Paul Veyne, disparition d’un érudit iconoclaste

Ce grand vulgarisateur des civilisations gréco-romaines, proche de Michel Foucault, se démarquait par une démarche et un style atypiques, réflexifs, voire autocritiques.

Olivier Doubre  • 5 octobre 2022
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Paul Veyne, disparition d’un érudit iconoclaste
© PAUL VEYNE EN FÉVRIER 2016, LORS D'UNE SÉANCE PHOTO POUR L'EXPRESS. (PHOTO : JOËL SAGET/AFP.)

Ancien professeur au Collège de France, grand érudit et vulgarisateur des civilisations gréco-romaines, Paul Veyne s’est éteint jeudi 29 septembre à 92 ans. Disparaît là l’une des dernières figures de cette génération assez exceptionnelle d’antiquisants de la seconde moitié du XXe siècle, emmenés d’abord par Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, mais aussi Claude Mossé et Nicole Loraux.

Il contribua avec ces dernier·es à une lecture exploratoire et novatrice de la Grèce et de la Rome antiques, à travers des objets historiques d’une grande originalité, tels que les loisirs, les classes sociales ou la sexualité, dans ces sociétés anciennes.

Ce Provençal, qui découvrit l’observation joyeuse des écritures latines à Aix-en-Provence ou au musée de Nîmes, intègre, avec force travail, l’École normale supérieure en 1951. Il y rencontre Michel Foucault, qui devient un proche ami et avec qui il partage cette passion pour l’Antiquité – comme le montrent les dernières années des Cours de ce dernier au Collège de France – et auquel il consacre un livre émouvant, Foucault, sa pensée, sa personne en 2008 (Albin Michel).

Dépoussiérer l’étude de « l’Empire gréco-romain »

© Politis

Passé brièvement (comme Foucault) par le PCF avant 1956 et le « Rapport Krouchtchev », il reste engagé aux côtés d’une gauche critique et anticolonialiste, dénonçant notamment la torture de l’armée française lors d’un « terrain » en Algérie.

S’interrogeant toujours sur sa pratique de chercheur, notamment dans Comment on écrit l’histoire (1971), l’un de ses maîtres-ouvrages d’épistémologie, cet érudit iconoclaste continue de dépoussiérer l’étude de ce qu’il appelle « l’Empire gréco-romain », dans une démarche et un style atypiques, volontiers réflexifs, voire autocritiques.

Jusqu’à questionner son propre parcours dans un beau livre autobiographique, Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas (Albin Michel, 2014, Prix Femina), à propos duquel il nous avait accordé un long et chaleureux entretien.

Idées
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