La discrète arnaque du gouvernement à 800 millions d’euros

La hausse du taux de cotisation vieillesse pour les employeurs en contrepartie d’une baisse du taux de cotisation pour la branche accident du travail-maladie professionnelle (AT-MP) cache une discrète arnaque. Discrète, mais coûteuse : au moins 800 millions d’euros. Explications.

Pierre Jequier-Zalc  • 18 janvier 2023 abonné·es
La discrète arnaque du gouvernement à 800 millions d’euros
Les représentants de l’intersyndicale face à la presse après la présentation du projet de réforme des retraites, le 10 janvier 2023 à Paris.
© JULIEN DE ROSA / AFP.

Élisabeth Borne, au pupitre, le 10 janvier, face à la presse. La Première ministre présente son projet de réforme des retraites. Concentrée sur son ­prompteur, elle affirme : « Nous demanderons aux employeurs une contribution supplémentaire pour le financement de la retraite. Mais nous refusons qu’elle augmente le coût du travail. C’est pourquoi nous baisserons, symétriquement, la cotisation des employeurs au régime des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui est très excédentaire. »

Une annonce qui passe inaperçue tant le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans occupe, fort logiquement, tous les esprits. Pourtant, derrière cette phrase un peu nébuleuse se cache une discrète arnaque que nous allons essayer de vous expliquer le plus limpidement possible.

Ne pas augmenter le coût du travail

Le régime général de la Sécurité sociale est découpé en plusieurs branches. L’assurance-maladie en gère deux : la branche maladie, la plus connue, qui « assure la prise en charge des dépenses de santé des assurés et garantit l’accès aux soins » et « recouvre les risques maladie, maternité, invalidité et décès ». Et la branche accident du travail-maladie professionnelle – aussi appelée AT-MP –, qui « gère les risques professionnels auxquels sont confrontés les travailleurs : accidents du travail, accidents de trajet et maladies professionnelles. À ce titre, elle indemnise les victimes et fixe la contribution respective des entreprises au financement du système ». Elle réalise aussi des actions de prévention contre ces risques professionnels. Cette branche AT-MP a une particularité : elle est financée ­quasiment intégralement (97 %) par les employeurs.

Jusque-là ça va ? Reprenons donc la phrase d’Élisabeth Borne. Elle y affirme que les employeurs contribueront en plus pour le financement du système des retraites. Autrement dit, le taux de cotisation vieillesse va légèrement augmenter pour les entreprises de 0,1 point.

Mais, dans sa quête à tout prix du plein-emploi, le gouvernement ne cesse de le rappeler, il ne faut pas que le « coût du travail » augmente. Ainsi, pour contrebalancer cette légère hausse, le taux de cotisation pour financer la branche AT-MP sera baissé du même ordre pour que l’opération soit nulle pour les entreprises. Si la baisse du taux est faible, elle représente tout de même une variation de l’ordre de 800 millions d’euros.

Pour justifier cette opération qualifiée de « solidarité entre branches », la Première ministre affirme que la branche AT-MP est « très excédentaire ». Sur le papier, ce n’est pas faux. En 2021, l’excédent de la branche était de 1,3 milliard d’euros, et les prévisions l’avaient estimé à 2,2 milliards en 2022. Mais ça devient croustillant quand on se penche sur les raisons de cet excédent. Attention, c’est là qu’il faut suivre.

Une sous-déclaration en forte hausse

Chaque année, des dépenses qui devraient être assurées par la branche AT-MP sont en réalité prises en charge par la branche maladie (1). La raison ? La sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui ne sont donc pas reconnus comme tels. Pour compenser ce phénomène, la loi de financement de la Sécurité sociale prévoit chaque année le montant que la branche AT-MP doit reverser à la branche maladie.

Cette somme ne sort pas de nulle part : elle s’appuie sur un rapport rendu tous les trois ans par une commission présidée par un magistrat de la Cour des comptes et composée de nombreux spécialistes du sujet, inspecteurs du travail, médecins du travail, épidémiologistes… Les partenaires sociaux sont aussi auditionnés.

La commission a rendu son dernier rapport en juin 2021. Et ses conclusions sont claires : le coût réel, pour la branche maladie, de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles est nettement en hausse. Estimé entre 813 et 1 528 millions d’euros lors du précédent rapport, datant de 2017, il est aujourd’hui, selon la commission, évalué entre 1,23 et 2,112 milliards d’euros.

Cette estimation de l’augmentation du coût réel, pour la branche maladie, de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles est très documentée et même prudente. Par exemple, les maladies psychosociales liées au travail seraient très fortement sous-déclarées, mais elles ne sont pas prises en compte dans cette évaluation.

Un excédent créé de toutes pièces ?

Malgré ce constat, le gouvernement a décidé d’aller à l’encontre de l’avis de la commission lors des deux derniers projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en tranchant plus bas que la fourchette basse donnée par la commission. Ainsi, en 2021, le montant compensatoire n’était que de 1,1 milliard d’euros.

En 2022, de 1,2 milliard. Soit toujours 30 millions d’euros de moins que la pointe basse de la fourchette indiquée par la commission. Pourtant, historiquement, les différents gouvernements suivaient jusqu’ici le travail de cette commission en tranchant sur un montant situé entre les deux bornes de l’estimation.

À travers cette décision, c’est clairement un cadeau qui est fait au patronat. En minorant ce montant, le gouvernement demande à la collectivité de supporter une partie de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. En effet, conserver un montant inférieur à la fourchette estimée implique qu’une partie de cette sous-déclaration est financée par la branche maladie – et donc par tous – au lieu d’être à la charge unique des entreprises.

Lors du travail de la commission, les organisations patronales s’étaient d’ailleurs montrées très opposées à toute augmentation de ce montant. Les représentants du Medef soulignent ainsi qu’il y aurait « une très grande incompréhension si le montant de la sous-déclaration devait dépasser le milliard d’euros ». Leur argument ? « Le transfert à la branche maladie ne doit pas conduire à diminuer l’enveloppe relative à la prévention. »

Ainsi, l’excédent de la branche AT-MP évoqué par la ­Première ministre est en grande partie dû à la mauvaise prise en compte de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. D’une certaine manière, il a même partiellement été créé de toutes pièces par le gouvernement lorsque celui-ci a décidé de largement minorer le transfert entre les deux branches.

En l’utilisant comme argumentaire pour baisser le taux de cotisation des employeurs pour la branche AT-MP, Élisabeth Borne inscrit donc dans le temps deux choses : la prise en charge de facto du coût d’une partie des accidents du travail et des maladies professionnelles par la collectivité. Et la baisse de l’excédent de la branche AT-MP qui aurait pu servir, comme le disait le Medef devant la commission, à des mesures de prévention des risques professionnels.

Le tout pour, encore une fois, ne pas faire payer plus les entreprises. Qui, après la présentation du projet de réforme des retraites, sont bien les grandes gagnantes de ce début de second quinquennat. Au détriment, s’il fallait le rappeler, des travailleurs et des travailleuses.

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Travail
Publié dans le dossier
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Temps de lecture : 6 minutes