Depuis janvier, l’extrême droite décomplexée

Les militants d’extrême droite, des groupuscules radicaux jusqu’au parti d’Éric Zemmour en passant par des associations proches du RN, recourent toujours plus à la violence. Politis fait le point.

Lily Chavance  et  Zoé Neboit  • 10 mars 2023
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Depuis janvier,  l’extrême droite décomplexée
Montage des deux photos publiées sur le canal Telegram « GUD Paris » (novembre 2022).
© Montage : Maxime Sirvins.

L’extrême droite se sent pousser des ailes. Son visage aurait changé, nous dit-on. Plus lisse. Plus policé. La majorité présidentielle a installé le Rassemblement national dans le paysage républicain, au point de lui offrir des postes de vice-présidence de l’Assemblée nationale. Et de le féliciter, comme l’a fait Olivier Dussopt, ministre du Travail, pour le bon comportement de ses troupes à l’Assemblée lors des débats sur la réforme des retraites.

Le discours frontiste déteint jusque dans les rangs de la macronie, qu’il s’agisse des retraites – avec une quasi-adhésion aux politiques natalistes du parti de Le Pen – ou de l’accueil des migrants et la répression à leur endroit. En coulisse, menaces, brutalisations de militant.es et de lieux de vie populaire, actes violents, les fascisants jouent les gros bras.

Au regard de la recrudescence des faits de violences depuis le début de l’année, Politis a dressé une liste d’actions violentes menées par l’extrême droite. Une addition qui fait froid dans le dos. Mais qui ne semble pas préoccuper le ministère de l’Intérieur.

Le mouvement pro-vie se porte bien

L’Alliance Vita, organisation catholique très conservatrice militant contre l’IVG, l’euthanasie, la PMA ou encore le mariage homosexuel a organisé en janvier un « cycle de formation en bioéthique » dans plusieurs villes de France. S’y sont retrouvées des figures telles que Bertrand Vergely, philosophe en guerre contre la société postmoderne – estimant par exemple que le droit de vote devrait être retiré aux personnes handicapées –, Pauline Quillon journaliste à Famille Chrétienne, « spécialiste » des questions de genre et vent debout contre une supposée « idéologie trans » ou encore René Ecochard, gynécologue-obstétricien opposé à l’IVG… Tout un programme.

9 janvier : À Strasbourg, 70 manifestant-es féministes et antifascistes ont bloqué temporairement l’accès à la conférence

16 janvier : À Grenoble, une dizaine de militant-es féministe ont milité contre place Lavalette.

31 janvier: À Besançon, une dizaine de militant-es féministe ont milité contre.

Violences contre des centres pour demandeurs d’asile

11 janvier

Le maire de Callac (Côtes d’Armor) annonce l’annulation du projet Horizon de construction d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (cada). Depuis l’annonce du projet au printemps dernier, les élus de la commune avaient subi un déferlement de harcèlement et de menaces, parfois de mort et de viol, de la part de l’extrême droite. Cette véritable campagne de haine a été menée aussi bien par des groupuscules, des militants de Reconquête que par le parti catholique intégriste Civitas, qui considéraient Callac comme « la mère des batailles ».

20 février 

L’hebdomadaire breton Le Poher est la cible de lourdes attaques d’extrême droite depuis janvier. Le 31 janvier et le 8 février, des salariés ont reçu des menaces de mort. Prise pour cible pour avoir couvert le projet d’accueil de réfugiés à Callac, la rédaction a été victime d’insultes et de menaces. Dernière attaque en date, la plus grave : une alerte à la bombe. Le 20 février une personne appelle le journal : « Allô, Le Poher, bande de pourritures. Vous allez tous crever. On a mis une bombe dans la rédaction et vous allez tous sauter ». Une information qui s’est révélée fausse après le passage des démineurs et l’évacuation des locaux. Trois plaintes ont été déposées par le journal.

Une journaliste de France 3, ayant couvert le même sujet a, elle aussi, été la cible de menaces et d’une campagne de harcèlement en ligne. Ces attaques revendiquées par l’ultradroite menacent directement le débat démocratique et la liberté d’informer.

25 février 

Après Callac, Saint-Brévin (Loire-Atlantique) a fait l’objet d’une mobilisation de l’extrême droite contre un centre d’accueil pour demandeurs d’asile. 300 manifestants, principalement extérieurs à la commune, ont fait face à la contre-manifestation des soutiens au projet qui a réuni, elle, près de 1 000 personnes.

Les drag queens prises pour cibles

21 janvier 

À Lamballe (Côtes d’Armor), une lecture d’histoires pour enfants par un collectif de drag queens et kings a suscité une campagne de dénigrement (pétition, relais sur les réseaux sociaux) et une manifestation le soir même de la part de l’ultra-droite mais aussi de la droite républicaine. Les opposants, en minorité, n’ont pas empêché la bonne tenue de l’événement qui a rassemblé des centaines de personnes. Une sécurité renforcée et la présence du maire en soutien ont néanmoins été nécessaires.

24 janvier 

À Toulouse, la mairie annoncé qu’elle « réorientait » un atelier de lecture animé par des drag queens programmé le 18 février. L’événement ne s’adresse alors plus aux enfants de 3 à 8 ans mais à un public majeur « dans un souci d’apaisement ». Comme à Lamballe quelques jours plus tôt, l’événement avait fait l’objet d’une campagne de haine de la part de l’extrême droite, et précisément du groupuscule Furie français née de la dissolution de Génération identitaire en mars 2021. Les artistes Shanna Banana et Brandy Snap organisent pourtant depuis plus de cinq an,s sans problème, ce genre d’atelier avec les enfants.

Des nouvelles de l’éco-terrorisme

31 janvier 

À Limoges, la Coordination rurale de Haute-Vienne a lâché des animaux sauvages dans un cinéma lors de la projection d’un documentaire à l’initiative du collectif Bassines non merci. Ce syndicat agricole, proche des mouvements poujadistes et du RN, a immédiatement revendiqué cette action sur leurs réseaux : « Les écolos terroristes veulent de la Biodiversité, la CR87 leur en a livré. Pas d’antibassines en Haute-Vienne ».

Les groupuscules sortent dans la rue

27 janvier 

Le Gud (Groupe Union Défense), récemment reformé, est de retour dans la capitale. Cette reconquête passant inévitablement par les milieux étudiants, des militants du groupuscule néonazi se sont retrouvés à tracter devant Sciences Po Paris, bastion traditionnellement de gauche.

31 janvier 

À Poitiers, dans la soirée, une quinzaine de jeunes issus de la Cocarde, Poitiers nationaliste, Génération Zemmour et l’Action française s’en sont pris à des clients attablés en terrasse. Sortant d’une conférence organisée par la cocarde étudiante, le groupe s’est attaqué à des personnes affiliées à la gauche d’après le communiqué des Jeunes communistes de la Vienne. L’une des victimes a été hospitalisée et a reçu cinq jours d’ITT, d’autres ont été blessées légèrement.

5 février 

À Paris, une cinquantaine de personnes affiliées à un groupuscule d’extrême droite se sont rassemblées pour une cérémonie d’hommage à Robert Brasillach, « figure » de la collaboration française. Au cimetière de Charonne, dans le 20e arrondissement, des jeunes militants du GUD, de Luminis et des Nationalistes de Benedetti, cagoulés et habillés de noir sont venus se recueillir. Alertés par les annonces sur les réseaux sociaux, les fonctionnaires de la sous-direction des services spécialisés et les agents du 20e arrondissement ont interrompu la « cérémonie » et procédé à 51 contrôles d’identité. Plus d’une vingtaine de personnes fichées « S » selon Libération ont été contrôlées et un homme en possession d’une arme blanche placé en garde à vue. Cette obscure réunion fait toujours l’objet d’une enquête à ce jour.

17 février

Un autre tractage par des militants du Gud Paris dans un bastion traditionnellement de gauche a été relevé par Streetpress, cette fois-ci à l’Université de Nanterre. Au moins une femme voilée a été insultée et un jeune homme frappé, rapporte le journaliste. 16 à 17 militants se sont rendus sur place dont Marc de Cacqueray-Valménier, leader du groupuscule, désormais dissous, des Zouaves. Quelques jours plus tôt, la Cour de Cassation avait confirmé sa condamnation pour violences aggravées et menaces pour des faits remontant à 2017.

17 février 

À Besançon, en novembre dernier, deux jeunes, anciens membres du Rassemblement national, ont recouvert de peinture blanche la statue de Victor Hugo. L’un d’eux était chef de la Cocarde locale et leader des Vandal Besak [équivalent local des Zouaves]. Réalisée par Ousmane Sow, artiste sénégalais, elle a été vandalisée avant d’être recouverte d’une pancarte « White Power » et d’une croix celtique. Alors que la statue était en cours de restauration, une polémique s’était développée autour de la couleur jugée trop sombre. La Cocarde étudiante a fièrement réagi sur son site internet : « À l’initiative des nationalistes locaux, la statue de Victor Hugo (…) a été restaurée et arbore désormais une belle couleur blanche, bien française, bien bisontine, bien XIXe siècle ». La ville de Besançon a porté plainte et le 17 février, les deux étudiants de 20 et 22 ans ont respectivement été condamnés à 140 heures de travaux d’intérêt général.

23 février

 Suite à un meeting organisé par Le Poing Levé à Paris 8, la comédienne et militante féministe Adèle Haenel est victime d’une campagne de harcèlement réactionnaire. Une offensive de la droite et de l’extrême droite à l’encontre de sa défense des enjeux féministes et d’un appel à la mobilisation contre la réforme des retraites lors de l’événement. Depuis, une haine provenant de militants fascisants s’est déversée à son encontre sur les réseaux sociaux, multipliant les insultes sexistes et réactionnaires à son égard. Aussi, l’extrême droite en a profité pour s’attaquer à Révolution permanente – organisation politique à laquelle appartient la comédienne – et au collectif Le Poing Levé. Face à ces attaques plusieurs organisations syndicales ont soutenu Adèle Haenel et appellent à la solidarité.

24 février 

Trois attaques en moins de trois semaines à Bordeaux. Les locaux du Planning familial de la Gironde ont été victimes d’attaques répétées de l’extrême droite. Locaux vandalisés, la première attaque visait la contraception masculine. La deuxième, l’IVG. Revendiquées par Action directe identitaire, une inscription en grosses lettres rouges et une croix de Lorraine ont été taguées sur la façade. Bien que les inscriptions diffèrent, le message reste le même : les actions en faveur de la défense des droits sexuels et reproductifs du Planning familial dérangent. L’association a déposé plusieurs plaintes.

24 février 

À Lille, deux décisions concernant le bar d’extrême droite la Citadelle ont été rendues. Le tribunal administratif de Lille a suspendu la fermeture du bar décrété par arrêté municipal mi-février. Une décision qui permet aux partisans d’extrême droite de crier victoire puisque l’établissement reste ouvert.

Pour autant, dans ce même bar identitaire, une soirée à caractère raciste prévue le 24 février, « Qu’ils retournent en Afrique » a été empêchée par le préfet du Nord. Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin en a demandé l’interdiction. Le 23 février, le tribunal de Lille, également saisi sur cette question, a estimé que « l’interdiction de tout rassemblement sur la voie publique en soutien à cet évènement était une mesure nécessaire » puisqu’un « risque sérieux d’affrontement en plein centre-ville de Lille » entre les participants de cette soirée et ses opposants existait.

24 février 

À Nice, dans les arènes de Cimiez, des jeunes d’extrême droite organisent des combats de free fight (combat libre). Un club rassemble des jeunes, pour certains mineurs, qui s’adonnent à des combats sans presque aucune règle. Leurs bagarres, filmées et la plupart du temps et diffusées sur Instagram, rassemblent tous les indices d’appartenance au groupe dissous Génération identitaire : tatouages suprémacistes, tee-shirts floqués et slogans. Ce groupuscule n’est pas le seul à intervenir dans ces théâtres de rendez-vous violents. Le groupuscule Aquila popularis et d’anciens membres des Zoulous – groupe à l’idéologie identitaire, néonazie – gravitent autour aussi. Christian Estrosi, maire de Nice, a réclamé une enquête et affirmé son intention de déposer plainte afin « denvisager la dissolution de ces groupuscules ultra-violents ».

25 février 

Un festival de métal néonazi à Saint-Dié-des-Vosges (Vosges) prévu le 25 février a été finalement interdit par Gérald Darmanin trois jours avant sa tenue. Si cette soirée avait bien eu lieu, elle aurait été « le premier événement majeur de ce genre en France depuis quelques années » selon Donatien Huet, journaliste à Médiapart interrogé par Rue89 Strasbourg. Quatre groupes de « black metal national-socialiste » étaient programmés avec une communication multipliant des références néonazies et au Troisième Reich.

28 février 

Tout comme les locaux du Planning familial, la mosquée du quartier Saint-Michel à Bordeaux a aussi été la cible de vandalisme à répétition. Taguées à la bombe rouge, les inscriptions « – de SDF, + d’OQTF » ont été signées par le groupuscule d’extrême droite Action directe identitaire. Depuis 2018, la mosquée a subi six attaques. En 2020, en l’espace d’une semaine, des vitres avaient été brisées et des insultes scandées pendant des prières.


Enfin, à l’heure de publier ce papier, nous apprenons que le 6 mars, Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune Garde antifasciste, a été victime d’une tentative d’attaque chez lui. « Une dizaine de fascistes se sont retrouvés en bas de mon domicile pour m’attaquer avec des armes. Ils ont tenté de rentrer à plusieurs reprises dans mon immeuble » écrit-il sur son compte Twitter. L’attaque a pu, de peu, être déjouée, grâce à l’alerte de membres de sa famille et l’aide du service de sécurité de la Jeune Garde.

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Société
Temps de lecture : 12 minutes
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