« Tu veux vivre librement de ton activité ? Démerde-toi. »

Aujourd’hui dans #LesDéconfinés, le coup de gueule de Jérôme, artisan brasseur indépendant à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Devrait-il rester confiné comme on le lui suggère, alors que sa situation économique est précaire ? Et la bière serait-elle moins indispensable que d’autres aliments ?

Patrick Piro  • 15 avril 2020
Partager :
« Tu veux vivre librement de ton activité ? Démerde-toi. »
© L'atelier de Jérôme, brasseur de bière artisanal. photo : Lila Azeu

Ce matin je me suis réveillé agacé de petites remarques calées derrière un clavier : « Tu vois, travailler, aller livrer tes bières en ce moment, c’est dangereux pour tout le monde, si on veut se débarrasser du virus, il faut rester chez soi, blablabla… »

Alors pour une fois, je vais te raconter ma situation, qui vaut, j’en suis sûr, pour des milliers de personnes.

Je suis artisan, « indépendant » comme affublé par la catégorisation administrative. Par idéologie capitalistique, l’État a exclu les gens dans mon cas des côtisations chômage. Tu comprends, je suis « libre » de me payer comme je veux, je prends « un risque entrepreneurial », il ne faudrait pas non plus que je demande aussi l’argent du beurre. Tu veux vivre librement de ton activité ? Démerde-toi.

#Lesdéconfinés, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.
Il se trouve que je suis issu d’une famille modeste (économiquement), et je n’ai pas d’argent qui dort pour me permettre une distanciation des urgences matérielles. Et comme j’ai l’outrecuidance de vouloir vivre sous un toit et de manger trois repas par jour (le reste étant un luxe très épisodique), eh bien je n’ai pas le choix : je bosse.

Nos charlots du « gouvernement » ont communiqué ces dernières semaines sur des millions d’euros disponibles pour sauver l’économie. « Pourquoi donc Martin tu ne demandes pas à en bénéficier ? » Car pour les 1 500 euros d’aide d’urgence, il faut justifier d’une réduction d’activité d’au moins 50 %. Raté, pas de bol, je n’ai fait « que » moins 35 %. Les propositions de crédits ? Elles viendront s’ajouter aux prêts déjà en cours. Au passage, quel pipeau ! La décision d’attribuer un prêt garanti est laissée au soin des banques, qui ne lâcheront pas grand chose aux petites boîtes. Restent des côtisations diverses simplement reportées, dont la facture arrivera plus tard.

Bref, il ne faut pas être grand analyste pour comprendre qu’il va y avoir de la casse. Les petites boîtes, celles qui démarrent, dont la viabilité économique est encore à trouver, n’auront pas la capacité de repartir à la fin de ce grand bazar. Le « nouveau monde » qui se dessine va sans doute ressembler à une régénérescence du capitalisme au profit d’une petite oligarchie, plutôt qu’à une aimable conversion à l’économie de proximité et aux circuits courts…

Enfin, je propose à toutes ces personnes prolixes en avis sur le boulot des autres une petite réflexion sur ce que serait une « activité essentielle » qui aurait le droit de continuer quand d’autres devraient s’arrêter impérativement.

J’ai sans doute beaucoup d’amis pour lesquels la bière et autres alcools sont indispensables pour une vie joyeuse. Pour d’autres, l’art et la culture sont essentiels. Ou bien le jardinage, la nature… Moi j’aurais quelques trucs à dire sur la nécessité des métiers de la finance ou de la publicité. Et puis derrière mon activité, il y a l’agriculteur, le malteur, le houblonnier, celui qui fabrique l’emballage, l’étiquette, le carton, la bouteille, celui qui livre, etc.

Tu vois que c’est un peu plus compliqué qu’au premier abord. Voilà pourquoi je ne vais pas m’épuiser en ce moment en lectures et ennuis ensoleillés, et que je vais sortir pour aller livrer les gens, en respectant les consignes sanitaires. Et ne t’y trompe pas, je ne te demande pas de soutien ou de courage, juste un peu plus de distanciation intellectuelle et d’altruisme.

Soutenez Politis, faites un don !

Envie de soutenir le journal autrement qu’en vous abonnant ? Faites un don et déduisez-le de vos impôts ! Même quelques euros font la différence. Chaque soutien à la presse indépendante a du sens.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Répression à Sainte-Soline : les trois mensonges de l’État
Luttes • 29 mars 2023

Répression à Sainte-Soline : les trois mensonges de l’État

Depuis ce week-end et la mobilisation contre la mégabassine de Sainte-Soline, c’est un véritable tissu de mensonges qui s’est déployé dans la bouche des autorités. Politis vous résume les trois principaux.
Par Zoé Neboit
Violences sexistes et sexuelles : « À droite, les femmes choisissent davantage de se taire »
Entretien • 29 mars 2023

Violences sexistes et sexuelles : « À droite, les femmes choisissent davantage de se taire »

Laure Poisson travaille à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) sur les violences sexistes et sexuelles dans les organisations de jeunesse et les partis politiques, avec un focus sur le PCF et LREM.
Par Daphné Deschamps
Violences sexuelles au PCF : une parole qui n’en finit pas de se libérer
Société • 29 mars 2023 abonné·es

Violences sexuelles au PCF : une parole qui n’en finit pas de se libérer

Politis a recueilli les témoignages d’anciennes militantes du Parti communiste français et de son mouvement de jeunesse, qui racontent une organisation à l’« atmosphère anxiogène », « presque sectaire » et qui pousse les victimes vers la sortie, malgré des engagements pris depuis des années.
Par Daphné Deschamps
Comment les partis politiques traitent les violences sexistes et sexuelles
Société • 29 mars 2023 abonné·es

Comment les partis politiques traitent les violences sexistes et sexuelles

À la suite de #MeToo et de divers mouvements de libération de la parole, la plupart des formations politiques françaises de gauche se sont dotées de cellules de gestion des violences sexistes et sexuelles. La droite renâcle encore.
Par Daphné Deschamps