Europacity : légumes contre bitume

Alors que le début des travaux est imminent, les opposants au projet Europcacity de Gonesse ont marché vers Matignon.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 8 octobre 2019 abonné·es
Europacity : légumes contre bitume
photo : Les 4 et 5 octobre, des centaines de militants ont marché 20 km pour dénoncer un projet démesuré.
© Martin Noda/AFP

Une vingtaine de kilomètres, deux jours de marche. De quoi resserrer les rangs de la mobilisation avant que tout ne s’accélère pour les opposants à Europacity. Les 4 et 5 octobre, des centaines de militants ont participé à la marche citoyenne depuis le triangle de Gonesse (Val-d’Oise) jusqu’à Matignon pour demander l’abandon du projet Europacity : un mégacomplexe de commerces et de loisirs de 80 hectares, porté par le groupe Auchan associé au conglomérat chinois Wanda, qui prévoit de s’installer sur les terres agricoles de Gonesse, entre les aéroports du Bourget et de Roissy.

Mais ce projet démesuré n’est pas le seul à inquiéter les défenseurs de l’environnement et les riverains. Il s’inscrit dans une zone d’aménagement concerté (ZAC) de 300 hectares, où 130 hectares de bureaux devraient être aménagés. Et pour desservir les quelque 31 millions de visiteurs annuels attendus par les promoteurs, un arrêt de la future ligne 17 du Grand Paris Express doit également être construite. La gare, dont la seule vocation est de relier Paris à ce projet à 3,1 milliards d’euros, serait située à 1,7 km des premières habitations.

Au départ de la marche, sur les dernières terres cultivables d’Île-de-France, on s’inquiète justement du lancement (annoncé pour début novembre) des travaux de la gare. Dans le cortège, Bernard Loup, le président du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG), rappelle les enjeux de la mobilisation : « Nous demandons l’abandon d’Europacity, mais aussi la remise à plat de tout le dossier et une véritable concertation. Cela nécessite d’arrêter les travaux de la gare, puisqu’il est impossible de prendre une décision qui irait vers l’abandon du projet tout en continuant la construction de la ligne 17, laquelle détruirait les terres et la qualité des sols sur 30 hectares. » Car, pour les opposants, l’imminence des travaux, alors même que des recours judiciaires sont en cours pour démontrer l’inutilité du projet, est un piège. Un passage en force de la Société du Grand Paris qui permettrait de justifier par la suite l’urbanisation de la zone et la légitimité du mégacomplexe.

Malgré l’urgence, les militants espèrent encore une prise de position du gouvernement pour mettre un coup d’arrêt définitif au projet. Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique, a été chargée de rendre un avis sur le devenir du projet avant le 10 octobre. Ces dernières semaines, elle a reçu les pro et les anti. Bernard Loup ne s’attarde pas en pronostics et préfère attendre de voir « si Macron sera fidèle à ses déclarations en faveur de l’écologie ». Car les promoteurs n’ont pas prévu de se laisser faire. Ce vendredi, alors que le cortège s’élançait en direction de Matignon, la société Alliages & Territoires annonçait des modifications au projet « en faveur de la transition écologique » : « zéro carbone dès 2027 [avec] vingt ans d’avance sur les accords de Paris », « approvisionnement énergétique fait à 100 % par des énergies renouvelables » et mise en œuvre d’une « compensation » du périmètre d’Europacity « en créant 80 hectares d’espaces naturels et agricoles ».

« Rien que des mots ! » assène Michel Dubromel, le président de France nature environnement (FNE), en franchissant les portes de la Cité fertile de Pantin, espace éphémère installé sur un ancien site de la SNCF et étape entre les deux jours de marche : « le changement de vocabulaire » ne saurait faire d’Europacity un projet « durable ». De même, Robert Spizzichino, le président de Carma (Coopération pour une ambition rurale et métropolitaine d’avenir), parle de modifications « dérisoires » puisque « la nature commerciale du projet reste inchangée ». Ce soir-là, les opposants, réunis autour d’une soupe préparée avec des légumes récoltés sur les terres de Gonesse, préfèrent évoquer leur alternative : le projet Carma.

Lancé en 2016, Carma a été pensé « pour occuper les 670 hectares de terres fertiles que compte le triangle de Gonesse, explique Anne Gellé, administratrice de Terre de liens Île-de-France. L’objectif est de ramener une unité sur le territoire, plutôt que de le diviser en proposant des projets comme Europacity qui se mettent en concurrence avec les autres centres commerciaux du territoire et les commerces de proximité ». Objectif : un programme de transition écologique et d’exploitation des terres agricoles dans une zone périurbaine, où la question de l’autonomie alimentaire se pose particulièrement, sans aucune artificialisation des terres. « L’agriculture bio et saine que l’on promeut contribue à développer la biodiversité et des emplois durables, assure Anne Gellé. Et c’est aussi ce dont le territoire a besoin. »

Le samedi, dans les rues de Paris balayées par la pluie, les opposants ont pris le chemin de Matignon, plus nombreux que la veille. « Des légumes, pas du bitume ! » « Non à Europacity. Oui au projet Carma ! » En tête de cortège, l’association locale Nous Gonessiens se mêle aux nombreux autres collectifs. Les membres de la jeune structure citoyenne présentent une liste aux municipales. « Nous pensons que Carma peut répondre aux besoins du territoire, explique Steven Januario-Rodrigues, coprésident de l’association. Produire une alimentation de qualité pour les écoles et les habitants du territoire, ça fait partie des préoccupations des Gonessiens, comme ailleurs. » Sur ce point, le jeune homme déplore « une anesthésie du débat » et rejette les arguments des pro-Europacity, persuadés que la majorité de la population de Gonesse, les jeunes en particulier, sont favorables au projet : « La plupart des habitants n’aspirent pas à une gare à 1,7 km de chez eux, ni à occuper des emplois non épanouissants. Nous sommes face à une jeunesse qui, comme à Paris, a une sensibilité et une conscience écologiques ! »

À mesure que le cortège approche de Matignon, les discussions évoluent. Que faire si les travaux démarrent sitôt la récolte du maïs terminée ? En juillet, les pelleteuses ont fait une première percée au milieu des champs. Rien d’irréversible, selon les militants, qui avaient tenté de bloquer le passage des engins, sans succès. « On sait très bien que le gouvernement ne laissera pas une ZAD s’installer facilement à proximité du pouvoir, reconnaît Bernard Loup. Mais c’est une zone à défendre, et que nous défendons. Nous devons seulement faire preuve d’imagination. » Depuis 2017, les opposants occupent, un dimanche sur deux, un bout des terres de Gonesse. Un espace où, pour le moment, les légumes poussent tranquillement et où « qui veut vient, entretient, jardine, cultive », sourit Florence, membre du CTPG.

« Bien sûr, nous espérons ne pas en arriver aux situations d’affrontements qui ont pu avoir lieu à Sivens ou à Notre-Dame-des-Landes », poursuit Bernard Loup. Mais la reprise des travaux est « une éventualité à laquelle nous nous préparons, assure Alex, engagée dans la lutte depuis l’hiver dernier. Nous espérons que d’autres associations et citoyens se mobiliseront à nos côtés, mais il faudra faire marcher l’intelligence collective pour faire comprendre que nous sommes légitimes ». Samedi 5 octobre, les manifestants sont rentrés chez eux sans avoir pu rencontrer le Premier ministre. Sans surprise.

Chloé DUBOIS est membre du Collectif Focus, collectif de journalistes et documentaristes indépendant·e·s.

Écologie
Temps de lecture : 6 minutes

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