Pas touche au commerce international

Renégocier le Ceta, mettre fin aux tribunaux d’arbitrage, subordonner les règles des échanges mondiaux à l’urgence climatique : autant de préconisations de la Convention citoyenne pour le climat qui ont été enterrées.

Maxime Combes  • 10 mars 2021
Partager :
Pas touche au commerce international
Manifestation contre le Ceta, le 16 juillet 2019 devant l’Assemblée nationale, à Paris.
© Estelle Ruiz / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Proposée par la Convention citoyenne pour le climat, la renégociation du Ceta, cet accord de libéralisation du commerce et de l’investissement entre l’Union européenne (UE) et le Canada, a été immédiatement écartée par Emmanuel Macron. Le 29 juin 2020, dans les jardins de l’Élysée, le Président affirmait retenir 146 propositions sur les 149 soumises par la convention citoyenne, tout en confirmant que le Ceta continuerait à s’appliquer. L’une des 146 propositions officiellement retenues était donc d’emblée enterrée. Le ton était donné.

En écartant l’une des mesures phares de la convention, à application et effet immédiats, Emmanuel Macron aggravait la situation abracadabrantesque qui entoure le Ceta. Voici en effet un traité qui s’applique très largement depuis le 21 septembre 2017, alors que le processus de ratification n’est pas arrivé à son terme – ni en France ni au sein de l’UE. Voté par l’Assemblée nationale en juillet 2019 par une courte majorité, le texte avait d’ailleurs été présenté en « procédure accélérée ». Près de deux ans plus tard, de report en silence et de silence en report, le Ceta n’a toujours pas été présenté au Sénat.

Le Ceta s’applique donc de façon « provisoire » depuis trois ans et demi. Pourtant, le constat est clairement établi : « Le climat est le grand absent du Ceta », a statué, dès septembre 2017, la commission d’experts nommée pour évaluer cet accord. En rejetant la proposition de la Convention citoyenne, Emmanuel Macron entérine ainsi son refus de remettre en cause la mondialisation des échanges et de faire de la lutte contre le réchauffement climatique un principe supérieur à son expansion. Et ce au moment même où la pandémie de Covid-19 a mis en exergue les failles de cette même mondialisation néolibérale et productiviste.

Ce n’est pas la seule mesure de la Convention citoyenne portant sur le commerce international qui a été enterrée. La proposition 4.1.2 visait à « mettre fin aux tribunaux d’arbitrage » qui permettent à des entreprises d’attaquer les pouvoirs publics, notamment lorsque ces derniers prennent des mesures en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Dernier cas d’école en date : la multinationale allemande RWE poursuit les Pays-Bas et réclame 1,4 milliard d’euros de compensation à la suite de leur décision de sortir du charbon d’ici à 2030 (1). Pour cela, RWE utilise le méconnu traité sur la charte de l’énergie (TCE). Négocié, signé et ratifié dans les années 1990, il visait à protéger les investissements des énergéticiens européens dans les pays de l’ex-URSS, jugés insuffisamment sûrs sur le plan juridique. Aujourd’hui, il sert surtout aux multinationales européennes pour poursuivre d’autres pays européens lorsque ceux-ci prennent des mesures climatiques qui contreviennent à leurs profits actuels ou espérés. De fait, le TCE retarde, renchérit ou empêche la transition énergétique. Il protège les pollueurs (2).

Les associations alertent là-dessus depuis des années. Avec un certain succès puisque des centaines de parlementaires et de scientifiques appellent désormais l’UE et ses États membres à désarmer ce traité. Un million de personnes en Europe ont même signé une pétition en ce sens en à peine quinze jours (et vous ?) (3). Mais la Commission européenne préfère viser une impossible modernisation (4). La France se limite pour l’instant à demander à Bruxelles d’envisager les conditions d’un éventuel retrait coordonné des 27 États membres. La proposition visant à supprimer ces tribunaux d’arbitrage ne figure d’ailleurs ni dans la liste des propositions de la France pour réviser la politique commerciale européenne ni dans celles retenues par la Commission européenne. Plus généralement, tout le monde parle de relocalisation, mais ni Paris ni Bruxelles n’ont réellement pris la mesure des transformations à opérer pour que les règles du commerce international ne soient plus des obstacles en matière de transition énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique.

Les batailles en cours, d’un côté pour la sortie du TCE, de l’autre pour bloquer l’accord UE-Mercosur et œuvrer en faveur de la relocalisation écologique et solidaire, notamment en proposant aux collectivités territoriales de s’engager à ce sujet (5), sont donc décisives : ne laissons pas passer cette occasion.

Par Maxime Combes Économiste, chargé des questions « commerce-relocalisation » à l’Aitec.

(1) « Pays-Bas. La sortie du charbon attaquée par la multinationale de l’énergie RWE via le Traité sur la charte de l’énergie », 8 février 2021, www.collectifstoptafta.org

(2) « L’accord qui protège les pollueurs », Politis, 20 novembre 2019.

(3) Pétition « L’UE et la France doivent sortir du traité sur la charte de l’énergie, ce traité qui protège les pollueurs », à signer sur www.collectifstoptafta.org

(4) Lire notre décryptage, « Analyse des propositions de Bruxelles sur le Traité sur la charte de l’énergie », 2 mars 2021, aitec.reseau-ipam.org

(5) « Stop accord UE-Mercosur : demandons aux collectivités territoriales de s’engager », 6 octobre 2020, www.collectifstoptafta.org

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don