« Puissants », « problématiques » : 10 préfets à la loupe

De Didier Lallement à Marc Guillaume, en passant par Régine Engström, revue d’effectif de dix hauts fonctionnaires, bons soldats de la Macronie.

Nadia Sweeny  • 1 février 2023 abonné·es
« Puissants », « problématiques » : 10 préfets à la loupe
Stéphane Bouillon, alors préfet de Corse et préfet de la Corse-du-Sud hors classe, en septembre 2008 lors de sa prise de fonction à Ajaccio.
© Stephan Agostini/AFP.

Les puissants

L’inconnu : Didier Martin

(Photo : Loic VENANCE/AFP.)

Récemment nommé secrétaire général du ministère de l’Intérieur, il pilote le réseau des préfectures et anime l’action territoriale du ministère. Énarque de 55 ans, il est devenu préfet en 2009. D’abord secrétaire général pour l’administration de la préfecture de police de Paris, il devient conseiller maître à la Cour des comptes en 2011. Et directeur de cabinet du ministre des Outre-Mer de 2012 à 2014. Il a aussi une longue expérience des préfectures départementales (Eure-et-Loir puis Gard).

L’équilibriste : Pascal Mailhos

Énarque de 66 ans, passé par les cabinets de Philippe Séguin et Charles Pasqua, il a dirigé les Renseignements généraux (DCRG) entre 2004 et 2006. En 2006, Sarkozy le débarque, lui reprochant de pas avoir anticipé les émeutes de 2005. En réalité, au lendemain des violences urbaines, la DCRG a produit une note « attribuant aux émeutiers un passé moins chargé judiciairement que ne le décrivait le ministre », selon Le Figaro.

(Photo : PASCAL PAVANI/AFP.)

Pascal Mailhos n’aurait par ailleurs pas su anticiper le deuxième volet de l’affaire Clearstream, mettant en cause de nombreuses personnalités, dont Nicolas Sarkozy. Pur produit de la préfectorale, Mailhos poursuit sa carrière à la région Bourgogne-Franche-Comté puis en Occitanie, avant d’atterrir en Auvergne-Rhône-Alpes. À l’aise avec le « en même temps », il fait consensus pour prendre la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, objet d’une bataille d’influence entre la diplomatie et la préfectorale, telle une courroie de transmission directe avec le chef de l’État.

Le grand chambellan : Marc Guillaume

C’est l’un des personnages les plus puissants du pays. Ce conseiller d’État fut de 1997 à 2007 directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la Justice. C’est Manuel Valls, alors Premier ministre, qui le nomme secrétaire général du gouvernement en 2015. Et Édouard Philippe, son ancien élève à Sciences Po, le garde à son arrivée. Très influent, Marc Guillaume fut même surnommé le « Premier ministre bis ». Mais, en 2020, Jean Castex a sa peau.

(Photo : Riccardo Milani / Hans Lucas/AFP.)

D’après Le Monde, cette éviction « signe la volonté de reprise en main de l’appareil d’État par Emmanuel Macron, qui s’agace […] d’une supposée difficulté à faire adopter et appliquer ses réformes ». Marc Guillaume était, en effet, vu comme un « gardien du temple ». Le Président le nomme alors à la puissante préfecture d’Île-de-France, où il remet en question la légalité du « bouclier sécuritaire » de la présidente régionale, Valérie Pécresse. Mais certains élus franciliens dénoncent aussi une promotion du sexisme, car Marc Guillaume a été accusé en 2018 par des conseillères de l’Élysée de propos tels que « C’est rare une femme qui pense »

Le condamné : Stéphane Bouillon 

(Photo : Nicolas LIPONNE/AFP.)

Rare préfet à décrocher le très select poste de secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, habituellement attribué à des conseillers d’État, il a un parcours semé d’embûches. En 2012, il fait expulser un homme, l’accusant à tort de terrorisme, et sera condamné pour diffamation.

Préfet du Rhône, c’est encore lui qui autorise, en décembre 2015, sur ordre direct du Premier ministre, la société Alteo à poursuivre ses rejets en mer de boues rouges ultra-polluantes. Et en avril 2017, il est de nouveau condamné pour la délivrance de permis de construire illégaux en Corse en 2011. 

M. Flash-ball : Patrick Stzroda

(Photo : MEHDI FEDOUACH/AFP.)

Âgé de 71 ans, ce proche d’Emmanuel Macron était préfet des Hauts-de-Seine sous Nicolas Sarkozy. En 2013, il atterrit en Bretagne, où il gagne son surnom en 2016 par son refus de reconnaître qu’un étudiant a été éborgné à Rennes pendant la mobilisation contre la loi travail par un tir de LBD 40. Le 4 mai – en remerciement ? –, il est nommé directeur de cabinet de Bernard Cazeneuve au ministère de l’Intérieur, qu’il suit à Matignon, avant de prendre la tête de la préfecture d’Île-de-France.

Un poste qu’il n’occupera pas réellement, puisque Emmanuel Macron, élu président, l’appelle à ses côtés. Depuis, Strzoda est son directeur de cabinet. Il est donc directement mis en cause dans l’affaire Benalla : c’est lui qui décide de la faible sanction  contre l’homme de main du président, après la manifestation du 1er Mai pendant laquelle ce dernier se grime en policier et frappe des manifestants. Patrick Strzoda est aussi suspecté d’avoir menti devant la commission d’enquête du Sénat sur cette affaire. Le parquet, sans surprise, classera sans suite…


Les problématiques

Le « nazi » : Didier Lallement

(Photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP.)

On ne présente plus le préfet Didier Lallement, connu par ce surnom dans la préfectorale. Nommé en mars 2019 à la préfecture de police de Paris en mission « anti-gilets jaunes », il est connu pour sa brutalité avec ses propres équipes. À Paris, il a créé les brigades de répression des actions violentes motorisées (Brav-M), et sa gestion du maintien de l’ordre a fait de nombreux blessés. En octobre 2022, à 66 ans, il est devenu secrétaire général à la Mer, où il coordonne la politique maritime de la France et dirige donc les garde-côtes. Il a été remplacé à Paris par Laurent Nuňez.

(Photo : Pascal GUYOT/AFP.)

Le bulldozer : Hugues Moutouh

Le préfet Moutouh cultive sa figure de droite radicale. Cet ancien conseiller du pouvoir sarkozyste à l’Intérieur et à l’Élysée, titularisé préfet en 2011, fustige régulièrement sur les réseaux sociaux les « SDF étrangers » ou la « délinquance étrangère », en précisant les origines visées : « algérienne ou marocaine ». Déjà connu pour avoir persécuté les camps de Roms à Montpellier, le préfet de l’Hérault, salué par Éric Zemmour, a assisté en août 2022 à une messe catholique à l’ouverture de la feria de Béziers aux côtés de Robert Ménard.

Le caméléon : Georges-François Leclerc

(Photo : Ludovic MARIN/AFP.)

Proche de Jean Castex, cet énarque de 56 ans a écumé les cabinets ministériels sous Chirac et Sarkozy. Entre 2011 et 2012, il est notamment directeur adjoint du cabinet du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, lui-même multicondamné dans les affaires Sarkozy. Devenu préfet des Alpes-Maritimes en 2016, il voit sa gestion du contrôle des migrants dénoncée par des associations. Le tribunal administratif de Nice annule même une décision de la police aux frontières refusant l’entrée en France de 19 mineurs africains non accompagnés, décision qu’avait pourtant défendue Leclerc.

En octobre 2020, en Seine-Saint-Denis, c’est lui qui prend un arrêté de fermeture de la mosquée de Pantin, dont le recteur avait diffusé un message menaçant Samuel Paty. Malgré sa gestion expéditive des exilés, il a une bonne réputation auprès d’élus de gauche du département, notamment pour avoir alerté sur les risques alimentaires pour la population pendant la crise sanitaire. Depuis juillet 2021, il est préfet des Hauts-de-France.

La reine du pantouflage : Régine Engström

(Photo : SUAREZ / POOL/AFP.)

À 58 ans, Régine Engström a fait la majeure partie de sa carrière à la mairie de Paris avant d’être embauchée par le promoteur immobilier Nexity. Responsable des « partenariats stratégiques », elle siégeait au comité exécutif du groupe. En mars 2021, Emmanuel Macron surprend en la débauchant soudainement pour la parachuter préfète de la région Centre-Val de Loire. Or Nexity prévoit justement un projet immobilier controversé sur ce territoire, incluant la destruction d’une caserne du XIXsiècle, classée, depuis, aux Monuments historiques.

D’après les révélations de Mediapart, la préfète a personnellement écrit à des membres du cabinet de la ministre de la Culture pour favoriser Nexity. Le Parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire pour prise illégale d’intérêts.

Le parachuté : Jean-Marie Girier

(Photo : Jean-Francois FORT / Hans Lucas/AFP.)

Stéréotype du jeune loup parachuté pour servir le pouvoir, Jean-Marie Girier, 38 ans, était le directeur de campagne d’Emmanuel Macron en 2017. Proche de Gérard Collomb – dont il a été le collaborateur à Lyon – et pur produit du PS, il a occupé divers postes au ministère de l’Intérieur ainsi qu’au cabinet de Richard Ferrand, alors président de l’Assemblée nationale.

En 2020, il coordonne l’éphémère campagne d’Agnès Buzyn aux municipales de Paris puis devient préfet. Il est envoyé en 2022 dans la Vienne « pour emmerder la maire EELV de Poitiers », dit-on en interne. Il s’attaque ainsi à une subvention attribuée à l’association Alternatiba et à l’entrée de la ville au capital d’une coopérative regroupant des producteurs agricoles locaux.

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Société
Publié dans le dossier
Préfets, les jouets de Macron
Temps de lecture : 10 minutes