Les révolutions hissent les couleurs

Flottant au-dessus des foules révoltées aux quatre coins du globe, les drapeaux, autrefois plutôt rouges ou noirs, aujourd’hui plus divers, sont de puissants symboles, fédérateurs et mobilisateurs.

Mathilde Larrère  • 27 novembre 2019
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Les révolutions hissent les couleurs
© Le drapeau berbère est brandi par des manifestants à Rabat, au Maroc, le 15 juillet 2018.FADEL SENNA/AFP

De Santiago à Beyrouth en passant par La Paz, Alger, Barcelone, Quito ou Paris, les foules soulevées brandissent des forêts de drapeaux. Les emblèmes nationaux dominent, concurrencés en Amérique du Sud par les drapeaux des peuples indigènes, mapuche au Chili, ou la wiphala bolivienne, emblème sacré multicolore de la communauté aymara, devenue le deuxième drapeau national de la Bolivie depuis la Constitution de 2009. En Algérie, le drapeau amazigh (berbère) reste présent dans les rassemblements en dépit de son interdiction par le pouvoir (valant de lourdes condamnations, début novembre, à 21 personnes). Logiquement, les Barcelonais se sont soulevés contre l’inique jugement d’octobre dernier (1) en hissant des drapeaux catalans. Ronds-points et manifestations des gilets jaunes ont vu se déployer des drapeaux tricolores. Seules les manifestations à Hongkong semblent exemptes d’étendard, même si le drapeau de la ville est parfois exhibé.

Rien de surprenant à cela. Brandis par les foules, plantés au sommet des barricades, exhibés dans l’espace public occupé, les drapeaux ont toujours été au cœur de la geste révolutionnaire. Ils donnent de l’élan, identifient visuellement la cause, marquent l’appropriation symbolique, parfois effective, de l’espace. Et nombre des drapeaux nationaux d’aujourd’hui étaient les étendards des révolutions d’hier.

Trotsky, leçons d’exil

C’est l’une des plus célèbres et volumineuses autobiographies d’un intellectuel et homme politique. On la trouvait déjà en accès libre. Qu’est-ce qui peut donc pousser un éditeur à s’atteler à la réédition d’un tel texte ? Outre sa dimension quasi patrimoniale, peut-être aussi un contexte dans lequel il est urgent de redéfinir les valeurs d’une gauche internationaliste, communiste et émancipatrice, et de rappeler que certains, avant notre monde, en ont posé quelques jalons. Trotsky est de ceux-là : compagnon de route et théoricien de la révolution de 1917, ennemi juré de Staline et du dévoiement d’un des projets politiques les plus réjouissants du siècle dernier, il doit être relu et retrouvé moins comme figure totémique que comme ressource pour penser l’après-demain. Cela même – et surtout – en situation d’exil comme semble l’être la gauche aujourd’hui.

Ma vie Léon Trotsky, préface d’Edwy Plenel, Éd. du Détour, 2019, 752 pages, 27 euros.

Les révolutions du XIXe siècle sont en France le théâtre d’intenses guerres des drapeaux. Bleu, blanc et rouge sont pour la première fois réunis sur la cocarde des combattants de la Bastille du 14 juillet 1789. En 1792, c’est derrière un drapeau rouge que les sans-culottes prennent les Tuileries. En juillet 1830, les révolutionnaires font tomber le drapeau blanc de la monarchie restaurée et arborent à nouveau les trois couleurs révolutionnaires. Mais, parce que la monarchie de Juillet les adopte officiellement, les républicains qui se soulèvent contre ce régime libéral ressortent le drapeau rouge. En février 1848, la bataille des drapeaux fait rage à nouveau. Aux ouvriers, aux socialistes qui cherchent à imposer le drapeau rouge de la République démocratique et sociale, le gouvernement provisoire dominé par des libéraux impose le maintien du drapeau tricolore. Un conflit qui se rejoue en septembre 1870, à la chute du Second Empire, quand Gambetta et Ferry arrachent le fanion rouge qui flottait sur l’Hôtel de Ville pour proclamer la République dans les plis d’un drapeau tricolore. La Commune fait du rouge son étendard… avant qu’il ne devienne son linceul, poussant Louise Michel à lui préférer le drapeau noir, celui du deuil, dans les années 1880.

Le drapeau rouge est pourtant resté au cœur des soulèvements et des révolutions sociales puis communistes du XXe siècle. Le voici arboré dans les révolutions de 1917 en Russie. Si, en URSS, le drapeau rouge s’institutionnalise et devient symbole d’autorité, il garde ailleurs sa charge contestatrice, permettant aussi d’afficher une filiation avec la Révolution russe, la pensée marxiste ou le grand frère de Moscou, et ce de Pékin à La Havane, des années 1930 aux années 1960.

Le drapeau noir est quant à lui repris par les familles anarchistes, pour justement se distinguer du rouge des marxistes. On le retrouve dans l’armée de Zapata au cœur de la révolution mexicaine (1910-1920), ou chez les anarchistes russes qui s’affrontent aux bolcheviques.

Ailleurs s’opère la synthèse bichromatique du rouge et du noir. La CNT (Confederación Nacional del Trabajo) l’adopte ainsi dans un ordonnancement en diagonale au cœur de la révolution qui accompagne la guerre d’Espagne (1936-1939). Le Mouvement du 26 Juillet, qui conduit la révolution cubaine, choisit le même bichrome, cette fois en bandes horizontales (1953-1959).

Le retour des drapeaux nationaux est notable depuis les « révolutions de velours » qui, se dressant contre le bloc soviétique, en rejettent le drapeau, ainsi qu’au cœur du Printemps arabe, en citation aux drapeaux de l’indépendance. Cette nouvelle séquence de l’histoire des révolutions qui tranche avec son moment communiste abandonne en effet les symboles plus évidemment politiques (rouges, noirs) pour leur préférer des emblèmes nationaux, alors relestés d’une charge contestatrice qu’ils avaient pu perdre, dans lesquels se reconnaissent mieux les différentes couches sociales et les groupes politiques qui aujourd’hui se soulèvent ensemble contre les régimes néolibéraux et autoritaires.

(1) Le 14 octobre 2019, neuf dirigeants catalans ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour sédition et désobéissance, en raison de leur rôle lors du référendum illégal d’autodétermination en octobre 2017.

Monde
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