La mobilisation à l’épreuve du déconfinement

La colère aussi se déconfine. Hier, à L’Île-Saint-Denis, environ 300 personnes se sont réunies contre les violences policières. Une mobilisation à valeur de test pour les prochains mouvements.

Romain Haillard  • 12 mai 2020
Partager :
La mobilisation à l’épreuve du déconfinement
© Crédit : Romain Haillard.

Elles n’avaient manqué à personne. A peine les premiers militants arrivés à L’Île-Saint-Denis, le vrombissement des brigades de répression de l’action violente motorisées (BRAV-M) s’est fait entendre. Hier, à l’appel de nombreuses organisations nationales et locales, une chaîne humaine contre les violences policières dans les quartiers populaires devait se tenir en Seine-Saint-Denis. Mais ce qui devait être une mobilisation respectueuse des distances physiques a finalement viré à la nasse.

Le même jour, une mobilisation matinale par petits groupes inférieures à dix personnes s’est vue dispersée à Rennes. Selon la Coordination des Intermittents, intérimaires et Précaires de Bretagne, des militants auraient été verbalisés. A Nantes également, un rassemblement de soutien s’est tenu devant le CHU de l’Hôtel-Dieu, salué par les soignants. Malgré un départ en cortège, aucune verbalisation ou arrestation n’a eu lieu dans ce chef-lieu de la contestation, tout comme à L’Île-Saint-Denis. Mais la présence policière massive autant que le risque de contamination lors de tel rendez-vous posent la question de la survie des mobilisations.

Ici, l’appel « La colère des quartiers populaires est légitime »

« Nous devons vivre avec ces nouvelles conditions, mais nous devons tout faire pour qu’elles ne deviennent pas un prétexte à interdire toutes revendications », assène Madjid Messaoudene, élu de la ville de Saint-Denis présent au rassemblement contre les violences policières. Le conseiller municipal avertit : « Les colères ne seront jamais confinées. » A la critique d’un risque de contamination du fait du rassemblement, il rétorque : « Les policiers ont encerclé directement des personnes qui cherchaient à se tenir à distance les uns des autres. » Les organisateurs n’avaient pas pris de micro et de sono, aucune prise de parole ou de tribune ne devaient avoir lieu pour éviter des points de fixation. De fait, la tactique choisie a favorisé la promiscuité.

À lire aussi > Quartiers, confinement et police : la population retient son souffle

L’élu dionysien insiste sur le caractère « historique » de l’appel, soutenu par Attac, la Ligue des Droits de l’Homme et plusieurs syndicats dont la CGT et Solidaires. Si Youcef Brakni du Comité pour Adama s’en félicite aussi, il se désespère de l’absence de signature des partis politiques traditionnels. Une absence ressentie également au rendez-vous d’hier soir. « Un député de gauche nous a rétorqué que nous ne parlions pas suffisamment de la faim dans les quartiers. Alors c’est comme ça ? Si nous adoptons la position du mendiant c’est possible de nous aider ? Mais si nous sommes en action, que nous quittons notre passivité, nous ne méritons pas leur soutien », tempête le militant.

« Les violences policières, c’est la mèche reliée aux barils de poudre »

« Après 55 jours de confinement, les militants sont quand même venus, et en Seine-Saint-Denis en plus. C’était important que ça se tienne ici, dans le département où les commentateurs nous ont accusé de tout. » Régulièrement montrés du doigt, les habitants des quartiers ont souvent été accusés de propager le virus. « Il y a un imaginaire colonial. Tout d’abord le racisme a été contre les asiatiques, puis ensuite ça a touché les noirs, les arabes. Des populations vues comme nombreuses et « grouillantes » », pointe le militant.

Omar Slaouti, membre du collectif du 10 novembre contre l’Islamophobie, lui dépeint une situation explosive qui ne s’arrête pas avec le confinement : « En plus d’une pandémie, nous avons une misère endémique – les frigos sont vides à l’intérieur des foyers. Il y aura des mobilisations mais elles ne ressembleront pas à celle d’avant. Nous parlons de révoltes dans les quartiers populaires, d’émeutes de la faim. Les violences policières, c’est la mèche reliée aux barils de poudre. Et ce ne sont pas les gauchistes qui allumeront le brasier, mais bien les forces de l’ordre. »

Comme Youcef Brakni, l’habitant d’Argenteuil reproche lui aussi la posture attentiste des partis traditionnels. « Ils pensent le monde de demain ? Nous sommes dans le monde du maintenant, où la douleur se ressent de manière aiguë. » Le militant contre l’Islamophobie exhorte les forces de gauche à inclure les quartiers populaires et ses acteurs de terrain. « En septembre, il y aura mouvement social. Quand les manifestations reprendront, il faut que ça parte des quartiers populaires. Au lieu de répéter le classique « République-Nation », imaginons un parcours banlieue-banlieue. » Le lieu seul ne devra pas changer selon Youcef Brakni : « Il va falloir innover, penser de nouvelles manières de se mobiliser. »

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« La gauche ne parle pas aux ruraux et c’est (aussi) pour ça qu’elle perd »
La Midinale 18 novembre 2025

« La gauche ne parle pas aux ruraux et c’est (aussi) pour ça qu’elle perd »

Lumir Lapray, activiste et autrice de « Ces gens-là ». Plongée dans cette France qui pourrait tout faire basculer aux éditions Payot, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Devant une usine de pesticides BASF, paysans, malades et médecins dénoncent « une guerre chimique »
Reportage 17 novembre 2025 abonné·es

Devant une usine de pesticides BASF, paysans, malades et médecins dénoncent « une guerre chimique »

À Saint-Aubin-lès-Elbeuf en Seine-Maritime, une action d’infiltration a été menée ce 17 novembre dans une unité du géant industriel allemand, pour dénoncer la fabrication de produits interdits en Europe, tel le fipronil.
Par Maxime Sirvins
« Complicité de crime de guerre » : des associations veulent interdire un salon immobilier israélien
Israël 17 novembre 2025 abonné·es

« Complicité de crime de guerre » : des associations veulent interdire un salon immobilier israélien

Dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur que Politis a pu consulter, quatre associations demandent l’interdiction de l’événement Icube, qui a proposé, lors de ses précédentes éditions, des biens dans des territoires illégalement occupés par Israël.
Par Pauline Migevant et Hugo Boursier
13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre