Théâtre de marionnettes : L’avenir au bout du fil

La 21e édition du festival de Charleville-Mézières, consacré à la marionnette, a permis de mesurer la reconnaissance nouvelle de ce champ artistique.

Anaïs Heluin  • 29 septembre 2021 abonné·es
Théâtre de marionnettes : L’avenir au bout du fil
Un spectacle de rue, le 18 septembre 2021, à Charleville-Mézières.
© FRANCOIS NASCIMBENI / AFP

Charleville-Mézières est l’un des rares lieux en France où, dans la rue ou au bistrot, la marionnette s’invite régulièrement dans les conversations. Sur la belle place Ducale, modèle d’urbanisme du XVIIe siècle, ou sur les hauts du parc du Mont-Olympe, on ne s’étonne guère de rencontrer des amis se remémorer les premiers spectacles de la compagnie Turak, dans les années 1980. Michel Laubu y dessinait les contours de la Turakie, son « petit pays en géographie verticale inconnu de tous mais qui peut exister dans l’imaginaire de chacun », dont il continue à chaque création d’enrichir l’histoire grâce à un sens bien à lui de la récup.

De même, Ilka Schönbein, avec sa suite du bestiaire fantastique qui l’a rendue célèbre à l’étranger, est une habituée du Festival mondial des théâtres de marionnettes, créé à Charleville en 1961 par le marionnettiste Jacques Félix. Tout comme Émilie Valantin, qui a mis la marionnette au service de textes classiques tels que Le Cid ou Don Quichotte.

Pendant et hors de la fameuse biennale, notamment grâce à un important travail d’action culturelle et à la présence de l’Institut international de la marionnette (Esnam), qui y est installé depuis 1981, l’histoire du théâtre de marionnettes est cultivée à Charleville. En même temps que s’inventent des formes nouvelles, au croisement de nombreuses disciplines. Qualifiés par le nouveau directeur du festival, Pierre-Yves Charlois, d’« incontournables “pionniers” », les artistes cités plus haut, aux côtés d’artistes plus jeunes, étaient ainsi au programme de la 21e édition du plus grand rendez-vous mondial consacré aux théâtres de marionnettes, qui s’est tenu du 17 au 26 septembre.

« Trois générations de marionnettistes se côtoient à Charleville », apprécie le directeur, pour qui « la responsabilité du festival en matière de reconnaissance des arts de la marionnette est immense. On observe une belle progression depuis une dizaine d’années, mais un important travail reste à mener ». Ex-administratrice du festival à présent chargée de diffusion de la compagnie Yokaï, dont on a pu découvrir une « table ronde insolite autour de l’animation cachée », Julie Le Corre le constate au quotidien : « Faire rencontrer des programmateurs aux artistes émergents, les faire entrer dans un réseau de diffusion, n’est jamais aisé. Dans le cas d’une compagnie de théâtre de marionnettes, pour aller au-delà du réseau de lieux consacrés à ce champ artistique et toucher des théâtres généralistes, il faut souvent faire en plus de la pédagogie, expliquer qu’il s’agit d’un art à part entière. »

Comme les habitants de la ville ardennaise – nombreux, à chaque édition du festival, à se porter bénévoles pour aider à l’accueil des artistes, du public, à la billetterie ou encore au transport des professionnels –, les personnes qui considèrent le théâtre de marionnettes comme un art majeur sont de plus en plus nombreuses à la tête des théâtres et des institutions.

Créée en 2014 à Charleville-Mézières par Violaine Fimbel, formée à l’Esnam, la compagnie Yokaï a ainsi pu être accompagnée pendant deux ans par le Manège de Reims, une scène nationale. Elle bénéficie aussi d’un soutien fort des tutelles et des lieux du Grand Est, dont Julie Le Corre apprécie l’attention aux compagnies qui se consacrent à la marionnette, en particulier à celles qui sortent de l’Esnam.

« Le Grand Est est de loin la région la plus active dans le domaine », observe Julie Le Corre, dont le goût pour le théâtre de marionnettes remonte à l’enfance : « Mes parents aimaient beaucoup la marionnette, ils ont dû m’emmener pour la première fois à Charleville à l’âge de 3 ans. J’y suis souvent retournée par la suite, et c’est vraiment là que j’ai eu mes plus grands chocs artistiques », se souvient-elle.

Dans ce domaine, bien des histoires commencent à Charleville et s’y poursuivent. C’est le cas pour Les Anges au plafond, compagnie créée par Camille Trouvé et Brice Berthoud, qui y présentent en 2000, dans le lieu alors tenu par le Théâtre de la marionnette à Paris (désormais installé au Mouffetard, il était à cette époque nomade), leur premier spectacle, Le Cri quotidien. « Dans les salles, dans la rue, un bouillonnement de formes diverses nous fait ressentir en tant qu’artistes l’autorisation d’être marionnettistes, ce qui est loin d’être toujours le cas », expriment Camille et Brice, venus cette année avec une belle création autour de Roland Barthes, Le Nécessaire Déséquilibre des choses.

Au moment où nous écrivons cet article, nous sommes dans l’attente de la nomination du ou des nouveaux directeurs du centre dramatique national (CDN) de Normandie-Rouen : « short listés », les deux fondateurs des Anges au plafond pourraient contribuer à une meilleure diffusion des spectacles de marionnettes au sein des CDN. « C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons postulé. C’est aussi la raison pour laquelle, depuis longtemps, nous refusons les propositions de dates uniquement en milieu scolaire : nous aimons aller dans les écoles, c’est une mission que nous avons à cœur d’assumer, mais nous voulons être reconnus comme des artistes au sens plein, et non comme des animateurs ou des éducateurs. » La création en 2020 d’un label « centre national de la marionnette », le développement du festival Marto et la structuration de l’Association nationale des théâtres de marionnettes et arts associés (Themaa) rendent Les Anges au plafond confiants.

Musique
Temps de lecture : 5 minutes