Agent orange : la plainte de Tran To Nga jugée irrecevable

Le tribunal d’Évry s’est déclaré incompétent pour juger la plainte de Tran To Nga, franco-vietnamienne, contre quatorze multinationales ayant fourni de l’agent orange pendant la guerre du Vietnam.

AFP  et  Vanina Delmas  • 11 mai 2021
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Agent orange : la plainte de Tran To Nga jugée irrecevable
Rassemblement de soutien à Tran To Nga et aux victimes de l'agent orange, le 30 janvier 2021, à Paris.
© Jérôme Leblois / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

C’était un procès historique : celui intenté par Tran To Nga contre 14 firmes américaines de l’agrochimie en tant que victime de l’agent orange, ce défoliant dont 80 millions de litres ont été épandus sur les forêts vietnamiennes par l’armée américaine entre 1964 et 1975. Lundi 10 mai, le tribunal d’Evry a jugé irrecevables les demandes de cette franco-vietnamienne de 79 ans qui était présente dans le maquis en tant que journaliste.

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La justice donne raison aux défenseurs des multinationales (Dow, Monsanto, Hercules, Uniroyal…) en considérant qu’elles avaient « agi sur ordre et pour le compte de l’État américain » et qu’elles pouvaient se prévaloir de « l’immunité de juridiction ». Le tribunal va ainsi dans le sens de l’avocat de la compagnie américaine Monsanto (absorbée en 2018 par la société allemande Bayer), qui avait plaidé en janvier dernier qu’un tribunal français n’est pas compétent pour juger l’action d’un État étranger souverain dans le cadre d’une « politique de défense » en temps de guerre.

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Après sept ans de procédure et de multiples reports d’audience, la déception est grande. Pour le trio d’avocats du cabinet Bourdon & associés défendant Tran To Nga, le tribunal « applique une définition obsolète du principe de l’immunité de juridiction, en contradiction avec les principes modernes du droit international et du droit national » :

On ne peut que s’étonner que le tribunal reconnaisse que les entreprises concernées auraient agi sous la contrainte du gouvernement américain alors qu’elles ont répondu à un appel d’offre, ce qu’elles étaient libres de faire ou pas.

Les avocats ont déjà annoncé faire appel et demandent notamment à « avoir accès à l’intégralité des communications et non pas aux morceaux choisis et proposés de façon opportuniste par les entreprises ». Le bras de fer judiciaire se poursuit, et Tran To Nga compte bien y consacrer ses dernières forces malgré ses problèmes de santé : elle souffre de nodules sous-cutanés ainsi que de diabète, de chloracné, d’une maladie génétique de l’hémoglobine et d’une malformation cardiaque transmissible. Une de ses filles est décédée d’une malformation cardiaque. Des pathologies caractéristiques d’une exposition à cet herbicide. Le combat parallèle est de faire reconnaître le lien de causalité entre la présence de cette dioxine dans le sang et certaines maladies ou malformations, pouvant se répercuter jusqu’à la quatrième génération.

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« Combien d’années avant que justice pour les victimes de l’Agent Orange soit rendue ? Au-delà d’une décision les concernant, nous espérions également ouvrir la porte à une justice pour les victimes des guerres chimiques et des écocides, comme pour le scandale du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique », a déclaré le collectif Vietnam dioxine, soutien indéfectible de Tran To Nga. Quant à l’eurodéputée EELV Marie Toussaint, engagée pour la reconnaissance juridique du crime d’écocide, elle regrette que « des responsables bien connus d’écocide restent impunis » :

Puisque la justice française estime qu’il n’est pas de son ressort de juger de ces crimes, et accepte ainsi de laisser perdurer cette impunité, nous devons rappeler qu’il est urgent de réformer notre modèle juridique afin qu’il condamne enfin les écocides, qu’il protège enfin les victimes, qu’il garantisse enfin la justice.

Toujours digne et combattante, Tran To Nga ne compte pas renoncer, pensant toujours au précédent juridique qui pourrait servir à des millions d’autres victimes de l’agent orange. « Je suis déçue mais je ne suis pas triste. Être arrivée jusqu’à la décision du 10 mai est déjà une victoire. Je tiens à remercier toutes les personnes qui me soutiennent. Samedi 15 mai, nous ne chanterons pas notre victoire mais nous crierons notre colère », a-t-elle déclaré donnant rendez-vous à la marche mondiale contre Monsanto-Bayer et l’agrochimie afin de réclamer justice et réparations pour les nombreuses victimes des multinationales agrochimiques.

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