Gouverner sans chef, ils l’ont fait ! Gilets jaunes : quand le moyen devient la fin

Tiers-lieux, ZAD, mais aussi gilets jaunes : galerie d’exemples de groupes qui s’organisent différemment.

« Si la parole ne circule pas, l’intelligence collective ne peut pas fonctionner. »

Romain Haillard  • 16 décembre 2020 abonné·es
Gouverner sans chef, ils l’ont fait ! Gilets jaunes : quand le moyen devient la fin
Rencontre nationale des Communes libres et des initiatives municipalistes, nde Commercy les 18 & 19 Janvier 2020.
© Patricia Huchot-Boissier/AFP

Au-delà des clichés d’un mouvement bordélique qui lui collent aux gilets, le peuple des ronds-points a plutôt fait preuve d’une rigueur extrême sur ses principes. Ne pas laisser des têtes dépasser, ne jamais se laisser confisquer la parole. Depuis sa création, l’Assemblée des assemblées (ADA) – sorte de forum de concertation et laboratoire d’idées du mouvement – a toujours respecté cette ligne.

L’ADA trouve son origine dans l’appel de Commercy, lancé fin décembre 2018. Face aux exhortations du gouvernement et d’une partie du mouvement des gilets jaunes à élire des représentants régionaux, des révoltés de la Meuse refusent de négocier. Aux discussions des palais parisiens ils préfèrent des assemblées populaires sur les ronds-points. Chacune de ces assemblées pourra alors envoyer à l’Assemblée des assemblées une délégation avec ses revendications.

Commercy, Saint-Nazaire, Montceau-les-Mines, Montpellier, Toulouse… Cinq éditions se sont succédé depuis le premier appel. Une sixième est programmée, cette fois-ci en Île-de-France, sans date fixe encore, crise sanitaire oblige.

Chaque délégation doit respecter une limite de quatre personnes. Deux porte-parole (un homme et une femme de préférence)et deux observateurs dépourvus du droit de vote. Cette restriction répond à une préoccupation logistique, pour éviter une déferlante jaune. De 300 à Commercy, l’ADA a vu sa fréquentation presque tripler à Saint-Nazaire, avec plus de 800 personnes présentes. Face à cet engouement, l’équipe organisatrice de la troisième édition, à Montceau-les-Mines, a dû inventer des filtres. Les participants envoient au préalable une photo de groupe. « Pour éviter l’infiltration par les forces de l’ordre et éviter les gens qui ne représentent qu’eux-mêmes », explique John, un gilet jaune de Commercy.

L’Assemblée des assemblées se joue en deux temps : les groupes de travail, thématiques et en petit comité ; les séances plénières, où sont restituées les discussions des groupes de travail et où de nouveaux appels sont votés par les porte-parole. Pendant les trois jours de l’ADA, une quinzaine de « facilitateurs » animent les discussions. « Ils ne dictent pas ce qu’il y a à faire, mais aident à avancer et gèrent les tensions », explique un groupe de gilets jaunes de Saint-Nazaire (1).

John, présent à trois éditions de l’ADA, admet tout de même des difficultés à débattre en plénière : « La parole ne circule pas suffisamment dans les grands groupes. Si elle ne circule pas, l’intelligence collective ne peut pas fonctionner. » Une analyse partagée par les gilets jaunes de Saint-Nazaire : « En plénière, certains se lâchaient sur leur avis personnel. Mais, en groupe de travail, il y avait tellement de gens attentifs à la réflexion collective que celui ou celle qui tirait la couverture de son côté se faisait tacler. »

L’ADA n’a jamais eu la prétention de gouverner les gilets jaunes, mais plutôt de les inspirer. John le résume bien : « Elle sert à monter en compétence, à trouver des idées pour nourrir la réflexion localement, à faire du bien au moral aussi, en voyant que ça bouge ailleurs. À se donner de la force. » L’impossibilité de s’accorder sur le fond n’a jamais eu d’importance. La méthode gilet jaune a primé pour devenir sa propre finalité.

(1) Les gilets jaunes de Saint-Nazaire ont refusé le principe d’un entretien individuel. Ils ont préféré nous répondre collectivement.

Société
Publié dans le dossier
Gouverner sans chef, c'est possible
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

À Paris, un conducteur percute deux personnes lors d’une manifestation de sans-papiers
Racisme 17 octobre 2025 abonné·es

À Paris, un conducteur percute deux personnes lors d’une manifestation de sans-papiers

Vendredi 10 octobre, un homme en voiture a percuté des manifestants lors d’une mobilisation organisée par un collectif de sans-papiers à Paris. Deux hommes ont été blessés et ont porté plainte. Malgré leurs témoignages, la police a retenu l’infraction de « blessures involontaires ».
Par Pauline Migevant
À Rouen, l’académie refuse de scolariser des mineurs isolés et à la rue
Reportage 16 octobre 2025 abonné·es

À Rouen, l’académie refuse de scolariser des mineurs isolés et à la rue

Malgré un droit constitutionnel adoubé par la convention des droits de l’enfant, la scolarisation est une bataille au quotidien pour les jeunes exilés de la plus grande ville de Seine-Maritime. Depuis plusieurs mois, ils luttent face au refus de l’académie de les scolariser.
Par Louis Witter
« Plan social déguisé » : 20 salariés d’un sous-traitant d’Amazon contestent leur licenciement
Luttes sociales 15 octobre 2025 abonné·es

« Plan social déguisé » : 20 salariés d’un sous-traitant d’Amazon contestent leur licenciement

Licenciés pour faute il y a un an, ils ont décidé d’attaquer cette décision auprès des prud’hommes de Marseille, ce mercredi. En cause : le refus d’être mutés à plus de 130 kilomètres de leur lieu travail suite à la perte d’un contrat avec Amazon.
Par Pierre Jequier-Zalc
À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur
Reportage 15 octobre 2025 abonné·es

À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté le 14 octobre contre le traité de libre-échange UE-Mercosur, à Paris, à l’appel du syndicat. Un texte qui exercerait une concurrence déloyale pour les agriculteurs français et menacerait la santé et le climat.
Par Vanina Delmas