Les Jeunes Républicains : portrait d’une droite à la dérive

À quelques jours de leur congrès interne, les témoignages de nombreux responsables de la formation des 16-35 ans attestent d’une dérive idéologique au sein de leur propre camp. Et ils sont peu nombreux à critiquer cette radicalisation.

Lucas Sarafian  • 30 novembre 2022 abonné·es
Les Jeunes Républicains : portrait d’une droite à la dérive
Guilhem Carayon, président des Jeunes Républicains, lors du campus de rentrée, le 4 septembre 2022.
© Frederic Petry / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

Le même souvenir revient très souvent dans les discussions. La scène se joue le 30 janvier 2019, rue de Vaugirard, au siège des Républicains (LR) dans le quinzième arrondissement de Paris. Laurent Wauquiez, alors patron du parti, monte sur scène lors du « Rendez-vous des idées », un débat organisé chaque mois par le député Guillaume Larrivé. Sans préambule, il lance : « Éric est ici chez lui. » Cet « Éric » porte le nom de Zemmour, polémiste réactionnaire et xénophobe.

À l’époque, il est présenté comme « un intellectuel » qui « fait partie de ceux qui ont contribué à ouvrir les yeux de la France sur ce qui était en train de se passer, notamment sur les dérives du communautarisme, le danger de l’intégrisme et l’effritement de notre roman national ». Depuis, il s’est porté candidat à l’élection présidentielle pour lutter contre le prétendu « grand remplacement ». Une obsession qui séduit chez les apprentis LR.

On veut retrouver le discours que tenait la droite par le passé, notamment sur la sécurité et l’immigration.

Pour une tête pensante des Jeunes Républicains « nouvelle génération », par ailleurs membre de l’équipe d’Éric Ciotti, le souvenir de ce jour sonne comme le point de bascule d’une droite « ferme et qui s’assume enfin ». « On veut retrouver le discours que tenait la droite par le passé, notamment sur la sécurité et l’immigration, explique-t-il. Un retour au RPR et, d’une certaine façon, le discours que peuvent aujourd’hui tenir le Rassemblement national et l’extrême droite sur ces sujets. »

Il n’est pas question d’union des droites, mais de « clarification ». Un mot répété à longueur de temps qui renvoie à chaque fois à la même chose : tourner le dos à la ligne modérée pour entrer à pieds joints dans le champ réactionnaire et identitaire. Les jeunes loups LR veulent faire dériver la droite.

Dissonances

Un autre chapitre acte cette radicalisation. Il a lieu à Angers, le 3 septembre dernier, jour de l’ouverture du campus de rentrée des Jeunes Républicains. À la tribune, Théo Michel, pas encore directeur de campagne adjoint d’Éric Ciotti mais déjà secrétaire général des Jeunes Républicains, c’est-à-dire le numéro trois dans l’organigramme. Une dizaine de minutes lui suffisent pour pointer ces « zones de non-droit », ou « même de non-France », où « l’impunité des délinquants et l’insécurité » régneraient, dénoncer l’absence de « volonté d’assimilation de tous les nouveaux arrivants », et se demander pourquoi « aucun enfant juif n’est scolarisé en Seine-Saint-Denis »

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« Il y a eu des dissonances en interne, reconnaît Thomas Guyot, responsable départemental de la Gironde. Mais on doit pouvoir composer avec tout le monde. Heureusement qu’il y a aussi ces idéologies différentes. » Au sein de l’organisation, les idées les plus extrêmes ont bien leur place.

Conséquence : pour le congrès de désignation du président de LR, la formation des 16-35 ans, qui compte environ 5 500 adhérents, se divise plutôt sur les deux candidats qui se situent du côté de la droite dure, entre la ligne réactionnaire et ultralibérale du président des sénateurs LR, Bruno Retailleau, et la ligne populiste et xénophobe du député des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti.

« Au sein des Jeunes, on est d’accord sur les deux. Avec l’un comme l’autre, la ligne est plus à droite. Il y aura un basculement », appuie Tristan Ganivet, ex-collaborateur stagiaire de Laurent Wauquiez et délégué national de la branche jeune « historiquement plus à droite que les aînés ». « Notre corps électoral se situe sur l’aile droite du parti. C’est ce qu’attendent les jeunes en grande majorité. Ils ont déjà tranché », analyse Axel Mouffron, membre du bureau national.

Depuis avril 2021 et la reprise en main des Jeunes Républicains par leur frange la plus radicale, une nouvelle ligne s’est imposée. À la manœuvre, Guilhem Carayon. Le jeune patron de 23 ans, élu avec 62 % des voix, porte un nom connu dans les milieux de droite : son père s’appelle Bernard Carayon, ex-député RPR passé par le GUD et cofondateur avec Thierry Mariani de La Droite populaire en 2010, ce courant de l’UMP devenu un mouvement allié au RN. En bref, une ligne extrême au sein du parti.

Et le fils prend la relève. Il n’hésite pas à dénoncer la nomination d’un « ministre racialiste » (Pap Ndiaye), voit dans la victoire de Giorgia Meloni « le cri d’un peuple qui ne veut pas mourir et se révolte contre les technos de Bruxelles », explique après le meurtre de la jeune Lola que « le lien entre l’immigration et la délinquance ne relève pas de l’idéologie mais de l’évidence »

Mots-clés : sécurité et immigration

On peut parler de l’aile droite de la droite, j’ai juste envie de dire : une vraie droite.

Des positions à droite toute, partagées par de très nombreux Jeunes LR. « L’élection de Guilhem Carayon a insufflé cette dynamique qui est maintenant ultra-majoritaire parmi nous », affirme le secrétaire général adjoint Jean-Baptiste Jouve, qui observe que « ce basculement est souhaité depuis un moment chez les jeunes ». « On peut parler de l’aile droite de la droite, j’ai juste envie de dire : une vraie droite », conclut Rémi Krzykala, pro-Ciotti et responsable départemental du Nord.

ZOOM : Congrès Les Républicains : ci-gît le parti gaulliste

Lors de l’élection présidentielle, Valérie Pécresse a fait perdre près de dix millions d’électeurs à sa famille politique. Emmanuel Macron ayant siphonné les voix de la droite, la question de l’utilité des LR est posée. Quelle ligne politique ? Les LR doivent-ils composer avec l’actuelle majorité présidentielle jusqu’à former une alliance gouvernementale, comme le souhaite Nicolas Sarkozy, ou céder aux vents mauvais d’une extrême droite de plus en plus forte ? La réponse est attendue les 10 et 11 décembre prochains lors du congrès des LR, qui devront trancher entre Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Aurélien Pradié. Le débat organisé par LCI, lundi 21 novembre, a déjà donné quelques éléments de réponse. Si des différences subsistent sur la ligne à tenir, notamment sur les retraites – Ciotti et Retailleau pourraient assumer de voter le texte pour s’acheter une crédibilité politique, quand Pradié se distingue et entend ne pas « vouloir faire la courte échelle à Macron » –, les trois hommes partagent une obsession : l’immigration et l’identité. Florilège : « La prison et l’avion » pour Ciotti, qui parle d’« invasion migratoire ». « Le voile est une attaque en règle contre la République », plaide Pradié. Retailleau, lui, a surfé sur le « déclin de la France ». Les LR semblent avoir tranché : cap sur l’extrême droite. Et Le Pen se frotte les mains.

Signe de cette droitisation ? Le président, Guilhem Carayon, est porte-parole d’Éric Ciotti ; le secrétaire général, Théo Michel, est son directeur de campagne adjoint. Et la vice-présidente, Charlotte Vaillot, « penche plutôt pour Ciotti aussi, même si elle ne s’est pas exprimée », croit savoir un cadre bien informé. Les « modérés » ne sont plus en nombre. « On a eu tendance à vouloir élargir un peu trop. Là, les choses s’éclaircissent. On voit un resserrement, de moins en moins de distinction entre les courants idéologiques », assure Mattieu Manceau, responsable des jeunes LR dans les Deux-Sèvres et adhérent de Force républicaine, le micro-parti de Bruno Retailleau.

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Et leurs discours prennent de nombreux airs de ceux tenus par l’extrême droite. Deux mots sortent quasi systématiquement : « sécurité », suivi très souvent par « immigration ». « Il y a une réelle volonté chez les jeunes de redonner un coup de tournevis dans le bon sens pour redresser ces questions régaliennes qui sont en train de fuir le débat politique », lance Martin Fouillet, responsable départemental du Tarn.

Dans le domaine régalien, le cercle Athéna, ce think tank lancé dans la foulée de l’élection de Guilhem Carayon, a accouché de plusieurs propositions, intégrées dans le programme de Valérie Pécresse en fin d’année 2021. Parmi elles, la naturalisation ou l’obtention d’un titre de séjour conditionnée à la réussite d’un test de langue française, la suspension des allocations familiales « pour les parents de mineurs délinquants multirécidivistes » – une reprise de la loi Ciotti votée en 2011 et abrogée durant le quinquennat Hollande – ou la systématisation des tests osseux pour les personnes en situation de clandestinité. Un instrument qui, selon les informations de Politis, a été relancé début octobre dans le but de fournir une publication au prochain patron du parti.

L’Europe, l’enseignement supérieur ? Des sujets désormais évaporés ou relégués. « Je crains le rétrécissement, qu’on parle toujours des deux mêmes thèmes… Il ne faut pas s’empêcher de réfléchir à autre chose, au risque de ne parler qu’à nous-mêmes », s’alarme un délégué régional. Mais ces voix critiques sont peu nombreuses.

Rétrécissement ou radicalisation ? Une chose est sûre : entre droite extrême et extrême droite, les discours se suivent et se ressemblent de plus en plus. Jusqu’à se confondre. 

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Politique
Temps de lecture : 7 minutes