Sainte-Soline : aux côtés des opposants aux mégabassines

Le 25 mars 2023, l’État réprimait violemment le rassemblement de Sainte-Soline contre les mégabassines, faisant 200 blessés côté manifestants, dont deux dans un état grave. Récit en images d’un week-end de violences policières.

Victor Leon  • 31 mars 2023
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Sainte-Soline : aux côtés des opposants aux mégabassines
© Victor Leon.

Le rassemblement à Sainte-Soline contre le projet de mégabassine, samedi 25 mars, s’est heurté à un féroce dispositif de 3 200 policiers, « une armée face à la foule ». Bilan : 200 blessés, un éborgné, deux personnes toujours plongées dans le coma dont l’une avec un pronostic vital engagé… Alors que Gérald Darmanin, qui multiplie les mensonges sur les événements et abuse d’une réthorique trompeuse, a annoncé vouloir dissoudre le collectif Les Soulèvements de la TerrePolitis revient en images sur un long week-end de représailles. Récit et photos de Victor Leon, qui contrastent avec les éléments de langage officiels.

« Les mégabassines, un condensé des luttes »

Après de longues heures de route, Julie, ingénieure agronome travaillant avec des agriculteurs et éleveurs de Picardie, arrive enfin sur le camp dans la nuit de vendredi à samedi. Là, des centaines de personnes sont d’ores et déjà installées dans le champ boueux mis à disposition par un agriculteur antibassine. Le territoire est étroitement quadrillé par des contrôles policiers dans l’objectif de démotiver les militants. Grâce à la carte recensant les positions en temps réel des barrages, Julie a pu arriver à bon port sans encombre. « C’est une première pour moi. Je ne me considère pas particulièrement activiste, mais l’emploi du terme « écoterroriste » par Darmanin et le climat social ambiant m’ont fait franchir le pas », dit-elle. « Les mégabassines sont un condensé des luttes environnementales et sociales. » Mère d’un enfant, elle s’est organisée pour assurer sa garde.

Sur place, Julie installe sa tente près d’un camping-car dont l’arrière-train vient d’être embouti : quelques minutes auparavant, le véhicule et ses occupants ont été délibérément percutés par un 4×4 pourvu d’un pare-buffle, conduit par des habitants pro-bassines. La mobilisation n’est pas du goût de tout le monde.

Peu avant le départ, samedi, un jeune militant prend la pose alors que l’excitation de ses camarades présents sur le camp commence à frémir. Pour beaucoup, les tenues des activistes font preuve de créativité. Ce mouvement citoyen d’une rare ampleur est porteur de valeurs fortes : bienveillance et entraide sont les mots d’ordre. 

« J’espère que je ne vais pas vivre une troisième guerre mondiale »

Les dizaines de milliers de militants marchent vers la mégabassine. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les activistes se scindent en trois cortèges distincts, baptisés d’après trois espèces animales menacées par les mégabassines : les loutres, les outardes et les anguilles. Julie (à gauche ci-dessus) décide de se joindre aux loutres, l’un des deux groupes qui seront en première ligne face aux forces de l’ordre. Pessimiste quant au futur climatique, elle est inquiète pour son fils : « J’espère que je ne vais pas vivre une troisième guerre mondiale. […] J’aimerais bien qu’il sache se débrouiller seul, survivre en quelque sorte. »

Léo*, étudiant en économie écologique et développement durable, ramasse des cailloux. N’ayant pas les équipements nécessaires pour aller en première ligne, il participe tout de même à la logistique qui se met en place pour l’assaut de la mégabassine : des pierres sont récoltées dans les champs voisins et rassemblées dans des cabas, qui seront ensuite donnés aux groupes les plus motivés pour servir de projectiles.

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Le prénom a été modifié.

À peine le cortège arrivé sur place, les forces de l’ordre initient les hostilités, sans sommation aucune. Les grenades de désencerclement détonnent les unes après les autres sans discontinuer, les nuages de gaz lacrymogènes ne se dissipent pas, les blessés de plus en plus nombreux sont évacués loin du front et plusieurs véhicules des forces de l’ordre sont en proie aux flammes.

D’après Gérald Darmanin, ce sont plus de 4000 grenades qui ont été dégoupillées et qui sont tombées sans discernement ni mesure pendant plus d’une heure sur le cortège. Contrairement à ce qui a été annoncé par le ministre, qui n’en recensait que 7 parmi les militants, plus de 200 blessés ont été comptabilisés par les médics sur place, dont certains au pronostic fonctionnel engagé. Une dizaine de personnes ont été transférées au CHU le plus proche et plusieurs ont vu leur pronostic vital engagé. Les observateurs de la Ligue des droits de l’homme dénoncent également les agissements de la police, qui a retardé de plusieurs heures l’arrivée d’une ambulance alors qu’une personne en urgence vitale attendait sur le site.

Léo* débriefe avec une amie alors que d’autres, à l’arrière-plan, regardent les pompes et tuyaux remplissant la bassine, sabotés pour la mettre hors d’état de nuire. Face à la violence de la réponse policière, les militants décident de se replier. Si l’objectif initial d’invasion de la bassine a échoué, le cortège rentre au camp de base dans une ambiance ambivalente, entre chants bon enfant et paroles acerbes, dénonçant les scènes de guerre et la violence policière disproportionnée. Aveux terribles d’un État qui, loin de se contenter d’ignorer les chantiers de mégabassines interdits par décision de justice, s’applique à imposer avec force un modèle pervers, en dépit des avis des scientifiques et quitte à blesser ou tuer des citoyens.

Il est temps pour Julie et Léo* de se détendre après une journée traumatisante pour certains, éreintante pour tous. Plus qu’une mobilisation limitée à l’action directe de la journée de samedi, c’est un programme sur tout le weekend qui a été mis en place : conférences, tables rondes, concerts, cellule de soutien psychologique et cantine collective se succèdent un à un. Accueillie par la ville alliée de Melle, la mobilisation se transforme en festival où les « terroristes » échangent dans une ambiance de fête.

Après cette longue journée, Julie échange avec Hubert, 68 ans, sur les rapports du GIEC qui ont forgé son « écoterrorisme darmanien ». À proximité de l’infrastructure tant décriée, Hubert raconte qu’il a croisé un paysan antibassine frappé quelques minutes auparavant par des opposants locaux à coup de barre de fer.

« Le GIEC serait-il écoterroriste ? »

Venu en convoi de Toulouse, Hubert s’est mobilisé pour cette cause dans un souci de cohérence de notre projet de société. « Nous sommes rendus lucides à propos du changement climatique par le GIEC. Si nous sommes ici à protester contre les mégabassines, c’est pour avoir écouté son discours. Ce serait donc une instance tout autant écoterroriste que nous autres. »

Un bouclier de fortune fracturé par un impact de LBD témoigne du déséquilibre du rapport de force. Qui sont donc les terroristes ? Ces militants qui ont tenté de mettre fin aux travaux d’une infrastructure aberrante d’un point de vue environnemental et social ? Ou leurs opposants, qui percutent des véhicules occupés, frappent des militants à coup de barre de fer, bloquent les secours et abusent des LBD et grenades de désencerclement pour défendre à tout prix ce qui n’est rien d’autre qu’un trou béant de plusieurs hectares ?

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Pour aller plus loin

Avec le soutien de Politis, le documentaire De l’eau jaillit le feu de Fabien Mazzocco (76 minutes, 2023, production Mauvaises Graines & Mona Lisa Production, sortie nationale le 31 mai 2023).

Dans le marais poitevin, des milliers de personnes sont aujourd’hui engagées dans une lutte contre un projet de mégabassines. Fabien Mazzocco a filmé ce territoire et ses habitants pendant 20 ans et documente comment une zone paisible est devenue l’épicentre d’une véritable guerre de l’eau.

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