Des douilles françaises trouvées en Iran
Les manifestations pour le droit des femmes en Iran ont fait plus de 200 morts. Malgré l’embargo, des douilles d’une entreprise franco-italienne ont été utilisées par les forces de police pour réprimer la révolte.
Depuis le 16 septembre et la mort de Mahsa Amini suite à son arrestation par la police des mœurs, de nombreuses manifestations secouent le pays. D’après l’ONG Iran Human Rights la répression du régime des Mollah a fait au moins 253 morts dont 34 mineurs. Une autre ONG, HRANA, annonce de son côté plus de 12 000 arrestations.
Au cœur de cette répression sanglante, des Iraniens ont retrouvé du matériel français. Bahadur*, habitant d’une petite ville au centre du pays, a publié fin septembre sur les réseaux sociaux des photos de munitions dont une cartouche de couleur verte, de calibre 12/70, qui ressemble étrangement à celles utilisées par les chasseurs français.
Sur le culot de la munition, le nom du fabricant : Cheddite, entreprise franco-italienne spécialisée dans la conception de douilles et d’amorces de cartouches. La présence de cette douille dans cette petite ville iranienne n’est pas un cas isolé : du matériel de la même entreprise a été retrouvé à plusieurs endroits en Iran, notamment à Téhéran, la capitale.
Embargo strict
Pourtant depuis 2007, l’Union européenne impose un embargo strict à l’Iran qui englobe armes et matériel de maintien de l’ordre. Officiellement, aucune entreprise française n’est ainsi autorisée à vendre des munitions à l’Iran. Contacté, le ministère des Affaires étrangères le confirme : « La France n’autorise aucune exportation de ce type vers l’Iran » et se « conforme scrupuleusement » aux sanctions internationales. Alors comment des douilles françaises se retrouvent-elles sur le territoire iranien en toute illégalité ?
Contactée, Cheddite n’a pas officiellement répondu à nos sollicitations. Mais Politis a pu discuter au téléphone avec un employé de l’entreprise qui n’a pas souhaité se présenter. Agacé par nos questions, il affirme que Cheddite ne fabrique que des douilles pour « la chasse et le ball-trap. »
Pourtant, elles sont aussi utilisées pour les munitions de l’entreprise française SAPL retrouvées notamment au Liban, au Sénégal ou encore au Togo. SAPL, inventeur du Gomm-cogne, est « spécialisée, depuis 40 ans, dans la conception et la fabrication d’armes, de munitions et d’équipements de maintien de l’ordre », peut-on lire sur son site. Bien loin de la chasse et du tir sportif.
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Cheddite est un sous-traitant. Elle fabrique des douilles vides et les vend à des entreprises basées parfois dans des pays tiers, qui les remplissent de plomb, de billes en caoutchouc ou autres et les revendent à l’extérieur. Ces munitions ont ainsi atterri en Birmanie – où la répression a fait plus d’un millier de morts – en passant par une entreprise Turque, Yavascalar Ammunition.
« C’est comme pour les machines-à-laver, ose l’employé de Cheddite au téléphone. Une entreprise sous-traitante fabrique une pièce mais ne sait pas où finit la machine. C’est la loi du marché. » Une « loi » qui permet ainsi à des régimes autoritaires d’utiliser du matériel français pour réprimer des civils, malgré les interdictions.
Un embargo qui s’applique aux intermédiaires
Des douilles Cheddite sont aussi susceptibles d’avoir été utilisées en Biélorussie, sous embargo depuis 2011, pendant les manifestations de 2020 après la réélection de Loukachenko, un proche de Poutine. La répression a fait 4 morts, plus de 4000 blessées, des dizaines de milliers d’arrestations.
D’après le ministère des affaires étrangères, l’embargo sur les ventes d’armes s’applique bien aux intermédiaires. Les entreprises françaises sont censées s’assurer que leur produit ne sera pas utilisé sur un territoire sous sanctions. Des mesures ont-elles été prises dans ce sens par Cheddite ? La réponse de l’employé est sans appel : il nous raccroche au nez.
Selon une source bien informée, la France n’aurait observé aucune irrégularité dans la gestion de Cheddite. Il serait question de marché noir. L’entreprise franco-italienne, de son côté, continue d’utiliser l’alibi du tir sportif et de la chasse.
En réalité, elle est bien plus proche des opérations de maintien de l’ordre qu’elle le prétend : le président du conseil d’administration de Cheddite France, Gilles Roccia, est aussi le directeur général de Nobel Sport. Une entreprise française qui vend dans le monde entier… des grenades lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des munitions de LBD.
* Le prénom a été modifié.
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