Une victoire en trompe-l’œil

Le triomphalisme des soutiens du président réélu n’a pas de raison d’être, si ce n’est d’imposer l’idée que les législatives ne permettront pas à la gauche de limiter son pouvoir.

Michel Soudais  • 27 avril 2022 abonné·es
Une victoire en trompe-l’œil
© Michel Stoupak / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Faut-il le rappeler ? La lecture du résultat d’une élection est en soi un enjeu politique. Après les 58,55 % obtenus par leur candidat, dimanche, face à Marine Le Pen, il n’est donc pas surprenant d’entendre les porte-parole et soutiens d’Emmanuel Macron vanter sa « très large majorité » et son « score historique ». « Sans appel », renchérit Aurore Bergé. Et la députée des Yvelines d’ajouter qu’« il a réussi ce que personne ne pensait possible », parvenir à se faire réélire en gagnant « un million de voix dès le premier tour », signe d’« un choix d’adhésion ». Et, selon elle, « la campagne d’entre-deux tours a aussi réussi à convaincre ceux qui pouvaient hésiter ». C’est effacer un peu vite les 42 à 47 % de ses électeurs (1) qui ont mis dans l’urne au second tour un bulletin Macron uniquement pour contrer Marine Le Pen.

L’exploit célébré n’a toutefois rien d’éclatant. L’insistance aussi unanime que maladroite avec laquelle tous les macroniens s’appliquaient lundi, sur toutes les antennes, à contester l’affirmation de Jean-Luc Mélenchon selon laquelle leur champion est _« le président le plus mal élu de la Ve République » tend à prouver que le leader de l’Union populaire a vu juste. « Mensonger et irresponsable », a tonné le sous-ministre aux Affaires européennes, Clément Beaune, pour qui ce serait « faux en nombre de voix, en % des votants comme des inscrits ». Un élément de langage repris sur France 2 par Christophe Castaner, qui a cru intelligent d’indiquer que « le président Mitterrand par deux fois a fait moins bien en nombre de voix et en pourcentage ». En 1988, la France comptait 38 millions d’électeurs, 10 millions de plus en 2022. Faux aussi pour François Bayrou, qui rappelle sur LCI que « le seul précédent d’un président à l’exercice du pouvoir réel réélu l’avait été en 1965 avec 55 % des suffrages exprimés »_. De Gaulle était face à François Mitterrand, candidat unique de la gauche, pas en compétition avec la chef de file d’un parti d’extrême droite, dont Jacques Chirac avait écrasé en 2002 le fondateur à 82,2 %, un score réellement sans appel.

Le triomphalisme des soutiens d’Emmanuel Macron n’a pas de raison d’être. Ne leur en déplaise, près de deux Français sur trois n’ont pas voté pour lui ; et avec 38,52 % des inscrits, il est bien le président le plus mal élu après Georges Pompidou en 1969. Un an après l’explosion sociale de Mai-68, l’ancien Premier ministre de De Gaulle durant ces événements avait été élu face à un autre candidat de droite par 58,2 % des suffrages exprimés mais 37,5 % des inscrits.

S’il est un résultat qui peut être qualifié d’historique, c’est bien celui réalisé dimanche par Marine Le Pen. Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale l’extrême droite n’avait obtenu un score aussi important (41,45 %) lors d’une élection nationale : 13 297 728 voix. Or Emmanuel Macron en porte la principale responsabilité. Il y a cinq ans, au soir de son élection, il avait promis de tout faire pour que les Français n’aient « plus aucune raison de voter pour les extrêmes ». Cyniquement, par tactique, il n’a toutefois eu de cesse de l’installer comme sa meilleure ennemie, manœuvrant avec elle pour détruire « le vieux système » de la droite et de la gauche. Un numéro de duettistes bien raconté par deux journalistes du Figaro dans un essai paru en septembre (2).

Le 9 juillet 2018, devant les parlementaires réunis en congrès à Versailles, il installe « clairement » le clivage entre lui et elle en déclarant que « la frontière véritable qui traverse l’Europe est celle, aujourd’hui, qui sépare les progressistes des nationalistes ». Ce à quoi acquiesce aussitôt Marine Le Pen. Le 16 septembre 2019, invité surprise du pot de rentrée des parlementaires de la majorité, il indique à ces derniers qu’ils n’ont « qu’un seul opposant sur le terrain : le Front national ». « Il faut confirmer cette opposition car ce sont les Français qui l’ont choisie », enjoint-il à ses godillots un peu interloqués.

Le RN s’accommoderait d’une majorité LREM. Prolonger en somme le numéro de duettistes.

Dès lors, il s’aventure sur des sujets chers au Rassemblement national (RN), convaincu qu’il ne sera pas jugé sur l’économie mais « sur les questions régaliennes, la sécurité, l’immigration et le communautarisme », confortant insidieusement la challenger qu’il s’est choisie. Sans en tirer un réel profit.

D’un second tour, l’autre, Emmanuel Macron recule de près de 2 millions de voix quand Marine Le Pen en engrange 2,6 millions supplémentaires. Les éléments de langage tendant à imposer l’idée d’une victoire massive du sortant ne résistent pas à cette donnée simple. D’autant que les fractures sociales et territoriales que le quinquennat a amplifiées au lieu de les résorber se lisent à livre ouvert dans les résultats du scrutin. Comme la défiance envers la politique et les institutions, qu’il n’a fait qu’accroître. Le président sortant l’emporte dans un océan d’abstentions. On compte plus d’abstentionnistes que de votants pour Marine Le Pen, et avec les 3 millions de bulletins blancs et nuls, ce sont plus de 16,6 millions d’électeurs qui ont boudé le choix qui leur était proposé.

Emmanuel Macron sait gagner une élection. Après sa « victoire par effraction » – le mot est de lui – en 2017, il vient d’en administrer à nouveau la preuve. Mais pour quoi faire ? Sa courte campagne est loin d’y avoir répondu précisément. Pourra-t-il même gouverner ? Pour cela, il lui faut disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale. C’est tout l’enjeu des élections législatives programmées dans une cinquantaine de jours, les 12 et 19 juin, à l’approche desquelles la situation n’est pas la même qu’en 2017.

À lire > La gauche en meilleure posture qu’en 2017

Les électeurs avaient alors consenti à donner sa chance à ce nouveau venu qui promettait de transformer le pays, et avaient envoyé siéger au Palais-Bourbon plus de 300 députés de son parti. Désormais, Emmanuel Macron ne propose qu’un bilan contesté pour diverses raisons, qui peuvent être contradictoires, par une très large majorité d’électeurs, insatisfaits qui plus est de la tournure prise par l’élection présidentielle. C’est bien là que la lecture du résultat du scrutin revêt toute son importance pour parvenir à mobiliser ou non l’électorat d’un camp plus que l’autre.

Dans ce « troisième tour » lancé avant même la fin de la présidentielle par Jean-Luc Mélenchon, le président à peine réélu se heurte à des difficultés internes. Au soir du premier tour, où déjà il annonçait pour la énième fois que plus rien ne sera comme avant, Emmanuel Macron appelait de ses vœux la création d’un _« grand mouvement politique d’unité et d’action ». Depuis, l’idée n’a plus jamais été évoquée. Ni dans la campagne d’entre-deux tours, ni dans la vacuité de son allocution victorieuse. Le projet est mort-né. Tous les acteurs concernés sur lesquels le président réélu compte bâtir sa majorité parlementaire y étaient réticents. Selon les « macronologues » du Figaro, la maison commune un temps évoquée ne serait plus qu’une simple bannière commune façon UDF des années 1980, sous laquelle sont appelés à se ranger les candidats de La République en marche, du MoDem, d’Agir, d’Horizons ainsi que les ralliés attendus en provenance principalement de Les Républicains. Entre eux, la lutte des places, arbitrée par Macron himself, s’annonce d’autant plus rude que les vents seront moins porteurs qu’en 2017 quand, sur fond d’abstention record (57,36 %) et de dégagisme, le nouveau chef de l’État s’était retrouvé avec une majorité absolue avec à la clé des cohortes de néo-députés, dont une cinquantaine élus d’extrême justesse.

Forte de son score inégalé au second tour de la présidentielle, Marine Le Pen nourrit quelques espoirs de constituer un groupe parlementaire, ce dont elle avait été incapable il y a cinq ans en ne glanant que huit sièges. Mais guère plus. Son refus catégorique de toute alliance avec Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour, ne permettrait pas de l’envisager. Et tout indique qu’elle ne le souhaite pas. « Nous, nous pensons qu’Emmanuel Macron aura une majorité, a déclaré ainsi lundi sur LCI son porte-parole, Sébastien Chenu, après une réunion du bureau exécutif du RN_. Les Français sous la Ve République, on l’a toujours dit, donnent une majorité au président en place_. » Actant déjà une victoire des macroniens aux législatives, le RN se contente donc de demander aux électeurs d’envoyer « des bataillons de députés » lepénistes à l’Assemblée parce qu’« il faudra une opposition ». Prolonger en somme le numéro de duettistes… Une cohabitation à Emmanuel Macron, comme le prétend Jean-Luc Mélenchon, est « impossible » et revient à « prendre les Français pour des imbéciles », aux yeux de ce porte-parole de Marine Le Pen. Un discours conforme à celui des soutiens de Macron.

Au regard des résultats de la présidentielle au premier tour, et de la fragile victoire d’Emmanuel Macron, cette perspective est pourtant plausible. Certes, elle nécessite une bonne entente entre l’Union populaire, EELV, le PCF, le PS et le NPA. Mais surtout que les électeurs restent mobilisés.


(1) Selon les instituts Ipsos et Elabe.

(2) Macron-Le Pen, le tango des fossoyeurs, François-Xavier Bourmaud et Charles Sapin, Ed. de l’Archipel.

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