Morose anniversaire des droits de l’homme en France

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fête son 230e anniversaire ce 26 août, mais son esprit est en berne face à l’impératif sécuritaire et aux inégalités.

Vincent Brengarth  • 23 août 2019
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Morose anniversaire des droits de l’homme en France
© crédit photo : KARINE PIERRE / HANS LUCAS / AFP

Dans la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée nationale constituante votait la suppression des privilèges féodaux. Dans la lignée, elle décidait de graver dans le marbre les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, donnant ainsi naissance à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Le Conseil constitutionnel a conféré à celle-ci une valeur constitutionnelle et l’utilise comme fondement juridique à ses décisions. Pourtant, l’actualité de ce texte – alors qu’il fête cette année son 230e anniversaire – est marquée par un recul croissant des libertés fondamentales, en « très mauvais état » selon les mots de Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Ces libertés sont en effet de plus en plus méprisées sous couvert d’impératif sécuritaire, mais aussi parce qu’elles sont perçues comme une entrave à l’efficacité politique, en particulier en matière migratoire. Elles ne résistent pas non plus à la montée des populismes, qui érigent régulièrement leur remise en cause en argument de campagne à des fins conservatrices (droit à l’avortement menacé aux États-Unis, possibilité pour les commerçants de refuser les clients homosexuels en Pologne…).

Mouvement liberticide

Ces dernières années, la France ne s’est pas dissociée de ce mouvement profondément liberticide en adoptant des législations donnant toujours plus de pouvoirs à l’administration (loi relative au renseignement du 24 juillet 2015, loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 30 octobre 2017…), en menaçant la liberté de la presse (tentative de perquisition à Mediapart, auditions de journalistes par la DGSI…), réprimant durement les mouvements sociaux à l’instar des gilets jaunes mais également les actions symboliques dont l’évacuation musclée des militants d’Extinction Rebellion le 28 juin 2019. Cette liste fait écho aux propos que Robert Badinter avait tenus lors d’une conférence sur les rapports entre la France et la Cour européenne des droits de l’homme en 2011 : « Lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’homme, c’est une figure de style, a-t-il asséné, elle est la patrie de la déclaration des droits de l’homme, aller plus loin relève de la cécité historique. »

Historiquement, il importe finalement peu de rappeler que la déclaration de 1789 est aussi l’œuvre de nobles qui ont voulu protéger leurs droits, en faisant notamment de la propriété un droit inviolable et sacré et en refusant d’affirmer l’existence d’une égalité économique entre les citoyens. Car en effet le texte porte dans son ensemble et dans son esprit une vision profondément protectrice des droits qui devrait encore aujourd’hui nous inspirer dans ce qu’il nous faut conquérir. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (article 1), « la Loi est l’expression de la volonté générale » (article 6), « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme » (article 11)… autant de libertés qui devraient structurer tant les rapports entre les citoyens que les rapports entre ces derniers et l’État.

Pourtant, force est de constater que plusieurs mouvements non limitatifs tendent à fragiliser ces droits censés être inaliénables.

Tout d’abord, c’est un truisme que de constater que les inégalités sociales perdurent et augmentent, portant atteinte à l’égalité des droits affirmée dans la DDHC. C’est finalement la valorisation du droit de propriété qui participe à cloisonner les rapports sociaux, tant le patrimoine est vecteur d’inégalités.

Répression sans précédent des gilets jaunes

Le rapport à la chose politique ne suffit pas à contrarier ce cloisonnement car, malgré les évolutions technologiques, la loi est l’expression d’une minorité davantage animée par des considérations politiques que par le contrat qui devrait la lier à ses électeurs.

Cette impuissance se manifeste notamment en matière fiscale puisque si l’impôt devrait être également reparti entre les citoyens en raison de leurs facultés (article 13 de la DDHC), l’Observatoire des inégalités constate que « 1% des Français les plus riches accapare 5,8 % du revenu national » et que « les personnes qui appartiennent au 1 % le plus aisé reçoivent au moins 7 000 euros par mois, même après avoir acquitté leurs impôts ».

Ensuite, l’État peine à supporter la remise en cause. La répression sans précédent des gilets jaunes témoigne d’un recours à la force publique tendant à protéger des intérêts avant tout étatiques face à une population qui ne se sent pas représentée. L’audition de journalistes enquêtant sur la vente d’armes à l’Arabie saoudite par la DGSI, au mépris du secret des sources, est symptomatique d’un État qui protège là encore ses propres intérêts.

Gageons que ce recours à la force publique ne faiblira pas car l’ère du numérique favorise la transparence, l’accès à l’information et l’expression du plus grand nombre. Le pouvoir en est, de fait, menacé. Par ailleurs, l’urgence climatique entre en contradiction avec le schéma défendu par l’État, obnubilé par l’intérêt économique. C’est donc aussi un projet de vie qui est questionné.

Les 230 années qui nous séparent du vote de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’ont pas suffi à en affaiblir l’actualité. Ces droits sont des outils pensés pour tendre vers une amélioration du fonctionnement démocratique et le développement du « bonheur de tous ». Ne l’oublions pas.

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