Venise : manne et malédiction du tourisme
« Venezia è unica », répètent ses responsables et ses habitants. Mais la pandémie la plonge aujourd’hui, comme Florence ou Sienne, dans une crise systémique qui montre l’impasse d’une « monoculture touristique » qui n’a fait que croître ces dernières décennies, jusqu’à détruire son écosystème et son tissu social.
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Venise est étrangement déserte. Depuis plus d’un an, l’économie du centre historique, qui vit très largement du tourisme, a subi une baisse d’environ 90 % de son chiffre d’affaires. Commerçants, restaurateurs et gérants de café croulent sous les difficultés économiques. Sans soutien véritable de la part de l’État, selon la longue tradition transalpine d’un interventionnisme et d’une solidarité nationale défaillants, qui ont nourri le très ancien ressentiment de toute la péninsule à l’égard de Rome. Ce pouvoir considéré comme lointain, levant essentiellement les impôts, imposant des normes mal comprises et délivrant des services souvent lacunaires. Ces sentiments sont largement exploités par l’extrême droite, représentée par la Ligue, jadis défendant exclusivement le nord du pays, riche région.
Pourtant, si Venise est bien « unique » par ses trésors historiques, architecturaux et sa centaine d’églises, ses chefs-d’œuvre de Bellini, Tintoret, Véronèse, Palma le Jeune ou Vivarini, la pandémie vient de lui admonester une sérieuse mise en garde quant au modèle de développement fondé depuis des décennies sur le seul tourisme de masse. Le sociologue Gianfranco Bettin, aujourd’hui conseiller municipal écolo d’opposition, fut maire adjoint à l’environnement dans l’ancienne équipe de centre-gauche, de 2010 à 2014, avant d’être élu de 2015 à 2020 (quand la droite remportait la mairie centrale) au poste équivalent de maire d’arrondissement à Porto Marghera (dont il est originaire), où sont implantés d’immenses établissements industriels, notamment chimiques et pétroliers. Ses pouvoirs sont très restreints, mais il demeure