Grève des éboueurs : le mouvement se durcit, malgré la mairie de Paris

Éboueurs et égoutiers en grève ont décidé de poursuivre le blocage de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine jusque lundi prochain pour protester contre la réforme des retraites. D’autres actions étaient également menées pour entraver les manœuvres de la Mairie de Paris, visant à collecter les déchets. Reportage.

Pierre Jequier-Zalc  et  Lily Chavance  • 14 mars 2023
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Grève des éboueurs : le mouvement se durcit, malgré la mairie de Paris
© Lily Chavance

Une quarantaine de personnes, quelques braseros. Sur les grandes grilles blanches qui barrent l’entrée de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine, d’importantes chaînes bloquent leur ouverture. Depuis lundi 6 mars, cet endroit stratégique où brûlent des milliers de tonnes de déchets parisiens chaque jour, est bloqué par des éboueurs et égoutiers grévistes. Comme les deux autres incinérateurs de la région parisienne, à Saint-Ouen et Issy-les-Moulineaux.

« Beaucoup d’entre nous ne vont pas partir à la retraite, ils vont partir entre quatre planches »

Sur le piquet de grève, tenu jours et nuits, des tentes ont été montées pour se mettre à l’abri des giboulées de mars. Dans l’une, de la nourriture s’entasse, entre cuisses de poulet grillés aux barbecues, pommes et des viennoiseries amenées par des passants.

Dans l’autre, quelques lits de camps où dorment une petite dizaine de personnes pour s’assurer que la police n’intervienne pas dans la nuit. Didier, les traits tirés, vient d’enchaîner deux nuits d’affilées. « Pas de tout repos », reconnaît-il, le sourire aux lèvres. Malgré tout, il souligne l’importance de conserver une mobilisation puissante à l’aube d’une semaine qu’on annonce décisive. « On parle beaucoup du vote à l’Assemblée nationale, du 49-3, c’est maintenant qu’il faut mettre la pression », assène-t-il.

On a le droit de prétendre à une retraite correcte. Aujourd’hui, ce n’est que de la survie.

« Mettre la pression » pour espérer obtenir gain de cause. Ces éboueurs de la Ville de Paris ont débrayé à l’appel de la CGT-FTDNEEA (filière du traitement des déchets, nettoiement, eau, égouts, assainissement) contre la réforme des retraites, mais aussi pour un meilleur déroulement de leurs carrières.

(Photos : Lily Chavance.)

« Il faut dire les choses clairement, beaucoup d’entre nous ne vont pas partir à la retraite, ils vont partir entre quatre planches », assène Sabrina, éboueuse depuis 17 ans et aujourd’hui à la fonctionnelle, cette antenne en charge des nettoyages des évènements importants (marchés, manifestations, etc.) à la Ville de Paris.

« On travaille dans l’un des pôles de la fonction publique les plus difficiles. Être éboueur, ce n’est pas une mince affaire, encore plus en tant que femme, même si j’en suis fière. Je considère qu’on a le droit de prétendre à une retraite correcte. Aujourd’hui, ce n’est que de la survie. »

Pour eux aussi, deux ans de plus

Aujourd’hui, les éboueurs et les égoutiers bénéficient d’un régime spécial qui leur permet de partir à la retraite respectivement à 57 et 52 ans. Avec le projet de réforme du gouvernement, cet âge sera décalé de deux ans, a minima, car de nombreux éboueurs partent plus tard pour bénéficier d’une retraite à taux plein.

« Vous imaginez, vous, tirer 5 tonnes de déchets par jour à 60 ans ? Parce que c’est ça, la réalité du métier. La tête dans les ordures, qu’il pleuve, vente ou neige, tous les jours », souffle Christophe, éboueur à Paris depuis 40 ans. « Et il faut ajouter les 12 kilomètres moyen de marche quotidien au travail », ajoute Julien, son collègue.

Vous imaginez, vous, tirer 5 tonnes de déchets par jour à 60 ans ?

Le blocage de cet incinérateur s’est fait en concertation avec la CGT Mines-Energie. En effet, une partie des salariés de Suez, chargé justement de l’incinération, sont également en grève depuis le 6 mars. Les deux énormes fours de l’incinérateur sont à l’arrêt. Un fait rarissime, comme le souligne Frédérique, salarié de Suez, en salle de commande. « On brûle les déchets 24 heures sur 24, 365 jours par an. Il y a une équipe le jour de Noël, le jour de l’an, ça ne s’arrête jamais ».

Grève reconduite jusque lundi

Son boulot est particulier. Assis sur un fauteuil devant une baie vitrée, il fait face à l’immense fosse dans laquelle les milliers de tonnes d’ordures sont déversées par les camions-bennes. Sur son accoudoir gauche, une sorte de gros joystick, qui permet de déplacer un grapin pour attraper cinq tonnes d’ordures et les déverser ensuite dans le four.

 « On brûle les déchets 24 heures sur 24, 365 jours par an. Il y a une équipe le jour de Noël, le jour de l’an, ça ne s’arrête jamais » (Toutes photos : Lily Chavance.)

Comme les jeux à la fête foraine où il faut attraper une peluche avec un grapin. Sauf que là, c’est bien moins amusant. Les rythmes sont éprouvants – deux matins, deux après-midis, deux nuits par semaine, les odeurs pestilentielles et les locaux, vétustes. Il a ainsi placé une armoire pour éviter que la poussière des déchets ne s’infiltre dans sa cabine malgré une porte totalement délabrée.

La réforme des retraites prévoit de supprimer le régime spécial des salariés de l’énergie. « Ils veulent détricoter notre régime qui pourtant marche bien, prend en compte la pénibilité, et n’est pas déficitaire », assure Claude Martin, secrétaire fédérale de la fédération Mines-Energie de la CGT. « Le gouvernement veut détruire ce régime car il refuse qu’on serve d’exemple. Pourtant, on voudrait que tout le monde ait comme nous », poursuit-il.

Ils veulent détricoter notre régime qui pourtant marche bien.

Sur le site, les éboueurs et les salariés de Suez ne se côtoient que peu. Les premiers tiennent le blocage, les seconds maintiennent à l’arrêt l’usine. Mais c’est cette coordination qui permet, justement, à leur mobilisation de marcher.

Car depuis le début de leur mouvement, des milliers de tonnes de déchet s’accumulent dans les rues de la capitale, démontrant, s’il le fallait encore, le caractère essentiel de leurs professions. Voyant bien que leurs actions produisaient des effets, les salariés réunis en assemblée générale ont décidé, à l’unanimité, de poursuivre la grève jusque lundi 20 mars.

Malgré tout, ils savent que tenir dans la durée risque d’être compliqué. « Il faut dire les choses clairement, c’est dur financièrement. Dans les ateliers, tout le monde est contre cette réforme, mais tout le monde ne peut pas se permettre de faire grève », souligne Julien, qui explique que les salariés ont monté des roulements de grève pour éviter à certains de perdre une, voire deux semaines de salaires. « Moi je dois rembourser mon prêt pour mon appartement, mais je soutiens vivement », confie cet éboueur qui se fait appeler Mouss’ venu dire bonjour sur son temps de repos.

La Mairie de Paris, « briseuse de grève » ?

Surtout, depuis ce mardi 14 mars, un nouveau paramètre est venu complexifier l’équation. La Mairie de Paris a décidé de recourir à des prestataires privés dans certains arrondissements habituellement régis par le public. Une manière de « briser la grève » pour les grévistes qui dénoncent « un double discours » venant de la maire de Paris, Anne Hidalgo. « Elle n’arrête pas de dire qu’elle nous soutient, qu’elle lutte aussi contre cette réforme des retraites et derrière elle débloque en payant des entreprises privés », regrette Julien.

« Nous avons réaffecté des agents du privé comme du public sur des urgences pour éviter toute crise sanitaire », reconnaît la Mairie de Paris qui souligne mettre « tous les moyens à sa disposition pour répondre aux trois questions urgentes qui s’imposent à tous : celles de l’insalubrité, du nettoyage des marchés alimentaires et de la sécurisation des cheminements piétons ».

Elle réfute également le terme de « casseur de grève ». « À Paris, il y a 3 000 tonnes de déchets par jour. On ne peut pas décemment laisser 27 000 tonnes s’amasser en une semaine. Mais notre obsession reste le retrait de cette réforme injuste, plus encore pour les éboueurs. »

Malgré tout, face à ce revirement, les éboueurs grévistes s’organisent pour éviter ces stratagèmes municipaux. Ainsi, ce mardi, une grosse quinzaine de grévistes de la fonctionnelle bloquent la sortie des camions-bennes chargés d’aller nettoyer le marché de Belleville, un des plus gros marché de l’est parisien. « Aujourd’hui, ce blocage va permettre d’empêcher les véhicules et les agents d’aller collecter les déchets du marché », explique Moussa, syndiqué à la CGT, devant l’assemblée à laquelle se sont joints des enseignants grévistes et des étudiants.

Éboueurs grève Paris
(Photos : Lily Chavance.)

Pour contourner ce blocage, la Mairie de Paris a réaffecté des camions du 11e arrondissement pour venir chercher les agents non-grévistes. Mais ceux-ci sont bloqués par les agents et les enseignants grévistes, obligeant les camions à faire demi-tour sous les hourras des militants.

Une joie qui redonne du baume au cœur à ces grévistes qui savent que cette semaine s’annonce décisive. Ils savent aussi qu’avec leur grève, ils sont en train d’instaurer un rapport de force qu’aucun autre secteur n’avait réussi à imposer jusqu’ici dans cette mobilisation. En espérant, justement, être vite rejoints.

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Travail
Publié dans le dossier
Retraites : la convergence des colères
Temps de lecture : 9 minutes
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