Condamnation du policier municipal accusé d’avoir uriné sur deux mineurs

Le policier municipal de Saint-Ouen accusé d’avoir uriné sur deux adolescents et violenté l’un d’eux a été condamné à douze mois de prison fermes et cinq ans d’interdiction d’exercer. Politis était présent le jour de l’audience.

Nadia Sweeny  • 19 décembre 2022
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Condamnation du policier municipal accusé d’avoir uriné sur deux mineurs
Un policier municipal de Saint-Malo, en mars 2021.
© Damien MEYER / AFP

La salle du tribunal correctionnel de Bobigny était animée cet après-midi du jeudi 15 décembre. Plusieurs membres d’associations de lutte contre les violences policières étaient venus suivre le procès de Cédric G., cet ancien policier municipal de Saint-Ouen accusé d’avoir uriné sur deux adolescents. Il avait frappé violemment l’un d’eux qui était menotté au banc du commissariat de la commune.

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Le prénom a été modifié.

Après avoir entendu le récit du jeune Moussa*, 17 ans, le premier témoin s’avance : c’est son grand frère, policier d’une brigade anti criminalité (BAC) locale, grâce auquel l’affaire a éclaté au grand jour. Taillé comme une armoire à glace, l’homme d’une trentaine d’années évoque l’appel de sa sœur, le jour des événements. « J’ai dit « bougez pas, j’arrive ». »

Chez ses parents, il trouve son petit frère en larmes. À la barre, son dos musclé se crispe, sa voix tremble. « Il sentait l’urine », affirme-t-il. En débarquant au commissariat, « je leur ai dit « je suis collègue, je veux parler au gars qui a pissé sur mon frère ». Il n’était visiblement pas très courageux : c’est son chef de groupe qui est venu m’expliquer que mon frère sentait la pisse parce qu’il y en avait sur le sol. »

« Vous pissez sur les jeunes »

Une explication qui ne satisfait pas du tout le policier. « Je récupère le vêtement, je l’ai mis dans un sac. J’ai appelé mon commissaire de police afin d’aviser la commissaire de Saint-Ouen et du district. J’ai demandé à un collègue d’appeler le maire. » liste-t-il, avant de raconter le lot commun que beaucoup de victimes de violences policières connaissent : « Mes parents ont voulu porter plainte au commissariat de Saint-Ouen et ils ont été refoulé deux ou trois fois. »

À cause de lui, 200 000 policiers se prennent des reproches.

Mais lui est de la maison. « C’est moi qui ai dû y aller, peste-t-il. Avant d’ajouter : « C’est à cause de mecs comme ça qu’on se fait agresser dans la rue. Maintenant, dès qu’on patrouille, on a le droit à « Vous pissez sur les jeunes ». À cause de lui, 200 000 policiers se prennent des reproches », clame-t-il. Les vêtements récupérés ont été analysés mais aucune trace d’urine ne sera retrouvée.

Quand Cédric G. arrive à la barre, il est amaigri, caché derrière son masque. Bien moins sûr de lui que sur la vidéo, où il frappe sans vergogne le jeune adolescent de 14 ans menotté au banc du commissariat. Le président le questionne d’abord sur l’affaire de l’urine.

Cédric G. a toujours nié avoir uriné sur les adolescents. Il avait aussi nié les coups et même d’avoir sorti son sexe, jusqu’à ce que la vidéo (voir ci-dessous) et les témoins viennent le contredire. Il a ensuite adapté son discours.

Dominé et soumis 

Ce jour-là devant le tribunal, il justifie avoir sorti son sexe en raison d’un problème de prostate. « Au moment de l’intervention, il faut que je pisse. Je fais le geste et ils ont cru que je l’avais fait. J’ai eu une crise de prostate. Une énorme douleur qui remonte dans les reins et dans le dos. Je ne me contrôle plus. Les jeunes m’ont vu sortir mon sexe » tente-t-il d’argumenter. « Vous ne pouvez pas vous retourner ? » questionne alors le président. « J’aurais pu. Je n’ai pas eu le temps. La douleur provoquée fait que je n’ai pas pensé. »

Concernant les coups portés au sein du commissariat, Cédric G. s’explique par un propos de Pierre qui l’aurait mis en colère : « Il m’a dit « Viens me sentir la bite » et de la part d’un jeune sur lequel je n’ai pas uriné, ça m’a fait débloquer. J’ai perdu la raison. » Il ne cessera de dire tout au long de son procès qu’il a perdu ses nerfs.

Le président l’interroge sur les feintes de coups, sur le sentiment qu’il voulait générer chez l’adolescent. « Je voulais lui faire peur. Il a dû se sentir amoindri, rabaissé. » L’assesseur s’approche alors du micro : « Monsieur, vous êtes équipé. Il est entravé. Il a 14 ans… Est-ce que les termes adéquats, ça n’est pas plutôt dominé et soumis ? » Cédric, baisse le regard. « Je ne sais pas. » 

« Deux Africains, un blanc »

Me Tricaud, avocat de Moussa, questionne le mis en cause sur les raisons de l’interpellation des jeunes. Réponse : « Ils étaient dehors malgré le couvre-feu, ils couraient et la police nationale nous a dit de les rattraper. » L’occasion pour Loïc Pageot, le procureur de s’engouffrer :

Que vous ont demandé les policiers ?
De rattraper trois jeunes qui s’enfuient d’un quartier où il y a du trafic.
Ils vous ont donné une description ?
Non.
Ah…
Trois jeunes. Deux africains, un blanc.
Et comment, en deux minutes, ces jeunes sont encore là où on les a repérés alors qu’ils sont censés courir : ils font du sur place ? raille le procureur. Juridiquement, sur si peu de faits, rien ne permettait de faire un contrôle : quel est le motif d’interpellation ?
Ils sont dehors sous couvre-feu et ils sortaient d’un quartier où il y a du trafic.
– Le non-respect du couvre-feu était passible d’une contravention.

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Le prénom a été modifié.

Sur le banc des victimes, la mère de Pierre* – ce dernier a refusé de venir – et Moussa écoutent silencieusement. À leur côté, le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, dont la commune s’est constituée partie civile, a tenu à venir soutenir les jeunes et leurs familles. L’enquête administrative de sa ville, rondement menée, a beaucoup aidé le dossier : la mairie a été la première à récupérer la vidéo des violences.

 Nous devons être intransigeants vis-à-vis de ces agissements.

« Nous devons être intransigeants vis-à-vis de ces agissements. Je suis là, en tant que partie civile, aussi pour dire aux autres maires qu’il ne faut pas laisser passer ça », déclare l’élu à Politis, avant de se confier sur les tentatives de pressions dont il aurait fait l’objet de la part des policiers municipaux qu’il a mis à pied : Cédric G et son supérieur Yohann C.

Mais sur le banc des accusés ce jour-là, il n’y a qu’un seul homme. Où est le collègue qui l’a couvert ? Où sont tous ceux qui ont regardé sans rien faire ? Au commissariat de Saint-Ouen, « on peut mettre des pains dans la gueule d’un gamin de 14 ans dans la plus grande tranquillité » plaide Me Tricaud.

Les polices municipales en question

Mais c’est Me Kathleen Taïeb, avocate de Pierre, qui enfonce le clou lors de sa plaidoirie et fustige le nombre d’infractions qui n‘ont ni fait l’objet d’investigations, ni poursuivies : « Port d’arme non autorisé, violences sur mineurs avec matraque, insultes racistes, complicité, non-assistance à personne en danger, faux en écriture publique, subornation de témoins Passé au tamis du ministère public, on se retrouve avec une seule personne mise en cause pour exhibition et violences volontaires. » Et de clamer : « Cédric G. ne devrait pas être seul ici. »

Pour une fois, l’avocat de la défense Me Hauchecorne est relativement d’accord : « Il y a des pans entiers sur lesquels il aurait fallu investiguer » plaide-t-il, pointant la perversion du fonctionnement des polices municipales. « Normalement, leurs tâches sont administratives mais comme la police est incapable de faire ce qu’il faut, on fait appel à eux. Ils deviennent des polices secours alors qu’ils ne sont pas habilités et pas formés. » Sans preuve formel de traces d’urine, l’avocat en appelle à une peine équilibrée.

Résultat : Cédric G. est condamné pour exhibition et violences volontaires à douze mois de prison fermes – avec révocation des six mois de sursis issus d’une condamnation antérieure pour détention illégale d’arme –, à cinq ans d’interdiction d’exercer et un peu plus de 8 000 euros au titre des préjudices et des frais d’avocats.

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