Camille, accompagnante d’élèves en situation de handicap : « Nous ne sommes pas considéré·es »

Récit d’une rentrée pas comme les autres, raconté par celles et ceux qui en ont la charge. Camille, accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH) dans une école maternelle et élémentaire du Finistère, nous raconte cette semaine particulière. Témoignage (3/6)

Partager :
Camille, accompagnante d’élèves en situation de handicap : « Nous ne sommes pas considéré·es »
© Photo : JOEL SAGET / AFP

P ar l’Éducation nationale, nous ne sommes pas considéré·es », constate amèrement Camille (1), qui accompagne plusieurs élèves en situation de handicap au sein d’un même groupe scolaire. Que ce soit durant la période de confinement ou dans le cadre du retour progressif des élèves à l’école, « nous n’avons jamais reçu la moindre information sur ce qui allait se passer, ni sur d’éventuelles mesures spécifiques à appliquer dans le cadre de notre accompagnement auprès des élèves.» Pour être au courant de la « reprise », Camille a du s’adresser directement à la direction de son école.

« Les objectifs fixés » sont-ils vraiment « remplis » comme l’affirme Jean-Michel Blanquer ? Selon lui, 1,4 million de jeunes élèves sont retournés à l'école et près de 4 000 collèges, en « zone verte », ont rouverts leurs portes (2). Des chiffres contrastés par la fermeture de plusieurs dizaines d'établissements suite à la découverte de cas porteurs du virus, et l'amer constat des personnels pédagogique : ce ne sont pas les élèves les plus en difficulté sociale et scolaire qui reviennent.

Mais celle-ci, qui n’est pas sa hiérarchie, n’avait pas reçu plus de renseignements spécifique concernant l’adaptation de la mission des AESH sur son établissement. « Pourtant, il s’agit d’élèves avec qui nous ne pouvons pas respecter la principale mesure, celle de la distanciation physique. Les enfants ont besoin de contacts rapprochés pour se déplacer, s’habiller, être rassurés, aller aux toilettes, ou parfois être changés, s’ils ne sont pas propres ». Cela, sans parler de l’accompagnement en classe, pour aider à la prise de notes ou aux activités manuelles.

Pour Camille, il est évident qu’ « il nous faut des explications plus adaptées à la réalité », mais aussi « de quoi travailler sereinement, notamment en matière de protection sanitaire ». Par exemple, « je pense qu’avec les enfants que j’accompagne, je vais avoir besoin de blouses ». Mais l’accompagnante sait que cela sera difficile. Lors des journées de prérentrée, rien n’était prêt. Les masques n’ont été livrés que tard dans la semaine et « le matériel continue d’arriver au compte-gouttes : pour le moment, nous n’avons qu’une boîte de 50 masques, et toujours pas de gel hydroalcoolique. Côté mairie, on nous dit que c’est aussi bien de faire avec du savon. Je veux bien, mais on ne peut pas se lever toutes les cinq minutes si on travaille avec un élève. Ce serait quand même plus simple d’avoir un tube de gel par classe…» Car d’après Camille, « ces manques créent des tensions dans l’équipe ». « Bien sûr, nous allons nous adapter. Mais si les mairies et le ministère voulaient bien jouer le jeu et nous fournir ce qu’il faut, je pense que ça roulerait mieux. Le problème va persister, et il faudrait commencer à organiser les choses pour la rentrée de septembre. Et il ne suffit pas de nous dire : “débrouillez-vous”. On fait déjà ce qu’on peut. »

Par ailleurs, les AESH, dépendant·es de la présence de l’enfant pour pouvoir exercer leurs missions, se sont rendu·es sur leurs lieux de travail alors même que les enfants qu’ils et elles accompagnent n’y étaient pas, ou pas encore. Selon la CGT Éduc’action, qui rappelle la précarité des AESH, leurs hiérarchies auraient ainsi demander à ces professionnel·les des tâches « qui ne sont pas les leurs : surveillance, […] organisation et désinfection des classes et du matériel, remplacement des Atsem, et, en prévision de la réouverture des collèges, travail administratif des assistant·es d’éducation… ». « En attendant que les enfants que nous accompagnons reviennent à l’école, nous nous occupons des autres élèves, raconte en effet Camille. Nous faisons du rangement, du ménage, ou tout un tas de choses qui ne relèvent pas de nos missions. Mais comme on nous demande de venir, on le fait. J’aimerais mieux participer au télé-travail, mais rien n’a été mis en place pour nous, pour que nous puissions continuer de suivre nos élèves. La fermeture, en mars, a donné l’impression d’une fin d’année. C’est vraiment dommage. Avec les enfants, c’est un travail sur le long terme, et nous avons évidemment envie de savoir où ils en sont, nous assurer qu’ils ne soient pas trop perdus. »

———————-

(1) Le prénom a été changé

(2) Si Blanquer assure que 90% des établissements du premier degré ont rouvert, une enquête du SNUipp-FSU, syndicat majoritaire du premier degré, évoque une réouverture de 70% d’entre eux.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Loi Duplomb : comment le gouvernement éteint les voix paysannes
Décryptage 30 juin 2025 abonné·es

Loi Duplomb : comment le gouvernement éteint les voix paysannes



La « loi Duplomb » est discutée en commission mixte paritaire à partir de ce lundi 30 juin. Le texte ne bénéficiera qu’à une poignée de gros agriculteurs et invisibilise celles et ceux qui défendent une agriculture paysanne et vertueuse.
Par Vanina Delmas
Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
Terrorisme 28 juin 2025

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.
Par Pauline Migevant
Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale
Idées 28 juin 2025 abonné·es

Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale

L’idéologie accélérationniste s’impose comme moteur d’un terrorisme d’ultradroite radicalisé. Portée par une vision apocalyptique et raciale du monde, elle prône l’effondrement du système pour imposer une société blanche.
Par Juliette Heinzlef
« Notre école est le dernier service public du village »
École 26 juin 2025

« Notre école est le dernier service public du village »

Depuis vingt ans, 7 000 écoles publiques ont été fermées. Celle du Chautay, dans le Cher, pourrait également disparaître. Cette école est l’une des dernières classes uniques de ce département rural. Des parents d’élèves, dont Isabelle, ont décidé de lutter pour éviter cette fermeture.