Santé : des pouvoirs publics aux petits soins avec Ramsay

Le groupe privé bénéficie de multiples connexions avec les hautes sphères de la Macronie et d’évolutions législatives qui lui sont favorables.

Pauline Gensel  et  Lucas Sarafian  • 7 septembre 2022 abonné·es
Santé : des pouvoirs publics aux petits soins avec Ramsay
© Jean Castex en visite dans un hôpital du groupe Ramsay Santé de la région parisienne le 13 mars 2021. (Photo : MARTIN BUREAU/AFP.)

Au pupitre, il y a Gabriel Attal. Au matin du 16 octobre 2019, il est alors secrétaire d’État à la jeunesse, rattaché au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, depuis un an. C’est une conférence de presse un peu particulière. Invité lors de la deuxième édition des « Rencontres prévention santé » de la Fondation Ramsay Santé, Gabriel Attal loue notamment le service national universel et la stratégie de santé 2018-2022. Objectif ? « Gagner la bataille de la santé et des jeunes ».

Ce n’est pas la seule figure de la Macronie à avoir accepté l’invitation à cet événement. Un an plus tôt, il y avait Laurent Bigorgne, alors directeur du think tank libéral Institut Montaigne et ex-conseiller d’Emmanuel Macron en 2017, qui phosphorait au « pôle idées » de son équipe de campagne. Et Jérôme Salomon, déjà directeur général de la Santé depuis trois mois au ministère des Solidarités et de la Santé sous Agnès Buzyn et ex-conseiller santé d’Emmanuel Macron.

Lors de l’édition au cours de laquelle Gabriel Attal intervient, le directeur de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, Thibaut de Saint Pol, est aussi présent. Il n’est pas encore directeur adjoint du cabinet de Jean-Michel Blanquer. Moins connus, Thierry Terret, délégué aux Jeux olympiques et paralympiques au ministère de l’Éducation nationale, et Christèle Gauthier, haut placée au ministère des Sports.

Symbole proximité

Concernant le conseil d’administration de Ramsay, il est dirigé par Anne-Marie Couderc, ministre chargée de l’Emploi sous Jacques Chirac, présidente non exécutive d’Air France-KLM depuis 2018 et représentante des entreprises privées industrielles, commerciales et de services au Conseil économique, social et environnemental depuis 2015. Symbole de la proximité du cercle d’Emmanuel Macron avec la sphère Ramsay Santé.

Du côté des évolutions législatives, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 a changé la donne. En particulier l’article 51, qui permet d’expérimenter de nouveaux modes de financement comme la « capitation », c’est-à-dire une rétribution au forfait et non plus à l’acte. Une brèche dans laquelle s’est engouffré Ramsay pour monter cinq centres de soins primaires dans des déserts médicaux.

Une réglementation ad hoc

« Au début des années 2020, on a constitué un dossier, et on a profité de ce dispositif réglementaire, raconte François Demesmay, directeur de l’innovation médicale chez Ramsay Santé. On s’est dit que c’était un très bon véhicule pour proposer aux pouvoirs publics et aux collectivités cette nouvelle organisation et ce nouveau financement. »

À l’époque, la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale n’est autre que Brigitte Bourguignon. Elle n’est pas encore ministre de la Santé ni à la tête de l’Inspection générale des affaires sociales. Un poste stratégique, puisque chargé du contrôle des politiques mises en place dans le domaine de la santé publique, l’organisation des soins et la Sécurité sociale. L’ex-membre du gouvernement n’a pas répondu à notre demande d’entretien.

On casse le public et on laisse le privé prendre la main. On ne répond plus à l’intérêt du patient mais à celui d’une rentabilité immédiate.

Pour Laurence Cohen, sénatrice communiste et vice-présidente de la commission des affaires sociales depuis 2011, l’article 51 facilite la pénétration du privé dans le secteur public : « Cela s’inscrit dans une volonté politique. On casse le public et on laisse le privé prendre la main. On ne répond plus à l’intérêt du patient mais à celui d’une rentabilité immédiate. »

Bernard Jomier, sénateur siégeant au sein du groupe socialiste et vice-président de la commission des affaires sociales depuis 2017, considère de son côté que « les pouvoirs publics n’assurent plus leur travail de régulation, souvent par idéologie libérale. Ils s’appuient sur le discours de Ramsay Santé qui explique que le groupe est d’utilité publique en s’installant là où l’offre de soins est faible. Mais c’est un grand mensonge ».

« Le gouvernement et les parlementaires ont laissé faire, et je me mets dans le lot, confesse Alain Milon, président Les Républicains de la commission des affaires sociales du Sénat à ce moment-là. Plutôt que de vouloir contrôler les jeunes médecins qui s’installent, contrôlons mieux les financements des établissements de santé en exposant des règles précises. On va se retrouver dans le même scénario que les Ehpad (1). »

Marchandisation du secteur de la santé

Le 17 février, Émilienne Poumirol, sénatrice socialiste et membre de la commission des affaires sociales, interpelle le ministre de la Santé, Olivier Véran, au moment où Ramsay Santé prévoit de racheter six centres de soins en Île-de-France appartenant à la Croix-Rouge. Défense du ministre ? « L’État n’a pas à intervenir » dans le cadre d’un rachat d’un acteur privé par un autre. Olivier Véran souhaite « conserver les équilibres » entre le public, le privé à but lucratif et l’associatif privé non lucratif.

La philosophie du gouvernement, c’est de laisser agir le marché.

Insatisfaite de cette réponse, la sénatrice estime aujourd’hui que les pouvoirs publics « doivent avoir un rôle pilote dans la gouvernance de la politique de la santé, en passe de devenir une marchandise quelconque. La philosophie du gouvernement, c’est “on laisse agir le marché” ». Contacté, l’ex-ministre de la Santé n’a pas répondu à notre demande d’entretien.

Autre décision politique favorable aux acteurs privés de la santé : la garantie de financement mise en place en mars 2020 dans le cadre de la crise du covid, décidée par un arrêté du ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, et du ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin. « D’une certaine façon, ils font aussi partie des profiteurs de la crise », dénonce le sénateur Bernard Jomier.

Du côté de la majorité à l’Assemblée, par la voix du député Horizons Thomas Mesnier, on estime que « les établissements privés ont pris leur part face au covid, donc ça ne choque pas. Même si le privé à but lucratif est là pour dégager du bénéfice, il s’est tout autant engagé. Et cette garantie a permis aussi de maintenir certaines spécialités ».

Ce soutien financier assure aux établissements de santé publics comme privés un chiffre d’affaires minimum, au moins égal aux recettes perçues de l’Assurance maladie en 2019. La mesure est renouvelée en 2021. Une aide qui a permis à Ramsay Santé de percevoir 136,7 millions d’euros en 2020 et 103 millions d’euros en 2021, selon les calculs du groupe. La garantie a été reconduite encore une fois en 2022.


(1) Sur la mainmise des groupes privés sur le secteur des Ehpad, lire notre dossier spécial, paru en février dernier.

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