Contre Trump, une vague de « résistantes »

Depuis la défaite d’Hillary Clinton, les femmes démocrates sont les meilleures opposantes au Président. Dans tout le pays, une nouvelle génération s’engage en vue des élections de 2020.

Alexis Buisson  • 22 janvier 2020 abonné·es
Contre Trump, une vague de « résistantes »
© Aux abords du Capitole, à Washington, pour la quatrième Marche annuelle des femmes.MARIO TAMA/GETTY IMAGES/AFP

Mercredi 9 novembre 2016. Donald Trump vient d’être élu président. Battue, Hillary Clinton prononce son discours de défaite devant un pays déboussolé. Elle a un message pour les femmes. « Nous n’avons pas encore brisé le plafond de verre le plus haut et le plus dur, dit-elle en référence à l’élection présidentielle. Mais je sais que quelqu’un y parviendra un jour, et j’espère que cela sera plus tôt que nous le pensons. » La démocrate, première candidate d’un grand parti à la présidentielle, s’adresse ensuite aux « petites filles » qui la regardent. « Ne doutez jamais que vous avez de la valeur, du pouvoir, et que vous méritez toutes les opportunités dans le monde et toutes les chances de poursuivre vos rêves. »

Depuis ce moment, les femmes de gauche sont devenues les meilleures opposantes au trumpisme. Le 21 janvier 2017, au lendemain de l’investiture de Donald Trump, des millions d’États-uniennes, coiffées de bonnets roses, participaient aux marches des femmes organisées dans tout le pays pour protester contre le sexisme affiché du nouveau président. Cet activisme naissant a servi de catalyseur, cette année-là, au mouvement anti-harcèlement #MeToo, qui a entraîné la chute de plusieurs hommes influents dans le domaine des médias, de la politique et du divertissement visés par des plaintes pour abus sexuels. Le 18 janvier, elles étaient encore des dizaines de milliers à Washington et dans 200 villes à travers le pays.

Depuis les élections de mi-mandat de novembre 2018, un nombre record de femmes siègent au Congrès. Cent trois ont été élues ou réélues lors de ces échéances qui ont vu le renouvellement de l’intégralité de la Chambre des représentants et d’un tiers du Sénat. Ce sont les candidates victorieuses dans plusieurs circonscriptions contrôlées par des hommes républicains qui ont permis au Parti démocrate de reprendre le contrôle de la Chambre, après deux années douloureuses dans l’opposition. Au total, 126 des 535 sièges du Congrès sont occupés par des femmes (25 au Sénat, 101 à la Chambre des représentants), soit 23,6 %.

Les observateur·trices politiques avaient dénommé 2018 « année des femmes ». Depuis, elles sont aux premiers rangs de la « résistance », dans laquelle se reconnaît l’ensemble de l’opposition à Donald Trump. La jeune députée de New York Alexandria -Ocasio-Cortez est certainement le visage le plus visible de cette opposition. Avec trois autres élues de la cuvée 2018, dont la plus âgée a 45 ans – Ilhan Omar, du Minnesota ; Rashida Tlaib, du Michigan ; et Ayanna Pressley, du Massachusetts –, toutes issues de minorités, elle forme « the Squad » (« la Brigade »), un groupe régulièrement pris pour cible par Trump et qui le lui rend bien.

Elles ne sont pas les seules. La candidate à la primaire démocrate pour 2020 Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts incarnant l’aile gauche du parti, figure parmi les favori·es de la course et ne manque pas une occasion de dire ce qu’elle pense de ce président « corrompu », « raciste » et « incompétent ». Quant à Nancy Pelosi, femme la plus puissante de Washington en tant que présidente de la Chambre des représentants, à majorité démocrate, elle a émergé comme l’opposante en chef depuis qu’elle a décidé d’enclencher la mise en accusation (« impeachment ») de Donald Trump en septembre dans le cadre de l’affaire ukrainienne. « Le militantisme des femmes de gauche atteint un niveau exceptionnellement élevé, souligne Melody Crowder-Meyer, professeure de science politique au Davidson College (Caroline du Nord) et spécialiste des questions de représentation politique. Cela aura un effet de long terme. On voit plus de femmes donner de l’argent au Parti démocrate et, grâce à leur militantisme accru, elles pourront acquérir de l’expérience pour se présenter aux élections. »

Au-delà des personnalités, cette montée en puissance féminine s’explique par des tendances de fond. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’émancipation professionnelle des femmes ne cesse de croître aux États-Unis. Selon le dernier rapport sur l’emploi, elles occupent désormais une – courte – majorité (50,04 %) des postes dans les entreprises américaines. Le mouvement devrait s’accélérer au fur et à mesure que les services prendront le pas sur les secteurs historiquement dominés par les hommes, comme l’industrie. Plus diplômées que les hommes (59,4 % des masters délivrés en 2017), elles investissent aussi des professions qui étaient, jusqu’à présent, des chasses gardées masculines, dans l’industrie minière ou les transports par exemple.

Dans le même temps, l’émergence des « millennials » (nés entre 1984 et 1996) et de la « génération Z » (après 1997) transforme le discours autour du féminisme. D’après un sondage de YouGov en 2018, la part de la population se disant « féministe » a augmenté après l’élection de Donald Trump (de 26 % à 30 %), y compris chez les hommes. « Quand je regarde les jeunes Américains aujourd’hui, je constate qu’ils ont un rapport très différent aux notions d’égalité femmes-hommes, de respect entre les sexes et de consentement que les générations passées. Les choses évoluent dans le bon sens », affirme Sarah Ann Masse, une actrice américaine devenue l’une des voix du mouvement #MeToo.

À 15 ans, Ishida Devgan fait partie de ces jeunes États-uniennes engagées dans le militantisme en 2016. Après avoir participé à la première marche des femmes à Washington à l’âge de 12 ans, elle est maintenant impliquée dans l’association environnementale Sunrise et dans un groupe de lutte contre la violence liée aux armes à feu. D’après une étude de l’université Notre-Dame, la part des adolescentes (15-18 ans) démocrates disant qu’elles avaient participé à une manifestation ou qu’elles comptaient le faire a bondi de 16 à 28 % entre 2016 et 2017. C’est beaucoup plus que les garçons de leur âge avec la même affiliation politique (de 12 à 14 %). « Les femmes sont plus conscientes des problèmes sociaux que les garçons, car nous faisons face, très jeunes, au harcèlement et à d’autres défis », analyse-t-elle.

« Nous assistons peut-être à l’émergence d’une génération ouverte à l’engagement politique, à l’image des baby-boomers qui ont grandi pendant les manifestations des années 1960 et ont conservé leur engagement toute leur vie. Les jeunes filles démocrates sont peut-être lancées sur une trajectoire d’activisme politique qui durera toute leur vie », avancent les auteurs de l’étude dans un article paru dans le Washington Post en mars.

Les États-Unis ne sont pas devenus un pays féministe pour autant. En 2016, 52 % des femmes blanches ont voté pour Donald Trump, et il y a peu de raisons de penser qu’elles le lâcheront en masse en 2020. En outre, la question épineuse de l’éligibilité des femmes a provoqué une minicrise chez les démocrates avant le premier vote des primaires, dans l’État de l’Iowa, le 3 février. Début janvier, Elizabeth Warren a accusé son rival démocrate Bernie Sanders d’avoir dit, en 2018, qu’une femme ne pourrait pas devenir présidente – l’intéressé a nié avoir tenu de tels propos. Interrogée sur cette question lors du dernier débat des primaires, le 14 janvier, la sénatrice a rétorqué que les quatre hommes présents sur la scène à ses côtés avaient, en tout, perdu « dix élections », alors que les deux femmes (elle et la sénatrice Amy Klobuchar) avaient remporté toutes les leurs. Ce qui lui a valu des applaudissements enthousiastes du public. « Les femmes ne sont pas perçues ou traitées par les médias comme les hommes, surtout quand il s’agit de la présidentielle, une élection qui a été très masculinisée. Comme il n’y a pas de précédent d’une présidente des États-Unis, cela ajoute un degré de difficulté, précise Melody Crowder-Meyer. Mais cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas être élues. Après tout, Hillary Clinton a obtenu plus de voix que Trump en 2016 (1). Chez les démocrates, les études montrent d’ailleurs qu’être une femme donne un léger avantage électoral. »

Une analyse réalisée en 2017 montre que l’hostilité envers l’idée d’une présidente a largement diminué depuis 2016 (de 26 à 13 %), en particulier chez les démocrates. Cependant, ces progrès sont fragiles, relativise Melody Crowder-Meyer. « Tout est une question de perception : si un débat éclate pendant la campagne et suscite des doutes sur la capacité d’une femme à diriger le pays, les électeurs vont se raccrocher à des modèles qu’ils connaissent, à savoir voter pour un homme blanc », explique la spécialiste. Par ailleurs, l’engagement politique des femmes ne connaît pas la même résurgence côté républicain. « En raison de la culture du parti, les républicaines sont moins incitées à se présenter. Quand elles se lancent, on leur met des bâtons dans les roues. L’égalité femmes-hommes ne fait pas partie de la culture des électeurs et des donateurs républicains comme chez les démocrates. C’est dommage. Le pays dans son ensemble gagnerait à avoir plus d’élues des deux bords. »

(1) Donald Trump a obtenu une majorité de grands électeurs, mais Hillary Clinton a recueilli presque 3 millions de voix de plus que lui au niveau national.

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