Le blanchiment de Le Pen

En plein procès de son parti, où il est question de détournement d’argent public, la présidente du RN enfourche un nouveau cheval de bataille : la fraude aux prestations sociales. Avec des chiffres délirants.

Michel Soudais  • 20 novembre 2019
Partager :
Le blanchiment de Le Pen
© Photo : SYLVAIN LEFEVRE / Hans Lucas / AFP

Marine Le Pen ne manque pas de culot. Jeudi 14 novembre, la présidente du Front, pardon… Rassemblement national annonçait lors d’une conférence de presse bien médiatisée son nouveau cheval de bataille : la fraude aux prestations sociales. Elle rebondissait ainsi, avec beaucoup de retard, sur un rapport rendu public en septembre par la sénatrice UDI Nathalie Goulet et la députée LREM Carole Grandjean, qui avaient conclu à « l’impossibilité matérielle » du chiffrage de cette fraude. Mais avec la rhétorique complotiste qui fait son fonds de commerce, la cheffe de file de l’extrême droite suspecte « une volonté de camoufler en réalité l’importance, l’ampleur et accessoirement le montant de la fraude en question ». Elle annonce qu’elle y consacrera un livre blanc au début du printemps. C’est-à-dire à la Saint-Glinglin d’un calendrier politique.

Ce 14 novembre, elle n’en conclut déjà pas moins, avec aplomb, que cette fraude « est multiforme, multisectorielle, et porte sur des dizaines et peut-être des centaines de milliards d’argent public » (sic). Ce chiffrage à la louche, rapporté aux 450 milliards d’euros de prestations sociales versées annuellement, est délirant. Qu’importe. Mme Le Pen n’a que faire de la véracité des chiffres qu’elle avance. Son propos, sa com’ devrait-on dire, est d’une autre nature. Il s’agit pour elle de se poser en rempart contre « un cancer qui […] corrode l’esprit civique » et conduit à une « rupture du pacte social ». Bref de laver plus blanc que blanc sur le terrain de la corruption de l’esprit civique.

Et pourquoi donc maintenant, vous demandez-vous ? Parce que depuis le 6 novembre et jusqu’au 29, se tient le procès de son parti et du financement de ses campagnes électorales devant le tribunal correctionnel de Paris. Sept protagonistes – dont le trésorier du parti, Wallerand de Saint-Just, et l’eurodéputé Jean-François Jalkh – ainsi que trois personnes morales – le FN, dont elle était déjà la présidente, la société de communication Riwal et le micro-parti Jeanne – y sont jugés à divers niveaux dans des accusations d’escroqueries, d’abus de biens sociaux, de recels ou blanchiments, autour des législatives et de la présidentielle de 2012, des municipales et européennes de 2014 et des régionales de 2015. Il y est question de détournement d’argent public. Mais heureusement pour Marine Le Pen et ses proches, les micros et les caméras qui se tendent pour recueillir leur discours ont la délicatesse de ne pas évoquer cet accident judiciaire. Cela entacherait l’image vertueuse que veut donner d’elle l’adversaire qu’Emmanuel Macron s’est choisie.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

La fin du mythe de  la méritocratie 
Parti pris 17 décembre 2025

La fin du mythe de  la méritocratie 

La méritocratie continue d’être brandie comme la preuve que tout serait possible pour qui « se donne les moyens ». Mais ce discours, qui ignore le poids écrasant des origines sociales, n’est rien d’autre qu’un instrument de culpabilisation. En prétendant récompenser le mérite, la société punit surtout ceux qui n’avaient aucune chance. Voici pourquoi le mythe s’écroule et pourquoi il faut enfin le dire.
Par Pierre Jacquemain
Le « sales connes » qui cache la forêt
Parti pris 13 décembre 2025

Le « sales connes » qui cache la forêt

L’insulte surmédiatisée de Brigitte Macron envers des militantes féministes doit nous indigner… Sans nous faire perdre de vue la stratégie d’inversion de la culpabilité mise en place par Ary Abittan.
Par Salomé Dionisi
Budget : le renoncement socialiste
Parti pris 9 décembre 2025

Budget : le renoncement socialiste

Le Parti socialiste, qui avait retrouvé une cohérence en renouant avec la gauche au moment de la Nupes, semble aujourd’hui s’égarer à nouveau. En validant la trajectoire gouvernementale, il fragilise tout le camp progressiste.
Par Pierre Jacquemain
Bardella, l’œuf et la peur
Parti pris 2 décembre 2025

Bardella, l’œuf et la peur

En quelques jours, le président du RN a été aspergé de farine et a reçu un œuf. Pour certains commentateurs, nous serions entrés dans une ère de chaos où la démocratie vacille au rythme des projectiles de supermarché. Ce qui devrait plutôt les inquiéter est la violence d’une parole politique qui fragilise les minorités, les élus et l’État de droit.
Par Pierre Jacquemain