« Il faut les défendre, c’est dans notre ADN »
Aujourd’hui dans #lesdéconfiné·es, Me Victoire Sirol, 27 ans, avocate au barreau de Bordeaux, qui défend les étrangers menacés d’expulsion alors que les frontières sont fermées, et les centres de rétention démunis face au Covid.

En grève ou en confinement, c’est toujours le même dilemme pour les avocats. Plus les jours passent, plus je me demande si ce n’est pas une connerie de s’exposer au virus. Ou nous nous protégeons, ou nous défendons les plus faibles. La réponse reste la même, il faut y aller, c’est dans notre ADN. C’est étrange, ce palais de justice complètement vide en pleine semaine. Je ne croise personne, et quand j’en croise une, elle porte parfois un masque. Pourtant, les affaires continuent. Les centres de rétention administrative n’ont pas fermé leurs portes, donc les audiences pour tenter de remettre les étrangers en liberté continuent. Je viens à une audience pour repartir aussitôt.
J’ai défendu douze dossiers en un jour, puis trois dossiers. Pour ces trois derniers, j’ai été contrainte de revenir, la préfecture avait fait appel. Ils sont Marocains, Algériens, Tunisiens pour la plupart – Pakistanais et Géorgiens parfois. En général, ils arrivent là après un contrôle d’identité, ils n’ont pas leurs papiers, ils ont une obligation de quitter le territoire français et voilà. Mais là, les policiers vont les chercher à la sortie de prison. À la sortie de prison, puis direction la rétention. Ils les « cueillent ». Les frontières ont été fermées, pourquoi les expulser ? Ou les maintenir en rétention ? Nous ne pouvons plus les renvoyer dans leurs pays ! Un juge des libertés et de la détention de Bordeaux n’a pas voulu libérer l’un d’eux, car « il sera mieux protégé là-bas plutôt que dehors ». Comment peut-il penser ça ? L’argument est inaudible. Le ménage dans les CRA n’est plus fait depuis le 16 mars.
Moi, je vois ce confinement comme un prolongement de notre grève. Nous devons redoubler de créativité, appréhender notre métier différemment. La solidarité s’est renforcée dans la lutte contre la réforme des retraites. J’en vois les résultats : nous communiquons plus, nous échangeons des conseils, nous nous tenons informés des dernières évolutions législatives. Pour les étrangers, nous peaufinons ensemble nos plaidoiries, les arguments à mettre en avant. Et ceux bloqués chez eux avec leurs enfants, même s’ils ne plaident plus, ils nous envoient des messages de soutien.
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