«Les chemsexeurs ne sont ni fous, ni suicidaires, ni inconscients »

Camille Spire, présidente de l’association Aides, dénonce les approximations et erreurs concernant le « chemsex » dans le débat public.

Politis  • 15 mars 2023
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«Les chemsexeurs ne sont ni fous, ni suicidaires, ni inconscients »
© Mishal Ibrahim / Unsplash.

Depuis quelques semaines, Camille Spire constate avec inquiétude les approximations et erreurs quant au « chemsex » dans le débat public. En tant que présidente de l’association Aides, qui accompagne les chemsexeurs depuis de nombreuses années, elle souhaite aujourd’hui apporter des précisions essentielles.


Tout d’abord, qu’est-ce que le chemsex ? Certes, cette pratique implique de consommer des produits psychoactifs illicites avec un objectif sexuel. Mais la définition du chemsex ne saurait être réduite à ce seul critère.

Originellement, les usagers de chemsex sont des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. La pratique est ritualisée et collective : les chemsexeurs recrutent leurs partenaires et achètent leurs substances, majoritairement en ligne.

L’achat et la consommation de ces substances sont motivés par les effets psychoactifs des molécules prises qui permettent d’intensifier et de prolonger les rapports sexuels. Une femme qui couche avec un homme après avoir pris de la cocaïne en soirée n’est donc pas une chemsexeuse. Un homme qui fume du cannabis entre deux rapports sexuels non plus.

Sur le même sujet : Face au « chemsex », homophobie et toxiphobie plutôt que prévention

Maintenant que la définition est posée, rappelons que, comme pour toute pratique liée à la prise de produit psychoactif, légal ou non, il existe une échelle de consommation. Il existe des consommateur·rices d’alcool satisfait·es de leur pratique. De même, on retrouve des chemsexeurs qui prennent un plaisir occasionnel au chemsex.

Les chemsexeurs ne sont ni fous, ni suicidaires, ni inconscients. Affirmer le contraire revient à stigmatiser les chemsexeurs et à diaboliser cette pratique. Les stigmates et les secrets ont des conséquences délétères pour la santé, la vie affective, sexuelle, sociale et professionnelle des populations discriminées. Ces jugements de valeur qui ne reposent sur aucun constat argumenté alimentent une morale sécuritaire.

Luttons contre la toxicophobie et l’homophobie qui éloignent du soin, de l’information, de la prévention.

Cela fait plus d’un demi-siècle que la France s’inscrit dans une approche répressive en matière de politique des drogues. La « loi de 1970 », relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substance vénéneuse, pénalise lourdement les consommateur·rices de produits psychoactifs et les éloigne du soin.

Nous, militant·es d’Aides, le martelons depuis des années : cette obstination à maintenir une politique du « tout répressif », dispendieuse des finances publiques en plus d’être inefficace dans la lutte contre les trafics, s’avère dangereuse en termes de santé individuelle et de santé publique.

En plus de quinze ans de militantisme chez Aides, j’ai croisé la route de nombreux chemsexeurs : beaucoup témoignent de leur réticence à évoquer leurs pratiques dans les cabinets de médecins ignorant tout du sujet, craignant de subir toxicophobie et homophobie (1).

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Selon une enquête sur la santé globale des lesbiennes, gays, bis, trans et intersexes de l’association Lutte contre les discriminations (LCD), au moins une personne LGBTI sur deux affirme s’être sentie discriminée lors d’un parcours de soins.

Dès lors, où trouver les informations permettant de maîtriser sa consommation ou de se prémunir de la transmission du VIH et des hépatites ? Aides, ainsi que plusieurs associations menant des actions de réduction des risques, agit avec et auprès des chemsexeurs pour apporter les ressources et l’accompagnement indispensables à l’élaboration d’une réponse pragmatique en termes de prévention et de santé globale.

Il est urgent que les pouvoirs publics adoptent une stratégie de réduction des risques réellement adaptée aux besoins des consommateurs-rices. Terminons-en avec la moralisation. Luttons contre la toxicophobie et l’homophobie qui éloignent du soin, de l’information, de la prévention.

Formons les professionnels de santé à la pratique du chemsex et aux risques qui peuvent y être associés. Abrogeons, enfin, la loi de 1970 qui pénalise les consommateur·rices. Passons au pragmatisme et à l’efficacité : des vies en dépendent ! 

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