Pour l’hospitalité

Deux auteurs analysent l’impact mortel de la tristement célèbre sentence de Michel Rocard, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».

Sébastien Fontenelle  • 7 septembre 2022 abonné·es
Pour l’hospitalité
© (Photo : Nicolas Economou/NurPhoto/AFP.)

On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » Ces dix mots, popularisés naguère par le socialiste Michel Rocard, qui semblent constituer « l’horizon indépassable de tout débat sur les migrations » en même temps que la justification de la répression toujours plus brutale visant chez nous les migrant·es, composent, expliquent Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens, « une sentence, dans les deux sens du mot ».

« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » En finir avec une sentence de mort de Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens, Anamosa, 80 pages, 5 euros.

Dans le court mais dense essai qu’ils consacrent à cette affreuse affirmation, ils donnent à comprendre qu’il s’agit à la fois d’« une simple phrase […] exprimant une pensée de manière concise et dogmatique » et d’« un verdict, une condamnation ». Et plus précisément : d’une condamnation à mort – « en premier lieu pour les 24 263 » victimes de ce « laisser-mourir » comptabilisées « en Méditerranée depuis 2014 » et pour « les 797 » qui ont disparu « au nord ou à l’est de l’Europe ».

Une « sentence de mort » mensongère

© Politis

Bien sûr : cette « sentence de mort » est mensongère. Elle repose « sur de nombreux sophismes » que les deux auteurs déconstruisent méthodiquement, en s’attaquant d’abord au premier de ces dix mots : à ce « on » si trompeur, qui postule et suggère un large « consensus » autour du refus d’accueillir les migrant·es, mais qui est en réalité un « “nous” gouvernemental […] enrôlant de force toute la nation derrière un choix politique » décidé par « une toute petite caste » – doublé d’un « “nous” national » excluant de fait celles et ceux qu’« on ne » pourrait donc « pas accueillir ». (Dans la réalité, rappellent Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens, « il est à l’évidence possible d’accueillir “la misère du monde” (si l’on tient à cette expression problématique) : de nombreux pays le font, plus ou moins bien, mais dans des proportions nettement supérieures à celles que pratique la France ». L’accueil est donc, évidemment, affaire de volonté – et non de possibilité.)

Ce livre est ainsi un cadeau, en même temps qu’un antidote aux poisons de l’époque.

Les auteurs n’en font pas mystère : ils sont motivés par « une sympathie pour des frères et sœurs humains », par « une colère contre une oppression », mais aussi par « un certain besoin d’estime de soi, lui-même corrélé à une certaine idée de la citoyenneté, de l’hospitalité, de la solidarité, de l’égalité et de la justice ».

En détissant, mot après mot, « la phrase “on ne peut pas accueillir toute la misère du monde” » pour mieux démontrer qu’elle « est bel et bien xénophobe », en montrant pour ce qu’elle est une propagande qui « contient en germe d’autres types de violence » contre les migrant·es, en nous exhortant enfin à opter toujours « pour l’hospitalité », Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens nous rappellent et nous rendent, nous aussi, à cette estime de soi : leur livre est ainsi un cadeau, en même temps qu’un antidote aux poisons de l’époque.

Idées
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