Mégabassines : un long week-end de représailles

Interdictions préfectorales, répression musclée et accusations d’« écoterrorisme » : la répression du mouvement contre le chantier de la retenue d’eau de Sainte-Soline est encore montée d’un cran.

Guy Pichard  • 2 novembre 2022 abonné·es
Mégabassines : un long week-end de représailles
© Les militants anti mégabassines ont été fermement réprimés. (Photo : Guy Pichard.)

S’il y a eu de la violence dans les deux camps, il y a quand même un déséquilibre des forces entre d’un côté des bouts de calcaire et, de l’autre, des grenades GM2L et des tirs de LBD à la tête », confie Julien, encore choqué de la manifestation de la veille et venu soutenir ses camarades en garde à vue devant le commissariat de Ruffec, en Charente.

Le nouvel épisode de cette « guerre de l’eau » dans les Deux-Sèvres a connu une étape qui fera date, le week-end des 29 et 30 octobre à Sainte-Soline. L’interdiction du rassemblement par la préfecture, les routes bloquées le matin même et la présence d’environ 1 600 gendarmes et de quelques hélicoptères n’auront pas découragé les opposants au chantier.

Venus à près de 7 000, le samedi 29, à l’appel de près de 150 organisations (dont Les Soulèvements de la Terre, Bassines non merci et la Confédération paysanne), le chantier en question avait tout d’un symbole de cette lutte contre les mégabassines qui dure depuis cinq ans.

Prévue dans le projet global composé de 16 retenues d’eau géantes destinées à arroser l’agriculture productiviste dans la région, la bassine de Sainte-Soline impressionne par ses dimensions : 16 hectares, soit la taille de 22 terrains de foot. L’objectif des manifestants ? Faire tomber les grilles de ce cratère artificiel géant, vidé de ses engins de chantier.

Manifestation refusée

« Il n’y avait rien à défendre là-bas, si ce n’est le symbole auquel la préfète ne voulait pas que l’on touche », synthétise Mélissa Gingreau, porte-parole du collectif Bassines non merci. « Nous avions fait une déclaration de manifestation, qui a été refusée. Le système de répression n’est là que pour faire taire ce mouvement. Cela fait cinq ans que nous nous battons à ce sujet et appelons à la tenue d’une vraie concertation, mais il n’y a pas moyen d’avoir un débat public, ni de manifester aujourd’hui. »

Tout semblait donc réuni pour que la manifestation dégénère, malgré un cortège principal pacifiste. Si les forces de l’ordre ont déploré une soixantaine de blessés dans leurs rangs (dont 22 « sérieux », sans autre détail), les manifestants en comptaient une cinquantaine.

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Le cortège principal a progressé vers le chantier par vagues de manifestants se tenant la main, dans une ambiance joyeuse puis sous un déluge de projectiles. (Photos : Guy Pichard.)

Derrière ces chiffres, la réalité fut celle d’un cortège composé d’une foule bon enfant, avec même des familles, des personnes âgées et quelques politiques, mais violemment accueilli par les gendarmes. Et c’est sous une pluie de projectiles que s’est déroulée la marche. Ainsi les députés Lisa Belluco (Europe Écologie-Les Verts), Manon Meunier et Loïc Prud’homme (La France insoumise) ont notamment été touchés, malgré leur écharpe tricolore.

Julien Le Guet, le leader du mouvement, a été violenté en fin de manifestation, nécessitant des soins médicaux immédiats après une brève perte de connaissance. « Quatre gardes mobiles se sont acharnés sur Julien, confirme Mélissa Gingreau. Ils l’ont notamment matraqué au niveau du crâne, avec comme conséquence une fracture qui a nécessité des points de suture. »

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Julien Le Guet, leader du mouvement Bassines Non Merci, a été violemment matraqué au niveau du crâne par les forces de l’ordre, nécessitant des points de suture. (Photo : Guy Pichard.)

Sur la cinquantaine de blessés côté manifestants, on compte 15 blessures ouvertes, impliquant 4 hospitalisations. Trois personnes ont subi des tirs de LBD à la tête, dont l’une est mutilée au niveau du visage. Du jamais-vu dans l’histoire de ce mouvement.

Comparutions immédiates

Le jour suivant l’importante manifestation du samedi 29 octobre a vu une « victoire » des opposants. En effet, une vingtaine de mètres de canalisations reliées au chantier de la bassine ont été sectionnés. Sur le campement, une « vigie » a été montée afin de « suivre l’avancée des travaux ».

Ledit campement se situe sur un terrain privé appartenant à Philippe Beguin. L’agriculteur, qui prête cette parcelle, s’est lui-même détourné du modèle des mégabassines. Avec la crainte de subir des représailles en raison de son engagement dans la lutte. Les forces de l’ordre ont pratiqué peu d’arrestations, mais elles prennent un caractère symbolique. Seules quatre personnes ont été placées en garde à vue à la suite de la manifestation, puis ont été déférées en vue d’une comparution immédiate.

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Les pouvoirs publics ont mobilisé 1600 gendarmes. La répression a été féroce. Les forces de l’ordre ont déploré une soixantaine de blessés dans leurs rangs, les manifestants une cinquantaine. (Photos : Guy Pichard.)

« Le parquet voulait les juger deux jours après pour “participation à un mouvement”, une infraction classique de la répression des mouvements sociaux et des luttes politiques, estime Hanna Rajbenbach, avocate au barreau de Paris et chargée de leur défense. La défense, c’est-à-dire moi, mon confrère et les prévenus, s’y est opposée. Cette comparution immédiate ferait le jeu du parquet qui veut prononcer des jugements dans le feu de l’action politico-médiatique. »

Lire aussi : À La Clusaz, la mégabassine prend l’eau

Placés sous contrôle judiciaire avec comme mesure principale une interdiction de présence dans les Deux-Sèvres, ils seront jugés le 28 novembre prochain. « Le parquet a dit lui-même vouloir “mettre fin à la spirale de radicalisation de la lutte autour des bassines”, révèle Hanna Rajbenbach. Il a laissé sous-entendre qu’il n’y avait pas grand-chose contre ces quatre personnes, mais qu’il continuerait à exercer toute forme de répression contre les membres de cette contestation. »

Le lobby agro-industriel a besoin de ces forces de police car ces projets-là sont aberrants pour l’immense majorité des citoyens.

Des propos étonnants venant de la justice, confirmés par Mélissa Gingreau, également présente au tribunal : « À l’audience, le procureur a dit clairement que les personnes en garde à vue n’étaient pas fichées S et qu’il n’y avait pas grand-chose contre elles. » Malheureusement, de telles considérations sont conformes à l’histoire récente des luttes écologiques, même si celle dite des mégabassines semble bien sévèrement réprimée.

« Après le démontage de la pompe de la bassine de Cramchaban [le 6 novembre 2011, NDLR], il y a eu des gardes à vue, ici, et beaucoup d’intimidations, se souvient Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. J’ai moi-même été auditionné toute une matinée dans la gendarmerie de ma commune. Nous étions repartis avec cette fameuse pompe, qui ne vaut rien, avec la volonté de l’emmener devant le ministère. Les suites données font bien sûr partie d’un processus d’intimidation pour montrer aux autres ce qui peut arriver aux activistes. »

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Politiques et leaders d’organisations se sont succédé sur la remorque avant la manifestation, comme ici Nicolas Girod, de la Confédération paysanne. (Photo : Guy Pichard.)

Peut-on pour autant inscrire cette lutte dans les temps forts de la contestation contre l’agro-industrie en France ? Sans nul doute, selon Yannick Jadot, député européen EELV venu sur le campement pour apporter son soutien aux manifestants. « Ce qui se passe ici est à rapprocher de ce qui s’est passé à Bure avec les militants antinucléaires, nous explique l’ancien candidat à l’élection présidentielle. Cela illustre bien la volonté du gouvernement de faire taire cette mobilisation citoyenne. On voit bien qu’aujourd’hui, le lobby agro-industriel a besoin de ces forces de police car ces projets-là sont aberrants pour l’immense majorité des citoyens. »

Un constat largement partagé par Nicolas Girod, qui ancre cette mobilisation, vivace depuis des années, dans l’histoire des grands combats pour une agriculture plus vertueuse. « À la Confédération paysanne, nous inscrivons cette lutte dans celles du monde paysan comme contre les OGM ou la ferme des 1 000 vaches. C’est le même fil du combat contre l’agro-industrie Et nous aimerions que l’issue soit aussi victorieuse que les précédentes. »

Après un été caniculaire et une problématique de l’eau devenue un véritable enjeu national, la bataille des mégabassines pourrait même être la plus grande.

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Dans le marais poitevin, des milliers de personnes sont aujourd’hui engagées dans une lutte contre un projet de mégabassines. Fabien Mazzocco a filmé ce territoire et ses habitants pendant 20 ans et documente comment une zone paisible est devenue l’épicentre d’une véritable guerre de l’eau.

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