Les angles morts du plan antiséparatisme

Le projet présenté par Emmanuel Macron est marqué par l’occultation des causes sociales de certains replis identitaires.

Denis Sieffert  • 26 février 2020 abonné·es
Les angles morts du plan antiséparatisme
© Emmanuel Macron, le 18 février, à Mulhouse.Jean-Francois Badias / POOL / AFP

Voici donc le premier volet du plan antiséparatisme islamique annoncé de longue date et présenté le 18 février par Emmanuel Macron. La mesure phare réside dans la fin de ce qu’on appelle l’islam consulaire, c’est-à-dire le système de détachement d’imams venus principalement de Turquie, du Maroc et d’Algérie, et de financement de mosquées par ces mêmes États. À charge pour le Conseil français du culte musulman (CFCM) de proposer d’ici à six semaines un système de remplacement incluant d’autres modes de financement, et de prise en charge de la formation de cadres religieux francophones. Une gageure dans un pays laïque qui interdit, à juste titre, toute hypothèse d’aide de l’État.

Même si les mosquées financées par l’étranger sont très minoritaires (250 sur les 2 500 lieux de culte répertoriés), le CFCM sera contraint de faire davantage appel aux fidèles. Ce qui n’est pas sans risques. L’appauvrissement favorisera la multiplication de « lieux de culte » peu visibles, plutôt que des mosquées. On arriverait alors à l’inverse de l’objectif affiché de plus grande transparence. De même, la prise en charge des 300 imams aujourd’hui rémunérés par l’étranger, en plus des 800 bénévoles recensés, va soulever de nouveaux problèmes. S’agira-t-il de multiplier les bénévoles, parfois autoproclamés, ou de former de véritables prêcheurs « made in France » dont il faudra payer la formation et assurer la rémunération, sans que l’on sache par qui et comment ?

Le plan prévoit également la fin, dès septembre prochain, du système Elco (enseignements langue et culture d’origine). Ces enseignements sont généralement dispensés par des professeurs envoyés par des pays liés à la France par des accords bilatéraux. Quelque 80 000 élèves sont concernés. Derrière cette mesure, c’est la Turquie qui a été explicitement ciblée par le président de la République. Un autre mécanisme – les enseignements internationaux en langue étrangère (Eile) – devrait être créé d’ici à la rentrée prochaine.

Mais, plus encore que les questions de financement, c’est la philosophie générale du plan qui pose problème. Tout est fait comme si le mal – le « séparatisme » – était inhérent à l’islam ou à ses courants salafistes. Comme si la rupture de ces jeunes gens avec notre société était la faute de l’islam et de l’influence de puissances étrangères. Rien sur la disparition des services publics. Rien sur la ghettoïsation des quartiers. On retrouve ici comme une loi implicite de toutes les politiques libérales. Il faut à tout prix nier la question sociale. Avec son plan anti-islamisme, Emmanuel Macron n’évite pas le risque d’une focalisation identitaire. Les causes seraient sui generis, c’est-à-dire à rechercher dans l’islam même. Ce que le chercheur Laurent Bonnefoy, sur le site Orient XXI, appelle « une immaculée conception idéologique ». Dans ce divorce entre une jeunesse en repli et la République – Emmanuel Macron a parlé d’un « mur » –, les torts ne seraient jamais partagés. Notre société et nos politiques n’y auraient aucune part.

Le discours de Macron a suscité de nombreuses réactions. Mohammed Moussaoui, président du CFCM, dénonce « un jeu politicien qui nous dépasse » et « des débats publics qui font de la spiritualité [des musulmans] un objet de suspicion permanent ». Citons également ce texte signé par vingt-cinq universitaires, pour la plupart spécialistes de l’islam (1) : « Aucun d’entre nous ne nie le fait que certains jeunes issus des quartiers populaires se replient sur eux-mêmes en épousant parfois le salafisme, et pour une infime minorité le jihadisme ou encore une version “orthodoxe” de l’islam. Mais ce sont les racines sociales, économiques et culturelles de ce repli sur une approche clivante de la religion qu’il importe d’identifier, en en dénonçant les causes et non les expressions. » Enfin, les signataires n’ont pas tort de souligner que « ce repli est aussi une réaction à certaines des politiques conduites par la France dans le monde musulman ». Ils citent la question israélo-palestinienneet pointent la mansuétude dont bénéficie par exemple la dictature égyptienne. Autant d’angles morts dans le discours présidentiel.

(1) Texte publié par Mediapart.

Société
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