Les climato-faussaires bougent encore

Minorer le changement climatique, prétendre qu’il n’y a aucune urgence à agir, affirmer que la technologie nous sauvera du désastre : en France, les voix ne manquent pas pour diffuser des thèses démenties par la science.

Basta, Mediapart, Politis et Reporterre ont enquêté sur cette galaxie multiforme.

Sophie Chapelle  et  Christophe Gueugneau  et  Alexandre-Reza Kokabi  et  Vanina Delmas  • 28 novembre 2019 abonné·es
Les climato-faussaires bougent encore
© Des touristes visitent Venise lors de l’épisode historique d’acqua alta qui a touché la cité des Doges en novembre. nMiguel MEDINA/AFP

En 2009, le « Climategate » perturbait le sommet international de Copenhague : des milliers d’e-mails piratés dévoilaient des échanges entre climatologues, dont certains ont servi à la sphère climatosceptique pour discréditer les scientifiques, notamment ceux du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Dans la foulée, en France, Claude Allègre attaquait cette même communauté d’experts dans son ouvrage L’Imposture climatique. Ce géologue de formation et ex-ministre de l’Éducation nationale sous Jospin, assurait à coups de mensonges éhontés que le réchauffement climatique n’était qu’un mythe fabriqué par les scientifiques.

Une décennie plus tard, que reste-t-il de cette frange farouchement opposée à l’idée d’un réchauffement climatique d’origine anthropique ? Le groupe Jiec – journalistes d’investigation sur l’écologie et le climat – a tenté de répondre à cette question en se bornant aux frontières de l’Hexagone. En dépit des nombreux rapports du Giec (pas moins de trois en un an), des phénomènes extrêmes qui se multiplient et s’intensifient sur tout le globe, du début de prise de conscience du réchauffement climatique dans la plupart des médias, une chose est sûre : les climato-faussaires ont muté, se font plus discrets, mais ne sont pas morts. Certains scientifiques, politiques ou journalistes continuent de considérer la question du dérèglement climatique comme un sujet de débat et propagent l’idée que le Giec se fourvoie dans une fausse science. Alors que l’idée d’une modification du climat due à l’activité humaine est sortie des « barres d’erreur », pour reprendre le terme du physicien Bruno Andreotti, ces climato-menteurs ne désarment pas.

Une enquête en quatre volets Réalisée par les membres de Journalistes d’investigation sur l’écologie et le climat (Jiec), cette grande enquête sur les climato-faussaires se décline en quatre volets : sur Politis, l’enquête de Vanina Delmas sur le volet médiatique. Retrouvez les contributions sur les politiques, par Alexandre-Reza Kokabi, sur Reporterre ; sur les multinationales, par Sophie Chapelle, sur Bastamag ; sur les scientifiques, par Christophe Gueugneau, sur Mediapart. Ce panorama général, forcément non exhaustif, sera sans doute complété dans les mois à venir. L’ensemble sera également disponible sur le site jiec.fr. N’hésitez pas à nous envoyer vos remarques ou commentaires à l’adresse suivante : contact@jiec.fr.
Plus récemment, un autre courant est apparu en France. Face au consensus, il ne s’agit plus de nier le phénomène, mais d’en relativiser l’urgence, l’ampleur ou les solutions à apporter. Nous les avons nommés les climato-relativistes. L’émergence des mobilisations climat et les prises de parole de Greta Thunberg ont réveillé des relents climato-faussaires chez certains, la plupart du temps âgés, absolument pas climatologues et souvent… des hommes. Laurent Alexandre, urologue fondateur de Doctissimo et partisan de solutions -scientifico-techniques hasardeuses, a brillé ces derniers mois par ses diatribes, notamment dans les émissions entre polémistes ou dans sa chronique hebdomadaire dans L’Express. Le philosophe Luc Ferry, l’essayiste Pascal Bruckner, Élisabeth Lévy, directrice de la rédaction du magazine Causeur, trouvent quelques relais dans les médias – Valeurs actuelles en tête – ravis de se cacher derrière la précieuse pluralité des opinions.

Enfin, impossible de faire l’impasse sur les grandes entreprises comme Total, Engie ou même Air France, dont le discours d’action en faveur de la lutte contre le changement climatique cadre mal, ou très peu, avec les actions menées. Friandes de greenwashing, ce sont les « climato-hypocrites ».

Afin de cerner ces différents courants, les journalistes du Jiec ont concentré leurs recherches sur les scientifiques, les politiques, le monde des affaires et les médias.

Les scientifiques

Vincent Courtillot, géophysicien, un temps directeur de l’Institut de physique du globe – comme Claude Allègre dans les années 1980 – et aujourd’hui membre de l’Académie des sciences, incarne sans doute la figure la plus connue des climato–faussaires français actuels. Un titre qu’il partage avec le physicien François Gervais, auteur de L’urgence climatique est un leurre. Le premier considère le rôle des cycles solaires dans le changement climatique comme -primordial alors qu’il est considéré comme résiduel par une large part de la communauté scientifique. Pour le second, des cycles de soixante ans dans le climat (trente ans de hausse des températures, trente ans de baisse) seraient ignorés – volontairement ? – par les scientifiques du Giec.

Deux autres figures peuvent se targuer d’une petite surface médiatique : Benoît Rittaud, mathématicien, président de -l’Association des climato–réalistes, et Christian Gerondeau, polytechnicien, créateur de -l’Association francophone des climat–optimistes. Peu nombreux, les climato–relativistes sont particulièrement actifs et trouvent leurs principaux relais dans la presse conservatrice et les think-tanks ultralibéraux.

En septembre dernier, 500 « scientifiques et professionnels » de plusieurs pays adressent une lettre à l’ONU : « Il n’y a pas d’urgence climatique ». Parmi les signataires, 68 Français, dont nos quatre figures précédentes ainsi que la plupart des climato-faussaires connus, comme l’ingénieur Jean-Pierre Bardinet, le mathématicien Bernard Beauzamy, le chimiste Jean-Claude Bernier, la géographe Sylvie Brunel, l’économiste Rémy Prud’homme ou encore l’ingénieur Camille Veyres. Ce courrier reprend tous les poncifs : des facteurs naturels autant qu’anthropiques provoquent le réchauffement de la planète, celui-ci est plus lent que prévu et les modèles sont inadéquats ; le CO2 est bon pour les plantes. Qu’importe si ces divers arguments ont déjà tous été démentis par des scientifiques.

Lire sur Mediapart l’enquête de Christophe Gueugneau, Climat: après le «scepticisme» scientifique, le «scepticisme» libéral.

Les politiques

« Brrr brrr, on se caille les miches ! Ceux qui dénoncent le réchauffement climatique sont désespérés », tweetait Jean-Marie Le Pen en février 2018, alors qu’il était encore député européen et président d’honneur du Front national. Cette sortie constitue l’une des rares phrases climato-faussaires entendues ces dernières années sur la scène politique française. Contrairement aux États-Unis, où le clivage entre ceux qui nient le changement climatique – principalement les républicains – et ceux qui s’en emparent – les démocrates – s’est creusé sous le mandat de Donald Trump, les -climato-faussaires sont moins présents en France.

« Nous n’avons pas affaire à un déni total des données scientifiques qui font consensus », estime Delphine Batho, députée et présidente de Génération Écologie. Le changement climatique devenant de plus en plus palpable pour la population française comme dans le monde, « c’est devenu très incorrect de tenir ce genre de propos », affirme Ronan Dantec, sénateur Europe Écologie-Les Verts.

Au sein du gouvernement, au Parlement, « ces climatosceptiques “à l’ancienne” ne sont plus le cœur du problème, pas les principaux freins à l’action aujourd’hui », pense -Matthieu Orphelin, député engagé dans le collectif Accélérons. Si la plupart reconnaissent la réalité du changement climatique, la France accuse pourtant un retard croissant sur les objectifs qu’elle s’est fixés.

Qu’est-ce qui empêche les élus français de prendre leurs responsabilités face aux changements climatiques ? Le relativisme de l’urgence, l’incapacité à remettre en question le modèle croissanciste, le court-termisme, la croyance en l’effort individuel ou le fatalisme, répondent les personnalités interrogées au cours de cette enquête. « Tout cela nous écarte des climatosceptiques à proprement parler, mais participe en fait de la même logique : ne pas agir », note Julien Bayou, porte-parole d’EELV.

Lire sur Reporterre, l’enquête d’Alexandre-Reza Kokabi, Le climato-scepticisme reste présent dans la classe politique.

Le monde des affaires

Les grandes entreprises françaises jouent un rôle majeur dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). La multinationale pétrolière Total figure parmi les 20 entreprises mondiales qui ont rejeté, à elles seules, plus d’un tiers des émissions mondiales de GES depuis 1965. Alors que son premier « plan de vigilance » en 2018 ne mentionnait même pas le changement climatique, Total a fini par réviser son discours, mais ses investissements dans le pétrole et le gaz restent faramineux. Même chose du côté des grandes banques françaises – Crédit agricole, BNP, Société générale –, qui, sous couvert de nouveaux produits financiers « décarbonés », ont investi près de 10 milliards d’euros dans les entreprises actives dans le secteur du charbon. Depuis l’accord de Paris en 2015, seulement un tiers du CAC 40 a réduit ses émissions de GES.

« S’opposer à toute ambition accrue » en matière de lutte contre le changement climatique en utilisant l’argument de la distorsion de compétitivité, c’est la stratégie de Business-Europe, lobby patronal regroupant le gratin des multinationales du Vieux Continent. Il reste également quelques patrons pour l’affirmer haut et fort. Carlos Tavares, PDG du groupe automobile PSA, dont les émissions ont augmenté de 60 % entre 2016 et 2018, a récemment dénoncé la « pensée unique » sur le CO2, suggérant même que les objectifs climatiques de l’UE allaient porter atteinte à la « liberté de mouvement ».

La stratégie se révèle parfois plus insidieuse, à l’instar du groupe énergétique Engie qui communique et investit massivement dans le « gaz propre ». Bien que le « gaz propre » soit considéré comme une « fable » par plusieurs ONG, la puissance de feu des lobbys du gaz, avec l’appui de conseillers en relations publiques comme l’agence Weber Shandwick, semble avoir fonctionné : une kyrielle d’infrastructures gazières sont aujourd’hui financées par l’UE ou les États. D’autres multinationales misent également sur des technologies controversées pour lutter contre le changement climatique, comme Total dans le domaine de la capture et de la séquestration de carbone, ou Air France dans la compensation.

Lire sur Basta! l’enquête de Sophie Chapelle, Réchauffement climatique : ces multinationales, patrons ou agences de com’ qui brillent par leur hypocrisie.

Les médias

Des blogs sur Internet ont permis d’importer les théories venues des États-Unis ainsi que le mot « climatosceptique » (traduction de climate-skeptic) puis les médias mainstream français s’en sont emparés pour faire de l’audience, du buzz, du clic. C’est l’objet de l’enquête de Politis, Montée d’un dérèglement médiatique, par Vanina Delmas.

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