L’urgence de reconnaître les écocides

Emmanuel Macron doit prendre au mot les propositions de la Convention citoyenne pour le climat afin de donner les outils juridiques nécessaires à la lutte climatique. Un bouleversement qui doit passer par un référendum.

Valérie Cabanes  et  Marie Toussaint  • 1 juillet 2020
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L’urgence de reconnaître les écocides
Le président de la République recevait les 150 citoyens de la Convention pour le climat le 29 juin.
© CHRISTIAN HARTMANN/POOL/AFP

La Convention citoyenne pour le climat (CCC) a porté plusieurs propositions d’ordre constitutionnel mais aussi législatif, comme la reconnaissance de l’écocide. Les 150 citoyens tirés au sort souhaitent que ces mesures fassent l’objet d’un référendum afin que les Français choisissent eux-mêmes le futur qu’ils souhaitent. En premier lieu, ils demandent que les politiques publiques respectent le plafond écologique que constituent les limites planétaires, seuils scientifiquement chiffrés depuis 2009 par le Stockholm Resilience Center et en deçà desquels l’humanité doit rester pour éviter de basculer dans un état planétaire devenant dangereux pour elle. Ils proposent pour cela la création d’une Haute Autorité aux limites planétaires, constituée de collèges scientifiques pour chacune des limites, et qui aurait la charge d’évaluer avant, pendant et après la mise en place d’une mesure (loi, règlement, programme, etc.) si celle-ci est définie dans le respect de ces seuils. Son expertise permettrait d’aboutir à une vision écologique transversale innervant nos lois et nos politiques publiques, afin d’infléchir notre trajectoire collective vers la catastrophe planétaire.

Pour que ce cadre soit contraignant, les 150 ont aussi souhaité que soit créé un nouveau crime : celui d’écocide. Ils demandent ainsi que notre activité industrielle se conforme à des normes écosystémiques qui permettent de préserver des conditions d’existence dignes aux générations présentes et à venir. Selon la définition rédigée par la CCC, « constitue un crime d’écocide toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées » (mesure adoptée à 99,3 %).

Conscients que le franchissement des limites planétaires est d’abord le fait des plus gros pollueurs – entreprises transnationales pétrolières, agrochimiques et minières –, ils ont choisi de définir le critère moral retenu pour le crime d’écocide selon le principe de la connaissance des conséquences de leurs activités et non selon celui de l’intention de nuire. En effet, ces multinationales agissent par appât du gain et ne peuvent nier connaître l’effrayante trajectoire prise par le climat, dont le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a fait état, ni la sixième extinction de masse dans laquelle nous sommes engagés et dont a fait état l’IPBES (1).

Il est terriblement de mauvaise foi de colporter dans les médias l’idée que le crime d’écocide viserait tout le monde, tout citoyen qui ne serait pas suffisamment vertueux dans ses choix de consommation ou de déplacement. 71 % des émissions de gaz à effet de serre sont émises par l’action de 25 multinationales dans le monde. Ces dernières agissent sans contrainte et ne sont soumises à aucune obligation internationale, l’accord de Paris n’engageant que les États à agir. C’est d’ailleurs en ce sens que la contrainte posée aux activités industrielles de respecter les limites planétaires doit émaner de l’État afin que celui-ci assume pleinement son rôle, à savoir protéger sa population et son territoire à long terme, avant de protéger les intérêts financiers à court terme du secteur de l’industrie et de ses actionnaires.

La crise environnementale commande une révolution juridique aussi profonde que celle ayant marqué l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, ou celle ayant accompagné la révolution industrielle en France en reconnaissant la responsabilité objective de l’employeur vis-à-vis des salariés et ouvriers des mines et des usines en 1898. Tout autant qu’une révolution, la reconnaissance de l’écocide et l’inscription du climat dans la Constitution s’inscrivent ainsi aussi dans la continuité de l’histoire de la République. Elles permettraient un changement de paradigme en corrélant les droits humains au respect du droit de la nature à perdurer. Reconnaître l’écocide constituerait un renversement de l’ordre juridique, et de la hiérarchie des priorités politiques ; il s’agirait d’inscrire dans notre droit le principe d’interdépendance entre les humains et le reste du vivant ; pour que nul crime contre la nature ne reste impuni et, ainsi, que nos droits les plus fondamentaux soient préservés.

Nous ne pouvons plus prétendre lutter contre le fléau que sont la destruction de la planète et ses conséquences humanitaires avec le droit mou (soft law) sans imposer d’obligations juridiques. Et nous n’avons que trop tardé : le préjudice écologique, reconnu seulement en 2012 par la jurisprudence et en 2016 par la loi, vient tout juste de connaître ses premières applications. Les infractions pénales existantes se limitent à punir des violations de normes sectorielles et ne reconnaissent pas la valeur intrinsèque de la nature. Elles sont en outre encore mal appliquées : les plaintes et les poursuites sont peu nombreuses par rapport aux infractions repérées, et elles aboutissent souvent à des jugements négatifs, à des remises de peine ou à des condamnations qui ne se révèlent pas à la hauteur des dommages causés…

La proposition de loi sur l’écocide portée par la CCC permettrait, par sa vision écocentrée, de protéger de façon plus efficace notre capacité en tant que société humaine à vivre et à perdurer sur Terre. Il est de notre devoir de soutenir et d’accompagner les 150 pour que l’esprit de cette loi ne soit pas trahi lors des travaux du groupe de suivi que souhaite créer Emmanuel Macron autour de la notion d’écocide. Il est tout aussi important que le Président accepte ensuite de soumettre cette mesure directement aux Français. Il doit prendre la responsabilité politique de convaincre sa propre majorité à l’Assemblée nationale et une majorité de sénateurs de droite, farouchement opposée à cette loi, de permettre la tenue d’un référendum. Les citoyens français doivent pouvoir choisir eux-mêmes s’ils veulent continuer de vivre dans un modèle de société ultralibéral et prédateur qui leur garantisse un certain confort à court terme mais sans filet de sécurité à long terme, ou s’ils sont prêts à vivre plus sobrement afin de garantir l’avenir de leurs descendants.

(1) Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 5 minutes
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