Justice : Multinationales contre la transition

Cinq firmes du secteur des énergies fossiles réclament, devant des tribunaux arbitraux, un total de 18 milliards de dollars à des États pour leur mesures de protection du climat.

Erwan Manac'h  • 3 novembre 2021
Partager :
Justice : Multinationales contre la transition
© JACK GUEZ / AFP

Lorsqu’un gouvernement abandonne un projet polluant ou émetteur de gaz à effet de serre, débute souvent un âpre combat juridique. Les multi-nationales qui s’estiment flouées peuvent en effet saisir des tribunaux d’arbitrage privés (1), tenus par des avocats d’affaires, pour réclamer une compensation pharaonique dont la menace suffit souvent à dissuader toute décision. Une manœuvre qui inquiète les ONG environnementales : « Maintenant que les gouvernements du monde entier commencent enfin à prendre des mesures pour faire face à -l’urgence climatique, nous voyons de plus en plus d’entreprises du secteur des énergies fossiles contester ces politiques devant ces tribunaux », s’alarment Attac, Global Justice Now et l’Aitec dans une note rendue le 28 octobre en marge de la COP 26.

Les trois organisations détaillent cinq affaires récentes, par lesquelles cinq firmes du secteur des énergies fossiles ont réclamé un total de 18 milliards de dollars de compensations. Les Pays-Bas ont ainsi été attaqués par deux entreprises (RWE et Uniper) pour avoir décidé de sortir progressivement du charbon. L’Italie subit les foudres d’un pétrolier à la suite de l’interdiction des forages près des côtes. La Slovénie également, pour avoir osé réclamer une étude d’impact environnemental avant toute manœuvre de fracturation hydraulique. Les États-Unis devront se justifier de l’abandon du projet d’oléoduc Keystone devant les juges. Tandis que la France se voit, elle aussi, attaquée après sa décision, en mai 2019, d’arrêter le projet Montagne d’or, en Guyane. L’entreprise russe Nordgold, qui devait exploiter la mine à ciel ouvert, réclame 4 milliards d’euros sans avoir pourtant commencé le moindre forage, au nom d’un manque à gagner qu’elle estime à 3 milliards d’euros.

Cette justice parallèle est une des composantes des quelque 3 000 accords de libre-échange signés à travers le monde (2) et tout particulièrement du traité sur la charte de l’énergie (TCE), qui lie les pays européens à 26 États producteurs d’énergies fossiles. Ce texte est la bête noire des ONG climatiques, qui étaient 400, en juin, à appeler l’UE à en sortir avant la COP 26, soutenues par 1 million d’Européens signataires d’une pétition en ce sens. Elles peuvent compter sur la voix de la Cour de justice de l’UE (CJUE), qui a jugé, le 2 septembre, que la charte de l’énergie n’était « pas applicable » pour des litiges intra-européens (3), qui représentent tout de même 60 % des litiges dans le cadre du TCE, selon l’Aitec. D’intenses négociations doivent encore avoir lieu pour l’application effective de cette décision.

(1) Ou « mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États », d’après leur nom officiel.

(2) Source : Aitec, « Montagne d’or, l’arbitrage d’investissement au secours de Nordgold », octobre 2021.

(3) Déjà le 6 mars 2018, la CJUE avait déclaré incompatible avec le droit européen le recours à l’arbitrage pour les litiges relatifs aux investissements intra-UE.

Écologie
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

D’eau et de colère
Portfolio 24 juillet 2024 abonné·es

D’eau et de colère

Les 19 et 20 juillet, les militants des Soulèvements de la Terre ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire sur les mégabassines. Reportage photo.
Par Maxime Sirvins
Nicolas, pêcheur de Loire : une espèce en voie de disparition
Portrait 24 juillet 2024 abonné·es

Nicolas, pêcheur de Loire : une espèce en voie de disparition

Sur le plus long fleuve de France, ils ne sont plus qu’une soixantaine à exercer leur métier. Une activité qui fait figure d’artisanat en comparaison de la pêche en mer. Rencontre avec un passionné attentif à son environnement.
Par Mathilde Doiezie
De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan
Reportage 22 juillet 2024

De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan

Au cours d’une semaine de mobilisation contre les mégabassines, des milliers manifestants se sont rassemblés dans les Deux-Sèvres à l’appel des Soulèvements de la terre et de Bassines Non Merci. Les 19 et 20 juillet, les militants ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire. Récit et photos.
Par Maxime Sirvins
Le lycée agricole de Melle, pépinière du mouvement antibassines
Reportage 15 juillet 2024 abonné·es

Le lycée agricole de Melle, pépinière du mouvement antibassines

L’établissement des Deux-Sèvres voit mûrir au sein de son BTS gestion et protection de la nature une nouvelle génération d’activistes contre l’accaparement de l’eau. Ses élèves aux parcours sinueux trouvent dans ce terroir et son activité militante le déclic d’un engagement durable.
Par Sylvain Lapoix