Entrepreneurs de travaux en chaleur humaine

Sarah habite depuis trois ans dans une maison impossible à chauffer. L’association des Compagnons bâtisseurs l’aide à sortir de sa précarité énergétique. Reportage.

Maxime Sirvins  • 14 décembre 2022 abonné·es
Entrepreneurs de travaux en chaleur humaine
« On en fait souvent un peu plus. On dépanne les gens comme on peut avec ce qu’on a sous la main. »
© Maxime Sirvins

Sarah pointe la température affichée sur le thermomètre placé dans le salon à côté de sa télévision. « 12 °C en plein après-midi, alors imaginez la nuit ! » À côté, un autre instrument indique 50 % d’humidité. Pendant qu’elle prépare un café dans sa cuisine, deux ouvriers s’affairent sur le toit. Dans cette habitation à Cadaujac, non loin de Bordeaux, l’association des Compagnons bâtisseurs aide Sarah à sortir de sa précarité énergétique.

Le calvaire de la quadragénaire a commencé en 2019. Après avoir divorcé, Sarah emménage dans une petite maison comprenant un salon avec cuisine ouverte d’une vingtaine de mètres carrés et deux chambres. Elle décide alors d’effectuer des travaux à hauteur de 25 000 euros. Une somme importante pour elle, qui touche aujourd’hui le Smic en travaillant dans un spa, après une période de chômage. « Je l’aime, ma petite maison, et j’ai voulu la rendre parfaite », lance-t-elle en se réchauffant sous un plaid.

Hélas, tout ne s’est pas passé comme prévu. Les travaux n’ont jamais été terminés. Pire, ils ont aggravé la situation du logement. Après avoir constaté des malfaçons, Sarah a lancé une procédure contre l’entreprise qui a saccagé son foyer. « J’ai eu gain de cause au bout de deux ans, mais, aujourd’hui, l’artisan est insolvable et l’huissier, qui me coûte une fortune, ne trouve pas ses comptes», désespère Sarah. Depuis, c’est toute sa vie qui est chamboulée. « Je ne peux pas inviter mes amis en hiver, ou alors juste pour un petit café. »

Je ne peux pas inviter mes amis en hiver, ou alors juste pour un petit café.

« Trois plaids et des couvertures »

Mais celle qui dort la nuit « en jogging avec trois plaids et des couvertures » ne perd pas le moral. « J’ai la chance d’être en bonne santé. Et puis, ce froid, c’est de la cryogénisation, ça conserve, plaisante-t-elle. Ils m’ont tout saccagé, tout détruit, mais je suis forte ! »

Pour accéder à son foyer, situé au bout d’un chemin de terre qui longe la belle maison de son ex-mari, il faut enjamber une sorte de barrière en filet. Pas de portail ici. À gauche de la porte d’entrée, bien gardée par Wally, un petit yorkshire mécontent de toute cette agitation, est posé à même le sol un compteur électrique de chantier. « On me l’a installé récemment pour 1 000 euros, car je n’avais pas d’électricité dans la maison», explique Sarah de sa voix fluette.

Dans le salon et la cuisine, les plinthes sont absentes et laissent apparaître des taches de moisissure. Une pompe à chaleur est installée sur un mur… mais elle ne fonctionne pas. « Les artisans l’ont cassée et, quand j’ai râlé, ils l’ont juste refixée sur le mur sans la réparer. »

En l’absence de chauffage, la maison de Sarah est envahie par l’humidité et les moisissures.
Nikita lui installe de nouveaux Velux : les précédents n’étaient pas hermétiques. (Photo : Maxime Sirvins.)

Dans cette maison, aucun interrupteur ne fonctionne. Pour s’éclairer dans les pièces et les couloirs, Sarah utilise des LED à piles qui se collent sur les murs. Mère de trois enfants, dont « deux grands », elle préfère que son troisième fils dorme chez son père pour être « au chaud et au sec ». Dans la chambre mal éclairée, des jeux de société sont eux aussi rongés par la moisissure. 

Dans le salon, sous l’escalier, se trouve le ballon d’eau chaude, raccordé par un simple tuyau qui traverse le jardin. La maison n’est pas correctement raccordée à l’eau non plus. En plus de fuir, le ballon sature rapidement le petit compteur de chantier. «Je l’allume seulement deux ou trois heures tous les deux jours, pas plus, sinon tout saute à chaque fois. C’est un enfer. »

300 salariés et 600 bénévoles

En haut des escaliers en bois, des vêtements s’entassent dans des penderies bringuebalantes. Une immense tache noire recouvre le sol. Cette souillure d’humidité est causée par la pluie : aucun des Velux n’est étanche. Aujourd’hui, les Compagnons bâtisseurs sont là pour les réparer. Cette association, créée en 1957, apporte son aide à des publics modestes pour des travaux de rénovation. Grâce à eux, le soleil rentre enfin dans la maison.

Depuis le début, ses Velux sont bâchés pour éviter les fuites. Elle vivait dans le noir.

« Depuis le début, ses Velux sont bâchés pour éviter les fuites. Elle vivait dans le noir », explique Nikita, les bras chargés de tuiles. Âgé de 31 ans, il est membre de l’association depuis juillet, tout comme Éric, 57 ans, qui l’accompagne sur certains chantiers. Nikita travaillait auparavant comme électricien dans une entreprise de défense. C’est en faisant du bénévolat que le jeune homme a découvert les Compagnons bâtisseurs. « Ils ont insisté pour que je vienne », s’amuse Nikita, qui ne regrette pas son choix.

Tout comme Éric, artisan depuis de nombreuses années. « J’ai préféré faire de l’associatif avant de prendre ma retraite. Ça a du sens, ce qu’on fait ici. » Rien qu’en 2020, l’association est intervenue dans plus de 3 000 logements avec 300 salariés et 600 bénévoles.

Alors que les deux hommes rendent – enfin – les Vélux résistants aux intempéries, Sarah confie qu’elle n’aura rien à payer. Faisant tourner sa tasse de café entre ses mains pour les réchauffer, elle explique avoir découvert la possibilité de se faire financer des travaux en allant aux Restos du cœur.

Le chantier est financé par le département de la Gironde, via le service local d’intervention pour la maîtrise de l’énergie (Slime), lancé en 2017. Celui-ci a mandaté une entreprise privée pour faire un état des lieux du logement et déléguer les différents travaux à des entreprises et des associations. Les Compagnons bâtisseurs s’occupent des Velux et la Fondation Abbé-Pierre doit gérer une partie de l’électricité, par exemple.

« 12 °C en plein après-midi, alors imaginez la nuit ! » (Photo : Maxime Sirvins.)

Nikita explique qu’ils ne font que « les petits travaux» et pas de gros œuvre, alors qu’il faudra sûrement refaire le sol rongé par l’humidité. « Il y a tout à refaire dans cette maison. C’est lamentable, ajoute Éric d’un ton agacé. Les mauvais artisans, ça existe malheureusement, même s’il ne faut pas faire de généralités. »

« Grâce à eux, j’ai retrouvé le soleil »

Dans sa veste en polaire grise, tandis que le petit chien Wally nous observe avec insistance, Sarah se colle contre un radiateur prêté par les Compagnons bâtisseurs. « On va sûrement le lui laisser », glisse Nikita. Réchauffée tant bien que mal, la mère de famille passe plusieurs coups de téléphone aux responsables des travaux et à son huissier.

« J’essaie de leur rappeler que j’existe encore », soupire-t-elle. Pendant que l’animateur Cyril Hanouna s’agite dans le téléviseur resté allumé, Sarah explique avec le sourire qu’elle a « hâte de pouvoir profiter pleinement » de sa ­maison. Alors que, soudainement, le bruit des tuiles découpées à la disqueuse par Nikita recouvre celui de la télé, elle ajoute : « Je n’ai pas honte de ma situation. Je sais que tout va s’améliorer. Regardez, j’ai déjà retrouvé le soleil grâce à eux. »

Pendant ce temps, Éric installe les dernières tuiles avec fierté. « Chez les Compagnons bâtisseurs, on est payés par le sourire des gens», lance-t-il en guise de punchline bien rodée.

On en fait souvent un peu plus. On dépanne les gens comme on peut avec ce qu’on a sous la main.

Juste avant de partir, l’artisan passe une dizaine de minutes à chercher de quoi réparer une poignée de porte qui ne tient pas. « On en fait souvent un peu plus. On dépanne les gens comme on peut avec ce qu’on a sous la main», explique-t-il avant de monter dans son camion. Il part pour aller donner un cours de bricolage dans des ateliers gratuits organisés par l’association quelques kilomètres plus loin.

Nikita décide de rester encore un peu pour poser des stores sur les Velux. Avec un grand sourire, Sarah ­trépigne presque d’impatience. « Je veux tout, maintenant !» Manque de chance, les stores ne sont pas à la bonne taille. Nikita devra revenir pour poser les bons modèles dès qu’il aura le temps. Avant de s’en aller, il prend bien soin de ramasser tout ce qui traîne au sol, de replacer les penderies à leur place et salue Sarah.

Les travaux avancent lentement mais sûrement. Sarah se blottit de nouveau contre son petit radiateur de fortune, avec Wally, qui n’est jamais bien loin.

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