Retraites : la bataille qui peut sauver la gauche

Le projet du gouvernement de reporter l’âge légal de départ à la retraite ouvre un boulevard à l’opposition de gauche. Même si la vraie question sera celle de la mobilisation populaire.

Denis Sieffert  • 4 janvier 2023
Partager :
Retraites : la bataille qui peut sauver la gauche
Mobilisation contre la réforme des retraites le 20 février 2020 devant le préfecture du Gers à Auch.
© Maxime Sirvins.

À quelque chose malheur est bon. Il se pourrait bien que la réforme des retraites permette à la gauche de dépasser ses tourments actuels. Dépasser mais pas oublier, car la question démocratique qui mine depuis si longtemps La France insoumise devra tôt ou tard être réglée.

« Le vote n’est pas l’alpha et l’oméga de la démocratie », avait affirmé Manuel Bompard. Certes, mais c’en est au moins l’alpha. Insuffisant, peut-être, mais indispensable, sûrement. Et l’affaire Quatennens, que le député du Nord a lui-même envenimée par une interview pour le moins déplacée sur BFM, touche à des principes trop graves pour disparaître par amnésie collective.

C’est peu dire que la gauche, à l’aube d’une bataille décisive, est abîmée. Sans même parler du prochain congrès du PS qui risque d’affaiblir Olivier Faure, lequel a fait le choix courageux de la Nupes, ou encore des divergences sur l’opportunité de manifester hors des syndicats.

Malgré ces problèmes, nous voulons croire que la gauche a devant elle une échéance qui devrait lui permettre de reparler haut et clair au pays. Quelle que soit, d’ailleurs, l’issue de la bataille, qu’il serait hasardeux de prédire. À quelques jours de la présentation de la version supposément définitive du projet Macron, le 10 janvier, l’union à gauche paraît sans failles. Et comme le front syndical est également uni, tout est en place.

La vraie question est celle de la mobilisation populaire.

Mais où la bataille va-t-elle se mener ? Ne rêvons pas d’une issue positive à l’Assemblée. On a bien compris que le gouvernement va trouver des appuis à droite, et qu’à défaut, il glissera une partie de son texte dans un projet de loi rectificative de financement de la Sécurité sociale, s’autorisant ainsi à recourir une fois encore au 49.3. Si bien que la vraie question est celle de la mobilisation populaire.

Pour échapper au poison de la résignation, la gauche a deux atouts. Le premier réside dans les maladresses de Macron. Contrairement à ce qui est dit ici et là, le bras tremble. Le président a trop lié son destin à cette réforme. Il en a durci le contenu pour d’inavouables objectifs politiques, avant d’essayer d’en atténuer les effets les plus provocateurs.

Du coup, son texte en a déjà vu de toutes les couleurs. On a l’impression que le gouvernement lui-même ne sait plus où il en est. S’agit-il de « sauver » le système de retraite ou, comme cela est dit une fois sur deux, de renflouer les caisses de l’État ? S’agit-il de repousser l’âge de la retraite à 64 ans, à 65 ans, ou d’augmenter le nombre d’années travaillées ? Ce qui n’est pas la même chose. Et quid de la pénibilité, ce mot que Macron déteste ? Une grande confusion règne dans les hautes sphères du pouvoir. Et peut-être même dans l’esprit du président.

Le deuxième atout réside dans le caractère plus sociétal qu’économique de l’enjeu. Pour la gauche, il s’agira de démontrer qu’il n’y a pas, pour soutenir ce projet, de vérité objective. Il y a un antagonisme social. Deux conceptions s’opposent sur la vie et le monde. Un affrontement presque caricatural entre libéralisme et humanisme. Entre droite et gauche. Et qui renvoie inexorablement à la question du partage des richesses.

Quel que soit l’objectif, il y a d’autres solutions pour renflouer les caisses de l’État, ou sauver un système qui n’est d’ailleurs pas en péril. L’argumentaire comptable, auquel il a été répondu cent fois, est d’ailleurs pétri de contradictions. N’en citons qu’une seule : en repoussant l’âge de la retraite, le gouvernement va augmenter le nombre de ces années durant lesquelles les « seniors » en fin de carrière sont trop souvent privés d’emploi. Il va donc déséquilibrer un peu plus le rapport entre actifs et inactifs. En dix ans, le nombre de « seniors » au RSA a déjà doublé. La réforme va encore accentuer cette tendance.

Nous sommes à la veille d’un débat qui touche à tous les aspects de l’organisation sociale.

Mais c’est ici qu’il faut dire un mot de l’autre réforme, celle de l’assurance-chômage. Les deux font la paire. Si le rêve de la droite s’accomplit, la France aura moins de chômeurs indemnisés, mais plus de pauvres, y compris des « seniors » statistiquement invisibles et contraints à des petits boulots. C’est un puzzle dévastateur qui se met en place. Nous sommes à la veille d’un débat qui touche à tous les aspects de l’organisation sociale, et qui atteint de la façon la plus intrusive nos vies et celles de nos enfants.

L’enjeu pour la gauche sera d’imposer ses thèmes et d’éviter la tarte à la crème d’une réforme qui serait obligatoire du seul fait de l’allongement de la durée de vie.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don