Soulagement et perplexité au nouveau Ségur de la santé

Pour tous les professionnels invités le 18 février à la conférence des métiers du social et du médico-social, il était temps de revaloriser leurs métiers difficiles. Mais ces annonces gouvernementales, tardives, restent floues.

Pauline Todesco  • 19 février 2022
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Soulagement et perplexité au nouveau Ségur de la santé
© Photo : Manifestation de travailleurs sociaux à Toulouse en décembre 2021 (Francois Laurens / Hans Lucas via AFP)

Qu’ils soient ministres, représentants syndicaux, présidents de départements ou membres de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), tous les participants à la conférence des métiers du social et du médico-social ont rappelé à quel point cette réunion était nécessaire. Et attendue depuis près d’un an. Ce secteur souffre depuis des années d’un morcellement administratif dû à des conventions multiples, d’une stagnation des salaires, d’une multiplication des contrats intérimaires mais aussi d’embauches sous-qualifiées, de conditions de travail qui ne cessent de se dégrader, de problèmes de formation et de qualification ayant conduit à une baisse drastique de l’attractivité.

D’emblée Jean Castex a récusé toute responsabilité dans le fait que ces filières aient été les grandes oubliées du premier Ségur de la santé. Cela résulte, selon lui, « de l’éclatement du secteur, multipliant les statuts d’emplois, les structures, les employeurs, et de toute cette complexité ». Une affirmation contestée par Ali Laazaoui, vice-président de la Fédération CFTC Santé Sociaux, et Ramon Vila, secrétaire fédéral de la Fédération Sud-Santé-Sociaux, qui y voient un choix politique, et préfèrent parler d’exclusion que d’oubli.

« Elle a bon dos la complexité des conventions ! » lance ce dernier en incriminant plutôt un manque de moyens. Et de mettre en cause « des politiques austéritaires qui ont obligé les associations à devenir des entreprises gestionnaires de services ». Face à la libéralisation des services publics, particulièrement avec les contrats à impacts sociaux mais surtout une politique de plus en plus managériale, les syndicats étaient venus à la conférence avec des revendications précises, et selon eux vitales pour le secteur. D’abord, revaloriser les salaires de tout le secteur social et médico-social à hauteur de 183 euros, comme l’a été celui de la santé au Ségur de 2020. Sans distinction entre les employés du secteur. La seconde revendication portait sur l’octroi d’une enveloppe budgétaire conséquente pour financer les négociations d’une convention collective unique (CCU) de haut niveau, pour tous les professionnels de la santé et du social. La crainte étant pour certains de voir une CCU « au rabais », qui n’inclurait pas tous les syndicats représentatifs du secteur, dont les salaires s’appuieraient sur des critères non-objectifs, et qui nivellerait par le bas les conditions de travail et le déroulement des carrières.

1,3 milliard d’euros d’aides

En réponse à ces attentes, le gouvernement a promis 1,3 milliard d’aides, divisé en deux enveloppes de 500 et 830 millions. La première enveloppe est conditionnée au bon aboutissement de la négociation conventionnelle. Selon le président de la Fédération CFE-CGC Santé-Social, Xavier Deharo, ces 500 millions étaient « un prérequis [qui] va permettre d’envisager l’ouverture de négociations de manière plus sereine. C’est un bon signal pour amener les organisations syndicales autour de la table. Après, le diable se niche dans les détails, peut-être qu’il y aura des points problématiques mais j’y vois de la bonne volonté ». Certains, plus soucieux, comme Ramon Vila (Sud Santé Sociaux), se demandent déjà ce que coûtera cette nouvelle convention aux salariés. D’autres voient cette enveloppe comme une injonction du gouvernement, mais doutent de la réussite des négociations. C’est le cas d’Ali Laazaoui (CFTC) : « On peut se mettre à la table des négociations, ça ne veut pas dire qu’on signera un chèque en blanc ! »

Quant à l’enveloppe la plus importante, celle de 830 millions, elle est dédiée exclusivement au secteur socio-éducatif. On y trouve notamment 120 millions qui seront alloués sur trois ans à la formation professionnelle, 15 millions pour former les managers aux enjeux de qualité de vie au travail, 50 millions engagés sur quatre ans pour employer des tuteurs chargés des majeurs protégés, et surtout la hausse salariale de 183 euros pour tous les employés des établissements du handicap, de l’hébergement, de la protection de l’enfance et de l’insertion, à laquelle s’ajoutent 110 millions en année pleine pour les employés des structures publiques autonomes. Si la conférence de ce 18 février a omis de le mentionner, cette hausse de 183 euros pour les employés du secteur socio-éducatif ne devrait arriver qu’en juin sur les paies.

200 000 personnes concernées

Conséquent, ce budget ne concerne donc que le secteur socio-éducatif, continuant d’exclure certains métiers du secteur social et médico-social. En effet, à deux reprises, Jean Castex a estimé à 200 000 les personnes concernées par ces mesures. « De quoi parle-t-on ? » s’interroge Xavier Deharo (CFE-CGC) « Si cette annonce ne concerne pas tout le monde, c’est inadmissible. » Un point de vue partagé par Ramon Vila (Sud Santé Sociaux) : « Au-delà de l’annonce qui peut satisfaire dans un premier temps, on va rester vigilants parce que le périmètre des catégories de personnels qui vont être concernées est flou. Il faut regarder à quoi ça correspond. »

Ali Laazaoui (CFTC) lui, salue ces avancées, mais regrette qu’une partie soit valorisée, à juste titre, quand l’autre ne l’est pas. « Dans une maison d’enfants, qu’on soit éducateur ou surveillant de nuit, cuisinier ou agent administratif, on a tous une fonction éducative auprès des jeunes que l’on accueille. » Selon les syndicats, les autorités ne comprennent pas qu’il faut revaloriser les salaires non pas en fonction du poste ou des compétences, mais bien du milieu dans lequel on travaille, parce qu’il impacte tous les employés sans distinction. D’après eux, si l’exclusion de certains travailleurs se répète, les tensions et les divisions vont s’exacerber au sein des établissements, mais aussi entre les structures sanitaires et sociales.

Ali Laazaoui voit dans la formation des managers une avancée notable, mais « est-ce que la qualité de vie au travail n’est reliée qu’au manager? » se demande-t-il. « D’autant que le management est un terme mal perçu. À l’époque, on disait, un éducateur chef, ça évoquait une relation particulière avec les cadres, maintenant on dit un chef de service, ça n’a pas le même sens. »

Communication politique

Enfin, Jean Castex a annoncé que les salaires de certains soignants oubliés du Ségur – médecins coordinateurs en Ephad, sages-femmes, personnels soignant de la protection maternelle et infantile, soignants des structures de prévention, de dépistage et d’accompagnement des personnes en grande difficulté sociale – seront « revalorisés à la hauteur des engagements prévus ». Pour Xavier Deharo (CFE-CGC), il s’agissait « d’une préoccupation depuis de longs mois ».

Malgré ce pas en avant, le flou laissé par Matignon sur les personnes concernées par la revalorisation salariale, évoquant tantôt « 200 000 professionnels », tantôt les « moniteurs, éducateurs spécialisés, accompagnateurs, etc », risque de laisser une nouvelle fois des employés de côté, et notamment le personnel travaillant avec les équipes soignantes et éducatives. « Leur idée est d’avancer au petit pas de charge et de revaloriser au compte-goutte, confie Ali Laazaoui (CFTC). Le ressenti est que ce geste résonne politiquement comme une annonce de campagne…même si ce sont les avancées qui comptent. » « C’est de la communication politique », résume-t-il, à demi amusé. Les syndicats en veulent pour preuve qu’ils n’ont été informés de la date et du lieu de ce Ségur que la veille de la conférence. Les tenants de cette communication ont d’ailleurs pris soin de réserver la veille aux médias la primeur des principales annonces, court-circuitant ainsi les syndicats. Un moyen efficace d’éviter une réaction hostile trop immédiate.

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