1er Mai à Paris : faible présence policière, mobilisation renaissante

À Paris, le cortège du 1er mai a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes. Alors que le dispositif policier était allégé par rapport à l’édition de l’an dernier, les manifestants étaient venus raviver un mouvement social émoussé par les répressions et la pandémie. La perspective d’une possible alternance politique en juin à l’occasion des élections législatives a joué le rôle de catalyseur. Reportage.

Daphné Deschamps  et  Louis Heinrich  • 1 mai 2022
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1er Mai à Paris : faible présence policière, mobilisation renaissante
© Sur le café place de la République, affiches radicales, syndicales et de l'Union Populaire.

Il est 14h30 quand la manifestation s’élance boulevard Voltaire. Direction place de la Nation, à trois kilomètres de là. Un parcours en ligne droite qui ne réjouit pas le cortège. Il est identique à celui de 2021 mais également à ceux de quasiment toutes les récentes manifestations. Mais outre l’affluence, bien supérieure à celle des derniers mois, une différence marquante allège les esprits : la quasi-absence policière sur la première moitié du parcours. Depuis la mise en place du Schéma National de Maintien de l’Ordre (SNMO), les manifestations, parisiennes en particulier, sont très encadrées par les forces de l’ordre, qui bloquent souvent les accès aux trottoirs, décident du rythme de marche, des arrêts et bien souvent de l’humeur des manifestants. Rien de cela en ce 1er mai 2022. Les premiers casques ne sont aperçus qu’au bout d’une heure au croisement du boulevard Voltaire et de la rue Oberkampf. Ils resteront relativement discrets jusqu’à l’arrivée place de la Nation, malgré une manifestation parfois agitée.

À l’arrière de la manifestation, au niveau du camion de l’Union Populaire, Asmahane vit son premier 1er mai, avec la pancarte qu’elle a imaginé pour l’occasion : « Pour une République féministe, écolo, antiraciste ». La tortue souriante qu’elle a dessinée laisse peu de place au doute : la jeune fille penche fort pour Jean-Luc Mélenchon, qui a été surnommé ainsi avant le premier tour de l’élection présidentielle. Mais Asmahane n’a que 16 ans, et n’a pas encore pu voter. Frustrant. Pour elle, ce 1er mai prend des allures de session de rattrapage pour se faire entendre. Et dans le rassemblement dense de l’Union Populaire, la lycéenne veut y croire : « On ne perd pas espoir pour les législatives. Une cohabitation est possible. On en a marre de voir les médias ne parler que d’islam et de voile. » Quelques dizaines de mètres plus loin, sous le ballon Solidaires, même constat pour Lilou et Mina, 16 et 17 ans : « Si notre génération avait pu voter, on aurait sûrement fait la différence ! » Leur présence à cette manifestation s’inscrit dans une protestation qui dure depuis des semaines : « On organise des blocus dans nos lycées, mais on a été réprimées. Les manifestations, c’est l’un des derniers endroits où on accepte que la jeunesse s’exprime. »

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Pour Olivier Besancenot, croisé sous l’étendard du NPA, cette Fête des Travailleurs a une saveur particulière : « Il est spécial par le contexte politique. Le nouveau quinquennat dépendra de la capacité de résistance que l’on aura face à tous les mauvais coups, comme la contre-réforme sur les retraites. »

L’ancien candidat à la présidentielle (2002 et 2007) souligne l’importance de la présence des différentes sensibilités de gauche sur le boulevard Voltaire : « Il y aurait intérêt à ce qu’il y ait un lien entre ce qui se passe dans la rue et dans les discussions politiques. Il y a eu un rendez-vous manqué pendant l’entre-deux-tours lors de la manifestation contre l’extrême-droite. Aujourd’hui, tout le monde est là, c’est l’occasion de montrer qu’on peut construire une unité ».

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Devant les syndicats, en tout début de la manifestation, s’est rapidement formé ce que l’on appelle le « cortège de tête », groupes de manifestants organisés ou non, qui ont pris l’habitude depuis la seconde moitié des années 2010 de se placer à l’avant des manifestations pour porter leurs revendications. Plusieurs cortèges sont présents, comme un « Pink bloc » qui porte des revendications LGBT, des groupes de Gilets Jaunes, des manifestants antifascistes, des syndicalistes étudiants, ou encore les branches « jeunesse » de partis comme le NPA, ou d’organisations communistes. Une partie s’organise dans un bloc plus ou moins offensif, avec des codes vestimentaires pour se fondre dans la masse : vestes noires, masques, lunettes de soleil, voire cagoules… Le but de cette tactique dite du « black bloc » est de permettre aux militants qui s’en servent de manifester de manière anonyme. Et de cibler les vitrines de symboles du capitalisme (banques, assurances, fast-foods, agences d’intérim), dans ce que Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a qualifié de « violences inacceptables » sur Twitter avant la fin de la manifestation.

Énergie nouvelle

Si le cortège de tête était très présent avant la pandémie, il s’était aminci depuis 2020. Celui du 1er mai 2021 avait été plus important que lors des autres manifestations, mais loin de celui de cette année. « Ça rappelle 2018 » s’enthousiasment des militants, qui décrivent une mobilisation « qui fait plaisir », et qui donne « de l’espoir alors que le mouvement social est mort en 2019 ». Anna et Valentin, photographes indépendants habitués à suivre les manifestations, sont presque incrédules face à une énergie qu’ils pensaient avoir vu disparaître après le mouvement des Gilets Jaunes. Et malgré les gaz lacrymogènes et les feux de poubelle qui fleurissent lors des quelques affrontements avec les forces de l’ordre (une échauffourée avec la Brav-M au niveau du McDonald’s de la place Léon-Blum au niveau du métro Voltaire, quelques échanges de canettes, de pavés et de grenades lacrymogènes avec des gendarmes entre les métro Charonne et Rue des Boulets) l’ambiance est joyeuse et enthousiaste dans ce cortège de tête jusqu’à l’arrivée place de la Nation.

C’est sur cette place que la situation se tend : les différentes compagnies de police et de gendarmerie qui avaient été plutôt discrètes bloquent toutes les artères, et empêchent les sorties, entre murs anti-émeutes et canons à eau. S’engage un manège entre forces de l’ordre et manifestants, un pas en avant, deux pas en arrière, quelques grenades lacrymogènes, assourdissantes ou désencerclantes, des coups de matraque et des arrestations au hasard. Dans une rue, derrière un cordon de CRS, des Brav-M, les « brigades de répression de l’action violente motorisées », ont aligné cinq manifestants, arrêtés pour « visage grimé ».

Tous ont l’air sonné, et l’un d’eux a un genou écorché. « Ça date d’il y a cinq minutes, quand ils m’ont trainé par terre » nous lance-t-il. Il part, avec ses camarades, pour une nuit en garde à vue, mais n’a pas l’air désespéré pour autant. « C’était une belle manif, bien combative, ça faisait longtemps », dit-il en riant à ses compagnons.

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