Le rôle crucial des tests de dépistage

La pandémie de Covid-19 doit nous faire prendre conscience des risques à venir d’expansion des maladies infectieuses et de notre impréparation.

Emmanuel Drouet  • 8 avril 2020
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Le rôle crucial des tests de dépistage
© Transfert de patients infectés par le coronavirus dans un TGV médicalisé, le 1er avril.Photo : THOMAS SAMSON /AFP

L’actualité est désormais dominée par la nouvelle pandémie du virus Covid-19. Et pour cause : celle-ci touche presque tous les aspects de notre vie. Nos emplois, nos interactions sociales, nos écoles et même notre capacité à rester en contact avec la famille. Pour la plupart des adultes professionnellement actifs en Occident, nés après la dernière guerre mondiale et n’ayant jamais vécu de conflit armé, ce qui se passe actuellement est la plus grande perturbation des systèmes commerciaux, sociaux, financiers et de soins de santé qu’ils aient jamais connue (1).

Il a fallu quelques changements au niveau de sa séquence génomique et une recombinaison entre virus de mammifères pour qu’émerge le virus SARS-CoV-2 (famille des Coronaviridae et agent d’une nouvelle maladie humaine, le Covid-19) en novembre 2019 dans la province de Hubei en Chine. Puis qu’il se transmette selon un mode épidémique puis pandémique chez l’homme. Ce passage de barrière d’espèces entre mammifères et l’homme n’avait pas réussi en 2003 lors de l’épidémie de SARS-CoV dans les pays asiatiques, et le virus avait complètement disparu.

Cette émergence de Covid-19 est clairement le fait de modification d’écosystèmes, notamment en Chine, et son expansion à travers le globe chez les humains pourrait être liée à des variations de paramètres environnementaux (pollution atmosphérique) et à des changements globaux (intensification des transports aériens). Inoffensifs chez les animaux, ils provoquent des symptômes faibles chez la plupart des humains infectés mais deviennent dangereux chez les personnes à risque : âge avancé, immunodéprimés, faiblesses respiratoires (asthme, broncho-pneumopathies), maladies chroniques (cancer, diabète). Ce qui semble spécifique à Covid-19, plus que son taux de mortalité (qui reste à préciser, sans doute inférieur à 1 %), c’est le caractère pandémique de son évolution, qui conduit à la surcharge des hôpitaux, dans des pays n’ayant pas eu les moyens d’anticiper les mesures sanitaires.

Depuis le début de l’épidémie, de nombreuses polémiques sont apparues, notamment au sujet des tests de dépistage ou de la pénurie de masques. Celle liée à l’hydroxychloroquine nécessitera sans doute que l’on revienne sur quelques fondamentaux pharmacologiques et sur l’analyse des comportements du corps médical et politique, sur ce défi scientifique/thérapeutique et éthique.

Le manque de tests de dépistage représente sans doute la grande faille des systèmes de santé dans la plupart des pays au monde, excepté Singapour et la Corée du Sud. En effet ces pays ont tiré les enseignements du SARS-CoV de 2003 et du MERS-CoV de 2015, respectivement. La Corée du Sud a appris l’importance de la préparation « à la dure ». En 2015, un citoyen coréen, dit « super-contaminateur », revenant du Moyen-Orient avait déclenché une chaîne de transmission ayant infecté 186 personnes (36 décès), dont de nombreux patients hospitalisés pour d’autres maladies, des visiteurs et du personnel hospitalier. Le dépistage, les tests et la mise en quarantaine de près de 17 000 personnes ont interrompu la propagation en deux mois. Le spectre d’une épidémie avait alarmé la nation et ébranlé l’économie. Cette expérience a montré à la population que les tests de laboratoire étaient essentiels pour contrôler une maladie infectieuse émergente et pour améliorer la prévention et le contrôle des infections en milieu hospitalier. Jusqu’à présent, aucun cas d’infection à Covid-19 n’a été signalé chez les personnels de santé sud-coréens.

L’Allemagne (taux de mortalité Covid de 0,2 %) est un des rares pays occidentaux à avoir produit suffisamment de tests de dépistage viral. Lorsque ces tests seront appliqués à une large échelle en France et en Europe, on en saura plus sur le taux de mortalité, le confinement sera levé et les traitements pourront être appliqués en prophylaxie, comme l’OMS vient de le signaler en lançant une étude chez les personnels de santé exposés. Il faudra aussi préciser les séquelles (pulmonaires et neurocognitives) susceptibles de persister chez les patients guéris qui auront été gravement atteints.

La pandémie de Covid-19 révèle l’ampleur de la menace que représentent les maladies infectieuses pour nos sociétés. Ce virus est un signal d’alarme qui doit nous faire prendre conscience de ces risques. Avec le réchauffement de la planète, la saison de la grippe pourrait se prolonger toute l’année, comme c’est déjà le cas sous les tropiques, et cela lui donnera plus de temps pour muter en souches plus dangereuses. Et, selon un article publié en 2019 dans The Scientist (2), un climat plus chaud pourrait « diminuer la réponse immunitaire » des humains, « ce qui nous rend plus vulnérables à des virus comme la grippe ».

Plus de trois milliards de personnes sont désormais confinées. Les échanges sont à l’arrêt ; les économies, au point mort. L’humanité est aujourd’hui confrontée à une crise mondiale, peut-être la plus grande crise de notre génération. Les décisions que les citoyens et les gouvernements prendront au cours des prochaines semaines façonneront probablement le monde pour les années à venir. Ils façonneront non seulement nos systèmes de santé, mais aussi notre économie, notre politique et notre culture. Comme le dit justement Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, dans Le Monde du 26 mars : _« Nous étions préoccupés par la guerre biologique. Nous tremblons de peur face à la fonte du pergélisol…. Nous réalisons que le problème est encore plus large. Les crises sanitaires mondiales ne sont plus des événements rares ». Au slogan « Restez chez vous » devra se substituer le mot d’ordre « Retroussons nos manches ».

> À lire : La fonte du permafrost, une menace toxique et infectieuse

(1) Les dernières pandémies connues sont la grippe espagnole en 1918, celles de 1968 et 1977, la pandémie de HIV dans les années 1980 et la dernière peste de 1855.

(2) « Climate Change May Hamper Response to Flu : Study », Carolyn Wilke, 5 février 2019, www.the-scientist.com

Emmanuel Drouet Microbiologiste à la faculté de pharmacie de Grenoble.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 5 minutes
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