarois Manfred Weber, candidat du PPE arrivé en tête du scrutin européen du 26 mai ; ce à quoi Emmanuel Macron s’est fermement opposé. Les eurodéputés ont aussi critiqué l’empressement des Vingt-Huit à proposer les noms des vice-présidents de la Commission puisque le Conseil a promis ces responsabilités à M. Timmermans et à Mme Vestager, et au social-démocrate slovaque Maros Sefcovic. Ainsi que le manque de représentation des pays d’Europe de l’Est, les deux autres hauts responsables nommés sont espagnol – ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Pedro Sanchez, Josep Borrell est pressenti pour occuper le même poste pour l’UE – et belge – le libéral Charles Michel succède au polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen.

Des eurodéputés, singulièrement les sociaux-démocrates, se sont également plaint du rôle excessif joué tout au long de la procédure par des leaders qui ne respectent pas l’État de droit, comme le Premier ministre hongrois Viktor Orban. « Notre candidat a été écarté parce qu’il défendait les valeurs européennes et la prééminence du droit », a déclaré la cheffe du groupe S&D, Iratxe García. Plus direct encore, Martin Schulz, le chef de file des sociaux-démocrates allemands, a estimé que la nomination d’Ursula von der Leyen était « une victoire » pour Viktor Orban. « Pour nous, elle est la ministre la plus faible. C’est apparemment suffisant pour devenir cheffe de la Commission », a-t-il déclaré. « Cette commission sera encore plus faible que la Commission sortante », pronostique pareillement l’écologiste Yannick Jadot, qui, à l’instar de l’Insoumis Manuel Bompard, estime que les nominations du Conseil aux postes clés de l’UE constituent un « très mauvais casting ».

Pour rassembler dans un vote à bulletin secret les 376 voix qui confirmeraient sa nomination, Ursula von der Leyen s’est attelée à rencontrer tous les groupes du Parlement. Elle peut compter sur la bienveillance des 182 élus du PPE, sa famille politique, ainsi que celle des 108 élus libéraux du Renew Europe group (ex-ALDE) dans lequel siègent les macroniens. Beaucoup moins sur un vote favorable des 153 élus S&D : les délégations allemande, britannique, néerlandaise, française et belge sont farouchement opposées à sa candidature ; le reste du groupe, tout en la jugeant défavorablement, était disposé lundi à l’entendre exposer son programme et voir si elle accepte un agenda plus progressiste sur les migrations, le changement climatique et les questions sociales. Quatrième groupe du Parlement (74 élus), les Verts demandent « un programme de réel changement », mais pour Ska Keller, leur coprésidente et candidate malheureuse à la présidence du Parlement européen, il n’y avait lundi « aucune raison » pour qu’ils ratifient la nomination d’Ursula von der Leyen. Un refus du Parlement constituerait un précédent.

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