Pour la justice sociale et climatique

Plusieurs collectifs militent pour un plan ambitieux de lutte contre la précarité énergétique. Ils multiplient les actions pour médiatiser leur combat.

Vanina Delmas  • 14 décembre 2022 abonné·es
Pour la justice sociale et climatique
Des militants brûlent leurs factures d’électricité devant le ministère de l’Économie, le 24 novembre.
© Raphael Kessler / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

Le 24 novembre, lors de la Journée contre la précarité énergétique, des militants ont bloqué le ministère de l’Économie et des Finances. Un feu a été allumé, certains y ont brûlé leurs factures d’électricité en racontant leur lutte quotidienne pour se chauffer. Une action médiatique conçue par quatre organisations : Les Amis de la Terre, Alternatiba, l’Alliance citoyenne et Dernière Rénovation.

Maïder Olivier, chargée de la campagne « Vivre » pour Alternatiba, a livré son témoignage d’étudiante : « Lors de la vague de froid en 2021, la chaudière n’a pas tenu, le thermomètre est descendu à 10 °C dans mon vingt mètres carrés. J’ai multiplié les mails à Paris Habitat, en rappelant le texte de loi qui oblige les bailleurs à fournir un logement décent, chauffé au minimum à 18 °C. Je suis partie vivre chez des amis en attendant que ma chaudière soit changée. Mais la situation de mes voisins, dont beaucoup sont des familles défavorisées, ne s’est pas arrangée. Il n’y a pas eu de solution collective. »

C’est pour obtenir des changements profonds, globaux, et faire pression sur les autorités publiques qu’une coalition se forme depuis quelques semaines entre les organisations luttant contre le mal-logement et les mouvements pour le climat.

Ces derniers mois, un coup de projecteur a été mis sur ce sujet grâce aux actions de la campagne « Dernière Rénovation », lancée en février 2022 par le réseau A22, qui regroupe un ensemble de campagnes dans onze pays, autour de revendications différentes ; la Suisse et la France ont choisi la précarité énergétique.

 La rénovation thermique est un sujet très bien documenté. Mais il manque la volonté politique.

« La rénovation thermique est un sujet très bien documenté, car beaucoup d’associations alertent et travaillent dessus depuis des années. La société possède déjà le savoir et les techniques pour y remédier, mais il manque la volonté politique, explique Nicolas Turcev, un des porte-parole. Un plan ambitieux de rénovation aurait des impacts concrets pour lutter contre le ­changement ­climatique et serait une mesure de justice sociale pour les locataires et les propriétaires. »

Légitimité démocratique

20 % des Français ont déclaré avoir souffert du froid au cours de l’hiver 2020-2021, pendant au moins vingt-quatre heures, selon l’Observatoire national de la précarité énergétique (1), et il reste toujours près de 5,2 millions de passoires thermiques – c’est-à-dire les logements classés F ou G au diagnostic de performance énergétique –, d’après une étude de 2022 de l’Observatoire national de la rénovation énergétique (2).

Dernière Rénovation mise sur la médiatisation via des blocages de routes, de rues, de périphériques, ou des actions de résistance civile lors d’événements emblématiques comme Roland-Garros ou le Tour de France. « Si on ne perturbe pas le cours quotidien des choses, on n’obtient pas l’attention médiatique pour faire la pédagogie nécessaire sur ce sujet. Symboliquement, on stoppe la circulation pour s’arrêter et réfléchir à la catastrophe climatique qui se déroule sous nos yeux », poursuit Nicolas Turcev.

2

« Le parc de logements par classe de performance énergétique au 1er janvier 2022 », juillet 2022, www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr

La légitimité démocratique autour de ce sujet incite également les activistes à s’en emparer et à agir. La Convention citoyenne pour le climat proposait de rendre obligatoire la rénovation globale des bâtiments d’ici à 2030 pour les passoires thermiques, notamment en contraignant « les propriétaires occupants et bailleurs, les pouvoirs publics et les industriels, à rénover leurs biens de manière globale ».

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Plus récemment, l’Assemblée nationale avait adopté des amendements lors de l’examen du projet de budget 2023 qui débloquaient près de 12 milliards d’euros en faveur de la rénovation thermique des logements. Un espoir vite balayé par le 49-3 dégainé par Élisabeth Borne.

Le manque de volonté politique est flagrant et l’argent reste le nerf de la guerre. Une coalition d’organisations s’est formée en novembre pour demander à l’État et à l’Union européenne de repenser le système de financement de la rénovation thermique des logements, et d’accroître les subventions publiques jusqu’en 2050 pour atteindre les objectifs de neutralité carbone.

La coalition Unlock, qui réunit une dizaine d’organisations (3), demande également une action de la part de la Banque centrale européenne (BCE) à destination des ménages les plus précaires. « La colère monte face au coût de la vie qui explose. Si l’État est en première ligne pour y répondre, c’est le rôle de la BCE de contrôler l’inflation au sein de la zone euro. Pour contribuer à la réduction de la demande en énergie et des factures des Européens, la BCE peut lancer une facilité de financement permettant aux citoyens d’accéder à des prêts à taux zéro pour financer la rénovation des logements », précise Paul Schreiber, chargé de campagne régulation des acteurs financiers chez Reclaim Finance.

Écosyndicats

Au niveau des quartiers et des villes, l’association Alliance citoyenne lutte depuis plusieurs années pour améliorer le quotidien des habitants, notamment en soutenant la création d’écosyndicats, qui permettent de porter des revendications collectives.

Dès 2015, les habitants du quartier Teisseire, à Grenoble, qui souffraient du froid et payaient des factures de chauffage astronomiques à cause de fenêtres vétustes se sont mobilisés pour recueillir les doléances de leurs voisins ainsi que les conseils d’experts, puis porter des réclamations auprès du bailleur. Résultat : les fenêtres ont été changées dans tous les HLM concernés.

Les passoires thermiques sont une urgence sociale, sanitaire et climatique ! 

Depuis cet automne, Alliance citoyenne s’est associée à d’autres organisations (Alternatiba, Alternatives territoriales, Cler-Réseau pour la transition énergétique, la Fondation Abbé-Pierre, Greenpeace, le Réseau action climat) pour tenter de passer à l’étape de la mobilisation générale sur ces questions avec le projet Territoire zéro logement passoire, afin de pousser les propriétaires bailleurs à utiliser tous les outils déjà en place pour accélérer la rénovation des bâtiments.

« C’est important de faire prendre conscience que cela touche énormément de monde, et que l’impact des factures n’est pas le même sur tous les revenus, détaille Maïder Olivier, d’Alternatiba. Cela permet aussi de démythifier l’idée selon laquelle l’urgence climatique est une chose lointaine. Le fait d’avoir autant de personnes qui ont froid chez elles tout l’hiver et qui dépensent 20 % de leurs revenus dans les factures d’énergie est une réalité de l’urgence climatique. Les passoires thermiques sont une urgence sociale, sanitaire et climatique ! »

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Société
Publié dans le dossier
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Temps de lecture : 6 minutes