Chez les Républicains, le spectre de la disparition

Une image de premier allié du gouvernement, un groupe parlementaire divisé et un parti fracturé… Les Républicains craignent désormais la dislocation de leur famille politique, à l’image de toutes les divergences de leurs lignes sur la réforme des retraites.

Lucas Sarafian  • 21 mars 2023
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Chez les Républicains, le spectre de la disparition
Éric Ciotti et Olivier Marleix, président du groupe LR, devisent sur les bancs de l’Assemblée, le 6 février.
© Ludovic MARIN / AFP.

Il a la mine gênée et le sourire forcé. Éric Ciotti vient de sortir d’une réunion organisée en urgence avec les députés LR. Un conciliabule lancé juste après l’annonce d’Élisabeth Borne d’activer le 49.3 à la tribune du Palais-Bourbon, ce jeudi 16 mars. Il s’avance et doit parler à la presse. Le parti n’a pas donné de signe de vie depuis presque une heure.

Derrière lui, Olivier Marleix, l’air embarrassé. Dans la situation, c’est plutôt lui, le patron des députés, qui devrait parler. Mais il garde ses distances avec les caméras, alors c’est Éric Ciotti qui s’y colle. Après avoir critiqué l’utilisation du 49.3, il explique : «Le groupe Les Républicains portait une majorité en faveur de la réforme. Certes modeste, mais une majorité, même si je ne dissimule pas qu’il y avait des positions différentes. » Euphémisation à peine voilée de la fracture ouverte au sein de son propre camp.

Pourquoi Olivier Marleix et Éric Ciotti sont-ils aussi crispés ? Est-ce à cause du deal passé fin 2022 entre Élisabeth Borne et eux deux qui vient de capoter ? Est-ce la constatation d’un groupe parlementaire au bord de l’explosion ? Est-ce parce qu’ils sont devenus les coupables de toutes les oppositions ? « Ça va être très compliqué pour la suite », raconte alors un conseiller.

« Une épreuve et un échec »

Près d’un tiers des députés LR anti-réforme ont voté la motion de censure transpartisane portée par le groupe Liot. L’histoire est donc loin d’être réglée au sein du parti. Et cette séquence pourrait se transformer en une ultime crise qui viendrait définitivement disloquer cette famille politique. En jeu, l’avenir du parti.

Pourtant, tout a été fait pour enterrer les divisions et éviter le naufrage. À l’image de ce SMS d’Olivier Marleix à ses troupes au moment de l’examen du texte à l’Assemblée : « France Inter fait une enquête pour connaître votre intention de voter et afficher une division chez nous. Il est totalement inutile de répondre ! »

L’état-major à l’Assemblée a même reculé sur ses menaces de sanction : ne sera exclu du groupe que celui qui cosignerait une motion de censure, et non celui qui en voterait une. Plus question de perdre les 19 députés ayant voté la motion transpartisane. Opération sauvetage. À l’issue d’un comité stratégique, mardi matin, Éric Ciotti s’est contenté de reconnaître « une épreuve et un échec » dont il faudra « tirer toutes les leçons ».

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Mais c’est trop tard, la fracture est là. Il y a désormais les pro et les anti-réforme, et le parti en sera marqué politiquement. D’autant plus que le recul de l’âge de départ à la retraite est une vieille antienne à droite. « Si Les Républicains avaient été au pouvoir, ils auraient à peu près construit une réforme de même allure. Cette réforme était inscrite dans tous les programmes », affirme, lundi 20 mars, Éric Woerth, ancien ministre du Budget sous Nicolas Sarkozy et aujourd’hui député Renaissance.

 L’image générale des LR est devenue floue. Et ça va avec la ligne.

Le parti aurait donc perdu sa boussole. « L’image générale des LR est devenue floue. Et ça va avec la ligne », explique un conseiller. Mais quelle ligne choisir ?

Celle portée par ces « frondeurs » opposés à la réforme et à la ligne de la direction, qu’on traite d’« opportunistes » dans le clan Ciotti-Retailleau-Marleix – un courant loin d’être anecdotique puisqu’il pourrait rassembler environ un tiers des députés, une dizaine de membres au sein du bureau politique et quelques voix qui comptent comme Xavier Bertrand ?

Celle de Rachida Dati, présidente du conseil national de LR, qui plaide pour un accord de gouvernement avec Emmanuel Macron – bien emmenée par Nicolas Sarkozy, qui pousse toujours en coulisses pour approfondir une alliance entre le président et Les Républicains ? Ou celle plus acrobatique défendue par la direction – LR doit être un parti d’opposition qui n’a cessé de faire le SAV de cette réforme ?

Quelle histoire raconter aux électeurs ?

« L’erreur de Ciotti est d’avoir placé Pradié vice-président [au début de son mandat, NDLR]. Il avait tellement peur d’être accusé d’être d’extrême droite, de devenir celui qui allait faire exploser la maison, qu’il a voulu contenter tout le monde, analyse un conseiller du parti. Il faut maintenant clarifier. Il n’y a pas de place pour deux lignes dans l’exécutif du parti. »

Et Aurélien Pradié, veut-il rester ? « Après son éviction, il avait été décidé lors d’une réunion qu’il ne partirait pas. Maintenant, tout est possible », affirme un proche du député du Lot. Toutes les options sont envisageables, y compris son départ définitif.

Après cet épisode, quelle histoire raconter à ses électeurs ? L’opinion a basculé, et ça vaut aussi pour LR : « Les sympathisants étaient plutôt d’accord avec la réforme des retraites, ils sont aujourd’hui majoritairement défavorables. Notre base militante est plus opposée à la réforme que nos élus et nos cadres », analyse un conseiller législatif du groupe LR au Sénat.

Notre base militante est plus opposée à la réforme que nos élus et nos cadres.

La fracture est entamée et le parti en sort plus que fragilisé. Surtout quand l’hypothèse de la dissolution est dans la tête de certains. « Tout le monde est fébrile parce que les députés se disent : “Si nous retournons devant nos électeurs, nous serons sanctionnés si nous nous sommes positionnés pour cette réforme.” »

Autre élément qui aurait motivé les votes des « frondeurs » : Jordan Bardellla, le président du Rassemblement national, s’est engagé, en cas de dissolution, à ne pas présenter de candidats RN face aux candidats LR qui auraient voté pour la motion de censure. L’offre a, semble-t-il, séduit certains LR. Une dissolution peut toujours advenir.

Silences pesants

Il y a donc urgence à se redéfinir en tant qu’opposition. « Soit on acte le fait qu’on a perdu des millions d’électeurs depuis 2012, qu’on renonce à les retrouver et donc on se limite à 4 %. Autant parler de disparition… Soit on travaille sur notre ligne et on marque une ligne d’opposition claire à Emmanuel Macron », pose Zartoshte Bakhtiari, membre du bureau politique du parti.

Mais ces silences pesants resteront dans les mémoires. « Celui de Wauquiez est ahurissant, surtout pour un candidat à la présidentielle », raconte un conseiller législatif proche de Bruno Retailleau. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes ne s’est pas exprimé publiquement sur cette réforme, malgré les demandes insistantes du président du parti. « David Lisnard botte aussi en touche. Il n’y a aujourd’hui aucun chef capable de dire : “Voici ce qu’on pense et où on va.” »

Esseulé, Éric Ciotti devient le capitaine fraîchement élu d’une barque qui tangue de tous bords. Signe de cette fébrilité, on enclenche la séquence suivante : le projet de loi immigration « qu’on compte durcir vers la droite ». Peut-être se trouve-t-il ici, le salut d’un parti dit d’opposition, mais au risque d’entériner un rétrécissement idéologique autour de l’identité et de l’immigration, et une radicalisation à marche forcée sur ces sujets. Éric Ciotti prend-il le pari de ne conserver de LR que sa frange la plus dure ?  

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Politique
Publié dans le dossier
Macron, le pyromane
Temps de lecture : 7 minutes
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