Ramsay : « On nous pousse jusqu’à ce qu’on craque »

Trois salariés témoignent des dérives de la politique du chiffre mise en place par l’entreprise.

Pauline Gensel  et  Lucas Sarafian  • 7 septembre 2022 abonné·es
Ramsay : « On nous pousse jusqu’à ce qu’on craque »
© Un rassemblement contre la décision de Ramsay de faire payer le parking aux visiteurs, en novembre 2021. (Photo : Cédric Janis/Hans Lucas/AFP.)

Une infirmière au sein d’un établissement de santé mentale :

« Le groupe promet des activités, une prise en charge personnalisée, un personnel qui a le temps de s’occuper des patients. La vitrine est belle. Mais, en vérité, la première chose que l’on demande à un patient quand il arrive, c’est sa carte de mutuelle. Le but est de remplir les chambres individuelles, plus chères que les chambres doubles, pour atteindre nos objectifs. Car la seule façon de gagner de l’argent, c’est l’hôtellerie. Pour ces chambres « VIP », les patients ont le droit à un peignoir, une balnéo par semaine, la télé, l’accès à la machine à laver, une bouteille d’eau par jour et un brushing par semaine.

Le but est de remplir les chambres individuelles, plus chères. Car la seule façon de gagner de l’argent, c’est l’hôtellerie.

Tous ces services sont assurés par les aides-soignantes. Et derrière ça, le personnel n’est pas remplacé et le nombre de CDD augmente. À l’ouverture, nous étions neuf infirmiers. Aujourd’hui, nous sommes six. La prise en charge est minimale. On procède essentiellement à de la distribution de médicaments, alors qu’il devrait y avoir des entretiens infirmiers. On devrait prendre le temps de préparer des activités. Mais c’est de plus en plus compliqué. Un patient qui ne va pas bien, je n’irai le voir qu’une heure plus tard si je suis en train de distribuer les médicaments… »

Une kinésithérapeute en clinique dans le Sud-Ouest :

« Je ne me reconnais plus dans mon travail. Avant, on avait le temps, on échangeait avec les patients. Maintenant, il faut faire toujours plus. J’ai l’impression d’aller à l’usine, à de l’abattage de poulets. On parle quand même de santé ! On est toujours à flux tendu. On manque de moyens, le personnel malade n’est plus remplacé. Le covid n’a pas arrangé l’affaire, la direction peine à recruter. Les CDD ne reviennent pas, ils trouvent mieux ailleurs, de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. Ils fuient le management par la peur mis en place ici.

Il y a quelques années, nous étions 135 salariés pour 135 patients. Nous ne sommes plus que 90 pour 160. Cherchez l’erreur.

On leur dit que, s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à dégager et aller voir ailleurs. Donc certains s’en vont, d’autres restent et courbent le dos. Jusqu’à quand ? On a eu quelques burn-out, des salariés qui sont allés à la médecine du travail, on a des arrêts longue durée, des licenciements pour inaptitude… C’est simple, il y a quelques années de cela, nous étions 135 salariés pour 135 patients. Un rapport de 1. Nous ne sommes plus que 90 salariés pour plus de 160 patients. Cherchez l’erreur. On diminue la masse salariale pour obtenir un meilleur retour sur investissement. Et on presse le citron, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de jus et que les pépins sortent. »

Un responsable de maintenance dans une clinique en région parisienne :

« Le groupe cherche à gagner de l’argent par n’importe quel moyen. Et ça passe d’abord par la diminution de la masse salariale. Les femmes de chambre sont maintenant externalisées, ce sera peut-être bientôt au tour de mon service. Il manque du personnel. Donc les salariés sont obligés de réaliser des tâches supplémentaires qui ne correspondent pas à leur métier. Dans le service ambulatoire, il n’y a qu’une infirmière accompagnée d’une aide-soignante.

Les salariés sont obligés de réaliser des tâches supplémentaires qui ne correspondent pas à leur métier. On nous pousse jusqu’à ce qu’on craque.

Elles sont seules pendant des journées où elles peuvent rencontrer 30 ou 40 patients. On nous pousse, jusqu’à ce qu’on craque. À chaque fois que les négociations salariales annuelles sont mises sur la table, la direction ressort la même phrase : « Je n’ai pas les moyens d’augmenter. » Les erreurs de paie sont nombreuses. On doit parfois se battre pour toucher les heures supplémentaires. Les oublis sont fréquents, et ça dure des semaines. J’ai eu un litige concernant une semaine d’arrêt de maladie « covid ». Et depuis mars, je n’arrive pas à percevoir mon indemnité. C’est usant. »