Jean-Claude Renard, la plume et la vie

Notre collègue est décédé la semaine dernière. Son regard et son écriture aiguisés manqueront fortement à Politis, à ses collègues et amis. Retour sensible sur le parcours d’un homme gourmand et généreux.

Olivier Doubre  • 9 novembre 2022 abonné·es
Jean-Claude Renard, la plume et la vie
© Lors d’un voyage à Venise, Jean-Claude attend un vaporetto. (Photo : Olivier Doubre.)

Du fait de son nom à consonance carnassière, certain·es, sans doute plus anglophones, le surnommèrent « le Fox » ; mais davantage parmi les collègues et amis l’interpellaient affectueusement par un « Volpe », mot qui (même s’il est féminin en italien) signifie « renard ».

C’est que notre journaliste à la plume toujours acérée avait un tropisme affirmé pour le pays et la langue de Dante. Auteur de nombreux guides sur la Péninsule (Michelin, La Découverte…), qu’il avait sillonnée de long en large des années durant, d’une table l’autre, avec un attrait irrépressible pour Venise et Rome, mais aussi pour les collines toscanes, les criques des îles siciliennes ou celles faisant face à Naples, il s’était rapproché de l’auteur de ces lignes, lui aussi très lié aux terres transalpines.

À 57 ans bien sonnés, Jean-Claude a donc tiré sa révérence sans prévenir, lundi 31 octobre dans la soirée. Arrêt cardiaque. Le diagnostic, sans appel, choqua fortement notre petite équipe, abasourdie, alors qu’elle était affairée dans la dernière ligne droite du bouclage de notre précédent numéro.

Il était arrivé en 1996 à Politis comme simple stagiaire, finissant alors sa thèse de lettres modernes sur un sujet fort peu étudié – Céline et la maternité – qu’il publiera bientôt aux éditions Buchet-Chastel (1). Son style affûté, immédiatement, frappa les responsables du journal.

Phrases courtes, fleuries d’argot parisien ou d’expressions très « céliniennes », sinon de clins d’œil appuyés à la langue de Michel Audiard, les papiers de Renard détonnent vite dans nos colonnes. Celui qui collectionnait depuis l’adolescence les éditions anciennes de classiques, dénichées entre deux cours à la Sorbonne chez les bouquinistes des bords de Seine, y inscrivait souvent des références littéraires, attaché à la belle langue.

© Politis
Photo : Olivier Doubre.

Notre néo-journaliste (et docteur ès lettres) prend vite goût au métier, alliant sa passion pour l’écriture à une insatiable curiosité pour le vaste monde, pigeant d’abord à Politis et au Magazine littéraire. Avide de rencontres avec des artistes, des romanciers, des militants, il saute alors d’une latitude à l’autre, traversant plusieurs fois l’Amérique du Sud jusqu’aux confins de la Terre de Feu, empruntant, après avoir séjourné au Japon, le mythique Transsibérien (sur les traces de Blaise Cendrars) de Pékin à Moscou.

Parmi tous les genres journalistiques, Jean-Claude affectionnait tout particulièrement le portrait, qui lui laissait sans doute la plus grande liberté dans l’écriture, entre exigence stricte du style et découverte d’une personnalité, d’un parcours, d’un lieu…

Né dans un milieu ouvrier près de Marseille le 3 mars 1965, orphelin de mère dès ses 16 ans, il monte à Paris pour être élevé par ses grands-parents, avec sa petite sœur et son frère jumeau. Il travaille d’une usine automobile (à la chaîne) à un poste de « pion » et d’autres petits boulots pour payer ses études.

Un dilettante apparent, fou de travail et amoureux de la vie, attachant, passionné et chaleureux, toujours pressé, voire débordé.

En guise de revanche sur la vie, il tient à aller au terme de son cursus de lettres, jusqu’à réécrire sa thèse pour la publier chez un grand éditeur. Mais, loin des codes détenus par les « héritiers », ce bon vivant fonctionne d’abord à l’instinct. Celui d’un dilettante apparent, fou de travail et amoureux de la vie, attachant, passionné et chaleureux, toujours pressé, voire débordé.

« Volpe » ne se donnait jamais de répit, débordant d’énergie, menant sans cesse de front plusieurs projets. Rétif a priori aux nouvelles technologies (auxquelles il avait dû se plier), il a publié une bonne quinzaine d’ouvrages. Des romans pleins d’humour, souvent situés en Italie, comme son Marcello (chez Fayard, édité par le grand Claude Durand en 2002), l’un de ses textes les plus attachants, des portraits de « casseroleurs étoilés » ou des essais sans concession sur les tendances gastronomiques contemporaines, dont tous les premiers jets, comme ses innombrables articles, furent d’abord écrits sur des carnets au crayon noir, la gomme à portée de main, avant d’être retravaillés longuement au clavier…

Photographie, littérature, documentaire, sports (surtout le foot), mais aussi l’univers carcéral ou la grande précarité, sociale ou mentale, c’est toujours avec empathie, chaleur et une grande générosité qu’il se plongeait dans un nouvel univers, non sans une ironie parfois féroce, comme pour se garder de la violence et des laideurs du monde qui l’entourait.

Oui, Renard, il en faudrait beaucoup, des comme toi, des blessés, quasi désespérés, mais s’acharnant à rester debout. Écrivant pour discerner la beauté dans ce monde de brutes. Tes blagues à la Audiard, dans un « caboulot » comme tu disais, avec un verre de rouge, autour d’une pasta à la truffe de Toscane, vont durement nous manquer. Un’abbraccio fortissimo a Luca [son fils, adoré, de 3 ans] e a Amélie !


(1) Céline, les livres de la mère, éd. Buchet-Chastel, 2004.

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